Par Karine Perret
Avec sa harpe électropneumatique, Anja Linder, musicienne paraplégique depuis 23 ans, va réaliser un "rêve" : jouer au théâtre du Châtelet lors d'un évènement dans le cadre de l'Olympiade culturelle, en marge de la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Paris, le 8 septembre 2024.
Faire primer l'art
Trois semaines de répétitions fin août et début septembre, des œuvres qui parlent à tous, une mise en scène rendant "le handicap non visible" afin "que l'art prime" : voilà ce que peut confier la harpiste de 49 ans au sujet de ce clap de fin qui viendra boucler la séquence des Jeux d'été de Paris démarrés le 26 juillet. Tenue par une clause de confidentialité, Anja Linder en sait d'ailleurs assez peu... Si ce n'est qu'elle se produira en orchestre et en duo avec un guitariste. Participer à cette "fête mondiale" est important pour cette musicienne qui éprouve "tendresse et solidarité envers les athlètes et toutes les personnes fragilisées qui se sont reconstruites malgré le handicap".
L'accident qui l'a privée de sa harpe
Primée lors d'un concours international, Anja se destine à une carrière de concertiste quand elle est victime, en juillet 2001, de l'accident du Parc de Pourtalès en périphérie de Strasbourg. Sous l'effet de vents violents, un platane de 40 mètres de haut s'abat sur la tente où s'étaient réfugiés les spectateurs d'un concert de musique (13 morts, 97 blessés). Elle perd l'usage quasi complet de ses jambes, doit passer "plus d'un an entre les hôpitaux et les centres de rééducation" et se voit privée de son instrument pendant plusieurs années.
"Anjamatic" : un système sur-mesure
Aujourd'hui, cette fille d'une professeure de piano et d'un sculpteur, tombée "amoureuse" de l'instrument lors d'un concert, ancienne élève du conservatoire de Strasbourg, a pu reprendre la musique. Elle bénéficie depuis 2006 du système "Anjamatic" : une harpe électro-pneumatique pilotée par un ordinateur, qui fonctionne avec un compresseur, conçue spécialement pour elle par un électronicien et un informaticien et dont le prototype a été régulièrement amélioré. Le système est discrètement installé dans le socle de sa harpe centenaire ayant appartenu à la harpiste Marielle Nordmann, qui fut aussi sa professeure.
Changer les pédales avec la bouche
Pendant que ses doigts dansent d'une corde à l'autre, la musicienne, yeux bruns rieurs sous une frange châtain, actionne avec sa bouche un petit câble qui déclenche un changement de pédales. Sur une harpe classique, les pédales bougent sous l'action des pieds. Elles sont essentielles car elles modifient les sept notes d'une octave, appelées les "altérations" (dièse, bémol, bécarre). Bonus: cette harpe offre "une plus grande exploration du répertoire musical", explique Anja Linder, si bien qu'elle en a enseigné la technique pendant dix ans auprès d'élèves du Conservatoire de Strasbourg, puis en masterclass.
Dépasser la douleur
Passionnée par la période romantique, la musicienne a produit trois disques. Dans le dernier, sorti en février 2024, elle interprète des œuvres de Franz Schubert, en trio avec un violoniste et une violoncelliste. Et de confier, admirative : "Schubert, c'est pour moi celui qui parvient le mieux à dépasser sa douleur pour en tirer des émotions universelles".
© Instagram anjalinder_harpist