« La peur, le choc, le confinement, ce sentiment d'urgence, d'urgence de continuer à vivre et parfois à travailler... Ces sentiments sont nos compagnons de route, nous, les malades du cancer. Ces dernières semaines, nombreux sont ceux qui ont découvert, parfois avec sidération, la fragilité, cette part non négociable de notre humanité. Aujourd'hui, le monde entier découvre ce que nous vivons au quotidien », explique Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de la start-up à impact social Wecare@work et du club d'entreprises Cancer@work lors d'un webinar le 25 juin 2020. Alors que la pandémie de Coronavirus bat son plein à l'échelle mondiale avec plus de 10 millions de personnes infectées, cette « cancer survivor » exhorte le gouvernement et les entreprises à tirer les premières leçons de la crise : « Concilier maladie et travail n'est plus une option ! » C'était d'ailleurs le credo de la semaine pour la qualité de vie au travail (SQVT), du 19 au 21 juin 2020. L'occasion de partager, via des webconférences et des podcasts, des initiatives territoriales visant à accompagner les entreprises et à préparer la reprise d'activité.
Des questions sans réponse
« Savez-vous combien de personnes reçoivent un diagnostic de cancer chaque jour ?, interroge Anne-Sophie Tuszynski en préambule. Plus de 1 000, dont 400 actifs ». Un enjeu de société majeur qui reste pourtant tabou et suscite de nombreuses questions : « Puis-je dire que je suis malade à mes collègues, mes employeurs ? », « Est-ce que je risque d'être licencié ? », se demande le salarié. De son côté, son manager s'interroge sur ses droits : « Puis-je poser des questions sur son état de santé ? Comment préparer son retour en emploi ? ». Des interrogations qui, selon Anne-Sophie Tuszynski, souvent, ne sont pas posées ou restent sans réponse et créent des difficultés humaines, organisationnelles et financières. En conséquence, une personne sur trois quitte son emploi après le diagnostic d'un cancer. Les raisons sont variées : éloignement de l'entreprise durant une longue période, manque de prise en compte des conséquences durables de cette maladie, absence d'accompagnement par l'employeur...
Un cycle infernal à rompre
Pourquoi ? « Tout simplement parce que la maladie n'existe pas dans le monde du travail, pas plus que la vie professionnelle dans le parcours de soin, déplore Mme Tuszynski. Pour schématiser, quand nous sommes souffrants, nous sommes en arrêt maladie et, de retour au travail, nous sommes guéris. La réalité est en fait beaucoup plus nuancée... » Résultat : les personnes malades s'isolent ou sont isolées. Conséquences ultimes de cette solitude ? « Perte d'emploi, désinsertion sociale, perte de revenus et de leur place dans la société », poursuit-elle. Une situation qu'elle juge « humainement inacceptable et économiquement irresponsable ». « Nous avons tout à gagner à mieux concilier maladies chroniques et emploi, affirme cette cheffe d'entreprise. Cette crise sanitaire et économique est l'occasion de s'emparer du sujet. »
Peu d'entreprises engagées
Pour l'heure, sur 3,5 millions d'entreprise en France, seule une centaine s'est engagée sur ce terrain. « Une marge de progrès extrêmement importante ! », souligne Anne-Sophie Tuszynski. Par exemple, le groupe de protection sociale Malakoff Humanis a, durant le confinement, mis en place un plan d'action de lutte contre le cancer, assorti d'une enveloppe d'un million d'euros. Objectif ? « S'assurer de la bonne prise en charge des soins, accompagner les patients dans cette période doublement stressante et soutenir la recherche sur le thème cancer et Covid-19 », explique Rachel Libera, de la direction des engagements sociaux et sociétaux. En parallèle, le groupe a organisé, « avec et pour ses salariés », une conférence de sensibilisation sur le cancer en entreprise et a réalisé une web-série de huit épisodes pour briser les tabous.
Des dispositifs légaux à mobiliser
« Mieux concilier maladie et travail, c'est possible ! », insiste Anne-Sophie Tuszynski. Pour ce faire, plusieurs dispositifs légaux sont d'ores et déjà disponibles tels que la visite de pré-reprise ou de reprise, « extrêmement précieuse pour préparer les salariés au retour à l'emploi mais insuffisamment exploitée », estime-t-elle. De même que le temps partiel thérapeutique « qui permet de reprendre le travail à son rythme, tout en consolidant son état de santé ». Autre option : faire une demande de Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) pour adapter ses conditions de travail. « Mais la réaction première est souvent de dire : 'Je suis malade et non handicapé !', constate-t-elle. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur le sujet (vidéo ci-contre)... » Les aidants peuvent également bénéficier de dons de jours de congés. En parallèle, Wecare@work propose une ligne téléphonique solidaire gratuite, « Allo Alex », qui répond à toutes les questions sur la maladie et le travail, du lundi au vendredi, de 9h à 17h, au 0 800 400 310. « Souvenez-vous : de chaque expérience douloureuse naissent des capacités et des compétences », conclut-elle.