Fainéante, paresseuse, irrespectueuse... Durant plusieurs années, Myriam (le nom a été changé), 17 ans, a subi de plein fouet l'incompréhension et les préjugés de ses camarades et de ses professeurs. En cause ? Difficultés de concentration, endormissements fréquents, absentéisme, isolement... Des symptômes souvent attribués, à tort, à des choix personnels et qui peuvent entraîner une perte de chance considérable chez les jeunes. Après trois ans et demi d'errance, le diagnostic tombe : narcolepsie. « On nous a dit que c'était court mais c'est très long quand on sait que sa fille est malade », témoigne son père, Karim Moussaoui, vice-président de l'Association française de narcolepsie cataplexie et hypersomnies rares (ANC). Les patients attendent effectivement dix ans, en moyenne, pour mettre un nom sur leur mal-être. Myriam est le visage de la campagne de sensibilisation lancée le 14 septembre 2023 par l'ANC, le laboratoire pharmaceutique Bioprojet et le centre de référence nationale narcolepsie de Montpellier. Un spot d'1mn18 (en vidéo ci-dessus) complété par des affiches et un livret d'informations de quatre pages distribué dans les cabinets médicaux. Objectif ? Favoriser un diagnostic précoce et éviter notamment l'échec scolaire.
Seul un tiers des patients diagnostiqués
Très invalidante, cette maladie rare du système nerveux central qui se caractérise par le dysfonctionnement de la régulation veille-sommeil est sous-diagnostiquée. « Sur les 10 à 20 000 Français concernés, seuls un tiers le savent », constate le professeur Yves Dauvilliers, coordinateur du Centre de référence nationale narcolepsie. Elle débute généralement à l'adolescence, vers quinze ans, puis un second petit pic d'apparition se produit vers 35 ans. Chez 10 à 15 % des patients, la narcolepsie commence avant l'âge de 10 ans. A cette période, « parce que l'on est en pleine croissance, parce qu'il y a souvent un mauvais usage des écrans, la somnolence est généralement associée à l'hygiène de vie plutôt qu'à la pathologie », explique Manon Brigandet, présidente de l'ANC. Mais « la somnolence n'est pas la même en cas de surexposition aux écrans, de dépression, d'obésité ou de narcolpesie, alerte le Pr Dauvilliers. Entre deux accès de sommeils, les narcoleptiques sont en forme. »
Les signes qui alertent
Dans sa forme la plus fréquente (narcolepsie de type 1 ou NT1), cette pathologie est associée à des cataplexies, épisodes de chute du tonus musculaire, qui peuvent concerner une partie ou l'ensemble du corps, avec un risque de chute brutale. Cela se manifeste, par exemple, par le relâchement des muscles du visage, pouvant entraîner une ouverture involontaire de la mâchoire, accompagnée d'une « protrusion inhabituelle de la langue ». « La survenue des cataplexies est souvent liée à une émotion, la plupart du temps positive, comme le rire », précise le Pr Dauvilliers. D'autres symptômes doivent alerter : troubles cognitifs incluant des difficultés de concentration, troubles métaboliques, hallucinations à l'endormissement ou au réveil, hyperactivité qui se développe pour compenser l'envie de dormir ou encore prise de poids rapide au début de la maladie. En effet, les grignotages sont plus fréquents, a fortiori la nuit, témoigne Anne Berton, membre de l'ANC, expliquant que l'effort que produit sa mâchoire quand elle mange la tient éveillée. « On ne parle pas de cinq ou six kilos mais de plusieurs dizaines », souligne le Pr Dauvilliers. « Moi qui étais ultra sportive, j'en ai pris vingt en un an », poursuit Anne.
« Si les causes de la narcolepsie de type 2 demeurent mal connues, le type 1 est dû à la destruction, souvent dans l'enfance, d'un groupe de neurones de la partie latéro-dorsale de l'hypothalamus (...), liée à la conjonction d'une prédisposition génétique et de facteurs environnementaux (exposition à une infection de type grippal, notamment) avec, semble-t-il, la mise en jeu de facteurs auto-immuns », détaille Bioprojet.
Des médecins peu (in)formés
Face au manque de connaissances des professionnels de santé, 80 % des patients s'autodiagnostiquent via Internet. « J'ai fait beaucoup de formations sur la narcolepsie à destination des médecins et des pédiatres ; ils ne venaient pas, prétextant qu'ils n'ont pas le temps ou ne s'intéressent pas à cette maladie 'trop rare'. Alors j'ai un peu lâché l'affaire... », admet le Pr Dauvilliers. « On ne peut pas leur en vouloir, il y a tellement de maladies rares... Mais c'est tout l'intérêt d'une campagne grand public : sensibiliser tout le monde ! », estime Anne Berton. Elle incite les personnes qui se reconnaissent à consulter leur médecin traitant ou un spécialiste du sommeil qui évaluera, dans un premier temps, leur somnolence diurne. Ils les dirigeront, ensuite, en cas de besoin, vers un centre de référence pour réaliser un enregistrement du sommeil la nuit (polysomnographie) et un test itératif de latence d'endormissement (TILE), qui vise à identifier l'apparition précoce du sommeil paradoxal (moins de 15 minutes), typique en cas de narcolepsie.
RQTH ou ALD possibles
Le diagnostic permettra ensuite de bénéficier d'une prise en charge personnalisée. « Au lycée, le médecin scolaire a mis en place un projet d'accueil individualisé (PAI) afin que Myriam puisse faire des siestes au cours de la journée et prendre son traitement, explique son père. Elle poursuit aujourd'hui ses études de communication après une scolarité difficile, mais sans échec. » Sous certaines conditions, certains salariés peuvent obtenir une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ou une prise en charge en Affection de longue durée (ALD). Le traitement de la narcolepsie repose également sur la prise en charge comportementale, avec des recommandations d'hygiène de vie (horaires de coucher réguliers, éviction des privations de sommeil, siestes, activité physique et alimentation adaptées), une aide psychosociale et la prescription de médicaments (éveillants et/ou stimulants, antidépresseurs et oxybate de sodium).
Un médicament bien toléré
Parmi les médicaments « éveillants », le pitolisant (Wakix), développé par Bioprojet, peut désormais être utilisé chez l'enfant de plus de six ans. « C'est un traitement très bien toléré (une prise le matin), sans anomalie clinique sévère. Ce qui n'est pas négligeable dans le cas d'une maladie chronique à vie », estime le Pr Dauvilliers. Une récente étude randomisée portant sur 110 patients* révèle son « efficacité significative » contre les cataplexies et la somnolence diurne excessive. « L'arrivée du pitolisant dans le traitement de la narcolepsie de l'enfant vient enrichir l'arsenal thérapeutique et augmente les chances de trouver le bon traitement, la bonne alliance entre médicaments et modes de vie. Chaque patient est différent et doit trouver sa propre combinaison. C'est pourquoi il est important de bien s'informer afin de choisir la meilleure stratégie », conclut Manon Brigandet.