Diabète : des métiers encore interdits malgré la loi

Le diabète, critère rédhibitoire pour devenir militaire, pompier... ? Malgré la législation interdisant toute exclusion d'office, de nombreuses personnes diabétiques continuent d'être écartées de certains métiers. Témoignages et pistes d'action.

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Une femme, disposant d’une pompe à insuline, se sert de l’eau.

Sapeur-pompier, gendarme, marin-pêcheur... Malgré les dispositions légales qui interdisent toute exclusion d'office, de nombreuses personnes vivant avec un diabète, particulièrement de type 1, continuent d'être exclues de certaines professions. La Fédération française des diabétiques (FFD) profite de la récente fête du travail pour alerter sur ces discriminations persistantes en emploi.

Déclaré inapte lors de la visite médicale

« Inapte. » Chaque année, c'est le même verdict qui s'impose à Boris. Froid. Brutal. « Injuste. » Ce technicien archiviste tente d'intégrer la réserve de la gendarmerie depuis 2023 mais le SIGYCOP - un profil médical permettant de déterminer l'aptitude d'un individu à exercer notamment dans l'armée ou chez les sapeurs-pompiers - fait barrage. Alors, en 2024, il tente sa chance auprès de la réserve de la police nationale qui, elle, ne dépend pas du SIGYCOP mais d'une « aptitude médicale ». « Lors de la visite médicale, tout s'est arrêté à la minute où le médecin a vu ma pompe à insuline », confie-t-il. « Ce n'est pas la peine, vous êtes de type 1 », lui assène le professionnel de santé, refusant de lire son dossier consciencieusement préparé. « J'avais imprimé tous mes relevés de glycémie, des attestations de la protection civile, de mes employeurs, un rapport de ma diabétologue... Il n'a même pas pris la peine de le feuilleter », se souvient-il, amer.

Le diabète, une cause d'inaptitude d'office

« On ne nous laisse même pas l'opportunité de nous défendre, s'insurge le quadragénaire. Je n'ai pas pu passer de tests physiques pour montrer que j'étais apte. » « Malgré la loi n° 2021-1575 du 6 décembre 2021 relative aux restrictions d'accès à certaines professions en raison de l'état de santé, qui impose une évaluation individuelle de l'aptitude, le diabète continue donc, en pratique, à être une cause d'inaptitude d'office et d'être la seule justification de ces inaptitudes », martèle Jeanne Prat-Diquelou, juriste au service Diabète et droits de la Fédération française des diabétiques. 

La méconnaissance du diabète et des évolutions médicales

L'objet de la réticence de ces médecins ? Le risque d'une crise d'hypo ou d'hyperglycémie. « Mais n'importe qui, même quelqu'un en bonne santé, peut faire un malaise au travail. En 11 ans de diabète, ça m'est arrivé deux fois sur mon lieu de travail et aucun n'a nécessité une intervention extérieure », plaide celui qui possède une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Le problème majeur, selon lui, c'est la méconnaissance. « Nous sommes jugés par des médecins qui, pour certains, ne connaissent pas les dispositifs médicaux modernes, révèle-t-il. En 11 ans, j'ai constaté une évolution incroyable : je suis passé des stylos d'insuline aux pompes intelligentes qui ajustent automatiquement les doses et, de ce fait, limitent les risques. Et, pourtant, on me refoule encore à cause d'une vision dépassée du diabète, alors même que, sur le terrain, les forces de l'ordre peinent à gonfler les rangs. »

Le manque de communication sur l'évolution des modalités d'évaluation

Jeanne Prat-Diquelou pointe également un manque de communication des ministères auprès des médecins d'aptitude sur les modalités d'évaluation. « Comme pendant longtemps le diabète était une cause d'inaptitude d'office, les médecins continuent d'appliquer l'ancienne règle… » « Nous reconnaissons que certaines missions peuvent être difficilement accessibles pour certains. En revanche, il est inadmissible qu'un diabète, et de surcroît un diabète bien équilibré et sans complications, ferme la porte à TOUS les postes », ajoute-t-elle.

Des cas loin d'être isolés

Le cas de Boris est loin d'être isolé... Amélie raconte avoir été brutalement écartée d'un processus de recrutement pour devenir aiguilleuse du rail, après six mois de démarches, éprouvant « beaucoup de frustration et de déception ». Lillian, recalé de la réserve policière, se souvient du regard de l'infirmière en découvrant son diabète : « Il disait tout : peu d'espoir. »

Les recours pour contester l'inaptitude

Quels recours pour ces travailleurs opiniâtres ? « L'avis médical d'inaptitude peut être contesté. Dans un premier temps, la contestation s'effectue devant un collège de médecins (qui porte un nom différent selon les corps de métiers). Ce 'recours gracieux' doit être effectué dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'avis médical. Généralement, la réponse est livrée en quelques semaines », détaille Jeanne Prat-Diquelou, qui accompagne, via la Fédération, des dizaines de personnes concernées. En cas de confirmation de l'inaptitude, il est possible d'engager une procédure devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois, un acte toutefois chronophage (un à deux ans en moyenne).

Une plainte contre le ministère de l'Intérieur

C'est le combat que Boris a décidé de mener, pas seulement pour lui mais « pour toutes les personnes diabétiques qui souhaitent s'engager au service de la collectivité ». Après un recours gracieux rejeté en 2024, l'homme décide de porter plainte contre le ministère de l'Intérieur pour discrimination. L'affaire est aujourd'hui entre les mains du tribunal administratif de Rennes. En attendant, Boris sensibilise associations, parlementaires et ministres à cette « injustice sournoise », tandis qu'il s'apprête à retenter sa chance auprès de la réserve de la gendarmerie, après la levée récente du SIGYCOP.

Quels risques pour les employeurs ?

« En cas de recours administratif, les employeurs, c'est-à-dire bien souvent l'État, risquent d'être condamnés à intégrer la personne victime de cette évaluation automatique mais aussi de lui rembourser les frais de justice et éventuellement de lui verser des dommages et intérêts », indique Mme Prat-Diquelou, se basant sur plusieurs jugements dans lesquels le tribunal a enjoint le préfet à intégrer ou réintégrer la personne au sein de l'école de police ou bien au sein de ses fonctions. « Mais, surtout, les employeurs perdent en crédibilité en continuant d'appliquer ces règles archaïques et risquent de se priver d'excellents éléments en très bonne santé ! »

Des obstacles aussi dans le maintien à l'emploi

D'autant que ces obstacles ne concernent pas uniquement l'accès à l'emploi : le diagnostic d'un diabète est aussi, bien trop souvent, synonyme de précarité professionnelle. « De nombreux travailleurs se retrouvent licenciés ou poussés à quitter leur poste, sans solution d'adaptation ni véritable dialogue », constate la Fédération française des diabétiques. Cédric, agent de voie à la SNCF, et Yannick, employé de fret SNCF, en ont fait les frais. Bien qu'ayant un diabète « parfaitement équilibré » et un « suivi médical strict », ils ont, eux aussi, été déclarés inaptes. « J'ai prouvé que mon diabète ne me posait aucun problème mais j'ai été écarté sans explication », témoigne Cédric, qui assure faire de l'exercice régulièrement et n'avoir jamais eu de malaise au travail. Même topo pour Yannick, malgré une maîtrise rigoureuse de sa maladie et des dispositifs de sécurité déjà en place dans les trains. « Je suis conscient des risques. Je suis formateur, un formateur expérimenté et intransigeant qui aime transmettre ses connaissances, assure-t-il. On ne transige pas avec la sécurité. De plus, il y a plein d'automatismes qui arrêtent le train en cas de défaillance du conducteur : les trains ont tous des alertes pour assurer la sécurité, c'est la règle de fonctionnement normale. »

Combattre cette « injustice systémique »

Yohan, marin-pêcheur, a lui aussi perdu son emploi malgré de nombreuses preuves médicales de la stabilité de son état de santé et plusieurs propositions concrètes pour renforcer davantage la sécurité à bord. « Mon cousin était prêt à équiper le bateau de tablettes connectées, et le syndicat a même proposé que l'on équipe un autre marin d'une pompe à insuline vide pour démontrer que cela ne posait aucun problème avec l'habit de marin ! » Après avoir plaidé sa cause devant plusieurs commissions médicales, il reste inapte selon les autorités maritimes. « Ces témoignages illustrent une injustice systémique, dénonce la FFD. Il est crucial de mettre en place des solutions concrètes pour garantir une réelle étude au cas par cas, permettant aux personnes qui en ont les capacités d'exercer des métiers comportant des conditions d'aptitude spécifiques. »

© Maya Holt de baseimage

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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