Par Emmanuel Barranguet
De cette collaboration entre un artiste outsider, héritier de l'art brut, et un artiste professionnel, est née une BD, « Vivre à FranDisco », où le dessinateur bruxellois a capturé l'imagination fertile de Marcel Schmitz, un artiste trisomique de 49 ans. La BD est présentée à Aix pour le festival, et la ville exposée à la Fondation Vasarely, jusqu'au 21 mai 2016. La ville tentaculaire et fantasque de Marcel Schmitz, faite de scotch et de carton, accueille une tour de Pise, des tours jumelles de New York ou encore une usine à chicons (endives), la principale ressource de la cité.
Marcel, une passion pour l'architecture
Elle a pris son essor à la « S Grand Atelier », une association intégrée à l'institution Les Hautes Ardennes à Vielsalm, en Belgique. Marcel « a toujours eu la passion de l'architecture », se rappelle la fondatrice et directrice de « la S », Anne-Françoise Rouche. Arrivé en 2007 à Vielsalm à la mort de son père, « il voulait dessiner des bâtiments, l'animateur a senti sa frustration de ne pas réussir à exprimer les volumes. Il lui a expliqué la perspective : les trisomiques ont accès à une forme d'apprentissage », précise-t-elle. « Il a commencé à dessiner en 3D, mais cela ne lui suffisait pas visiblement. Un jour il a fabriqué un volume en carton, il l'a recouvert de scotch carrosserie... FranDisco était née ». La ville a commencé par la cathédrale, raconte Thierry van Hasselt, et tire son nom de San Francisco, l'artiste déficient étant fasciné par le Golden Gate.
Un coup de foudre pour cette ville en carton
Le dessinateur bruxellois avait déjà travaillé avec des personnes déficientes mentales à la « S », mais il a eu un véritable "coup de foudre" pour la curieuse ville de carton. « Mais moi je n'aurais jamais pu dessiner les choses de cette manière, il y a dans FranDisco une espèce de folie poétique, de désinvolture, c'est complètement farfelu », commente-t-il. Thierry van Hasselt sortira sa BD « Vivre à FranDisco » (Frémok) pour le festival, son premier livre depuis 8 ans et « Heureux, Alright ! ». L'auteur a choisi un livre sans bulles, car « il faut laisser la place à l'interprétation, le muet donne un temps ralenti, dilaté, il s'agit surtout d'une errance contemplative », décrit-il. Avec Marcel Schmitz, « on est dans l'échange pur, pas dans la thérapie, on n'est pas des éducateurs ni des animateurs », explique le dessinateur. « Je ne fais pas ça comme une bonne action, pas du tout », prévient-il, évoquant une collaboration « comme avec n'importe quel artiste : on a quelque chose à donner et quelque chose à prendre ». Thierry Van Hasselt a offert à son « pote » une certaine notoriété et la possibilité de voyager, l'exposition ayant été en résidence à Charleville-Mézières, à Genève ou à la Fondation Agnès B à Paris. Il l'a aussi intégré dans sa BD.
L'artiste a la « grosse tête »
Au début de leur collaboration, chacun des deux travaillait de son côté, l'un sur sa maquette et l'autre sur son livre, mais la frontière a vite été abolie. Marcel Schmitz a dessiné quelques-uns des personnages, notamment un Saint-Nicolas et des enfants de chœur, et des véhicules. De son côté le dessinateur, qui se garde bien de construire le moindre bâtiment, a suggéré l'idée d'installer la Fondation Vasarely d'Aix et ses couleurs à FranDisco. La fondation reçoit les deux artistes pendant les trois jours du festival, notamment pour une performance, où ils travailleront devant le public, puis accueille l'exposition jusqu'au 21 mai 2016. Désormais « Marcel est la star de l'institut, il a la grosse tête », plaisante Thierry Van Hasselt. Agrandir FranDisco « rend Marcel heureux », et son statut d'artiste « a fait évoluer le regard de sa famille sur lui », ajoute Anne-Françoise Rouche. Le projet « Vivre à FranDisco » est « à la fois artistique et humaniste », explique-t-elle. « C'est dommage qu'on envisage nos artistes outsiders seulement par leur déficience, ils ont des compétences, une vraie spontanéité aussi », conclut celle qui est représentée... en Madone de FranDisco.
© Dessin : Thierry Van Hasselt