La « disparition » de l'Allocation adulte handicapé est-elle programmée dans le cadre du futur Revenu universel d'activité (RUA) ? Oui, affirment d'une même voix quatre associations majeures représentantes des personnes en situation de handicap (Apajh, APF France handicap, Unafam et Unapei) dans un communiqué le 4 février 2020. Face à ce qu'elles qualifient de « simulacre de concertation organisé depuis sept mois par le gouvernement », elles décident de la quitter, au motif que leur parole « n'est jamais entendue ». Ce collectif dit refuser « fermement une réforme qui viendrait dégrader les droits des personnes en situation de handicap ».
Un refus majoritaire
Depuis le mois de juin, les associations du champ du handicap ont participé « activement » aux travaux sur la création du revenu universel d'activité, qui vise à simplifier le système des minima sociaux en France. Le RUA, qui pourrait concerner près de 15 millions de personnes à l'horizon 2023, doit intégrer les actuels RSA, prime d'activité et allocations logement mais aussi, éventuellement, l'AAH et le minimum vieillesse, voire d'autres prestations. Mais, depuis le début, elles ont rappelé que l'AAH n'est « pas un minimum social » et a une « vocation spécifique » car ce sont les conséquences des déficiences et incapacités de la personne qui fondent l'accès à cette allocation et non pas seulement la situation de vulnérabilité sociale. Lors de la grande consultation citoyenne menée sur ce sujet, 61 % des votants se sont à leur tour prononcés contre l'intégration de l'AAH dans le RUA (article en lien ci-dessous). Mais, selon ce quatuor, le « gouvernement s'entête à ignorer nos alertes ».
Une décision déjà prise ?
Les quatre associations affirment que les « ministres et conseillers de l'Elysée laissent clairement entendre que (cette) décision est déjà prise, contredisant au passage les techniciens qui animent la concertation devenue, de fait, inutile ». « Ce ne sont pas seulement des bruits de couloirs, assure Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh. Nous avons eu des alertes très claires à trois reprises, dont une de la bouche même de la secrétaire d'Etat au Handicap, Sophie Cluzel. On tente de nous convaincre que l'intégration de l'AAH serait la meilleure solution et à quel point notre raisonnement est erroné. L'Elysée nous a même demandé de ne pas quitter la concertation avant la fin… ». « A quoi bon si la messe est déjà dite ? », questionne-t-il, faisant le parallèle avec la réforme contestée des retraites, des « dossiers sur lesquels le gouvernement avance comme un technicien sans en mesurer les conséquences ». Selon lui, la conception du RUA fissure les acquis de la loi handicap de 2005.
Vains espoirs ?
« La communication gouvernementale se veut rassurante, ajoute Jean-Louis Garcia, mais bien peu continuent d'y croire ». Le 28 janvier 2020, le Collectif handicaps, qui rassemble 47 associations du champ du handicap (article en lien ci-dessous), a vu le jour, assurant, lui aussi, mettre le refus de l'intégration de l'AAH dans le RUA au premier rang de ses combats. Pour autant, il n'a pas suivi l'actuel élan de désertion. « Parce que certains gardent espoir, répond Jean-Louis Garcia, et préfèrent aller au bout de la concertation. » De son côté, Jérémie Boroy, fraîchement nommé à la présidence du Cncph (Conseil national consultatif des personnes handicapées), explique « qu'il ne peut y avoir de réforme d'une telle ampleur sans l'adhésion des principaux intéressés. Des inquiétudes sont exprimées, entendons-les, levons les incompréhensions qui persistent et faisons un effort collectif de pédagogie sur les contraintes des uns et les besoins des autres ». Il appelle à l'organisation d'assises sur les ressources des personnes handicapées où toutes ces questions « pourraient être développées sans détour ». Parce que « c'est son rôle », le Cncph y « prendrait toute sa part ». Les quatre associations initiatrices du boycott promettent de se mobiliser dans les prochaines semaines pour « faire entendre raison aux décideurs politiques ». Et d'ajouter : « Nous refusons d'être les témoins silencieux de la mort d'un droit acquis de longue date, et qui mérite d'être renforcé plutôt que sacrifié. »
Réponse des ministres
D'une même voix, trois ministres, Sophie Cluzel (handicap), Agnès Buzyn (santé) et Christelle Dubos (lutte contre la pauvreté), « prennent acte et regrettent la décision prise par les quatre associations ». Leur communiqué commun précise que le principe de cette intégration « n'est pas acté à ce jour » mais consent qu'elle « pourrait notamment permettre une meilleure prise en compte du supplément de solidarité qui est dû au titre du handicap dans le calcul des droits des personnes, des couples et des familles ». Selon elles, deux engagements majeurs ont par ailleurs été pris par le gouvernement : le budget alloué aujourd'hui au handicap au titre de la solidarité resterait strictement destiné aux personnes en situation de handicap et aucune obligation de reprise d'emploi ne s'appliquerait à ce public. « Pour autant, a précisé Christelle Dubos, « il est hors de question de fusionner sans différentiation entre les différents profils de bénéficiaires », et « nous avions commencé à évoquer avec les associations des scénarios où la part de prestation liée au handicap de la personne était clairement identifiée ».
Sophie Cluzel participera le jeudi 6 février au 4ème cycle de la concertation autour du RUA, qui doit se poursuivre jusqu'à l'été 2020, avant un projet de loi présenté au Parlement d'ici à 2021. « Ce n'est qu'à l'issue de ce travail de concertation que la décision sera prise », réitèrent les ministres. Cette levée de boucliers intervient à quelques jours de la Conférence nationale du handicap, le 11 février 2020, à l'Elysée à l'invitation d'Emmanuel Macron (article en lien ci-dessous). De quoi alimenter la grogne plutôt que le dialogue ?