Mathys, 18 ans : un destin fauché par une épilepsie sévère

En 2021, Mathys décède de la maladie de Lafora, une forme d'épilepsie rare et sévère, à l'âge de 18 ans. Deux ans après, son père dévoile son "parcours chaotique", tout en apportant un brin de lumière avec de nouvelles pistes de recherches. Poignant.

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Illustration article Mathys, 18 ans : un destin fauché par une épilepsie sévère

Il est des histoires qui bouleversent, prennent aux tripes, et que l'on doit prendre le temps de relater. Comme celle de Mathys. « Don de dieu », en hébreu. Un prénom sacré pour un sacré bonhomme. Des dons, il en a plusieurs : pour le football américain, l'équitation et l'optimisme ! C'est un enfant combatif, drôle, intelligent, ambitieux, plein de vie... Mais cette vie va s'arrêter, à tout juste dix-huit ans, à cause d'une forme extrêmement rare et sévère d'épilepsie, appelée maladie de Lafora, qui touche cinq enfants en France et environ soixante dans le monde. Deux ans après son décès, Christophe Lucas, président de l'association Epilepsie France, lève le voile sur le « parcours chaotique » de son fils, à l'occasion de la Journée mondiale dédiée à cette maladie neurologique chronique, le 13 février 2023. Un témoignage poignant pour interpeller sur le manque de recherches sur les maladies orphelines, l'insuffisance de prise en charge et de connaissances du corps médical.

Des absences passées sous les radars

17 août 2013. Mathys a onze ans lorsqu'il fait sa première crise « visible et compréhensible ». Son corps se raidit, ses muscles se contractent, puis il se met à avoir des hallucinations avant de perdre connaissance. Mais le cauchemar n'est pas terminé... Une seconde crise tonico-clonique survient, plus brutale encore, avec relâchement des urines et des selles. L'enfant perd connaissance et se réveille au service réanimation de l'hôpital de Cholet (Maine-et-Loire), où la famille est en vacances. C'est le choc, l'incompréhension. Pour lui, pour ses parents mais aussi pour les pompiers, le Samu, les soignants... « Il avait déjà eu des absences étant petit mais, par méconnaissance de la maladie, elles n'avaient jamais été identifiées comme pouvant laisser supposer une épilepsie », explique son père. Hospitalisé, Mathys subit une batterie d'examens, notamment une ponction lombaire qui tourne mal. « Les soignants ne nous ont pas prévenus qu'il devait boire beaucoup d'eau après », déplore son père. Déshydraté, Mathys fait plusieurs malaises. Cinq jours plus tard, le verdict tombe : « épilepsie ». Les parents sont orientés vers un neurologue, sans savoir que la vie de leur fils ne sera plus jamais la même...

Un départ pour l'Itep plein d'espoir

Malgré des crises tonico-cloniques régulières, environ une fois par semestre, qui nécessitent une hospitalisation, l'adolescent est systématiquement renvoyé chez lui avec, en guise de réconfort, un simple : « Ça va aller ». Une « légèreté » qui exaspère la famille. Il est rapidement mis sous Dépakine, un antiépileptique qui ne semble pas faire effet. S'ensuit une succession de traitements, de spécialistes, d'examens et d'allers-retours aux urgences... Pendant ce temps, l'épilepsie gagne du terrain. Les absences et les crises sont de plus en plus fortes, récurrentes, et les myoclonies font leur apparition, faisant trembler ses membres, son œil, ses parents aussi... « Il avait un package complet de toutes les épilepsies existantes », résume son père. A quinze ans, Mathys quitte l'école ordinaire parisienne pour un Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep) breton, spécialisé pour les personnes épileptiques. Grâce à un suivi adapté et une prise en charge immédiate des crises, la maladie se stabilise... Du moins la première année. Avant de revenir en force l'année suivante. « On a tout essayé, tous les traitements possibles, tous les dosages possibles, jusqu'à cumuler cinq médicaments. En vain. Les crises revenaient inlassablement », se souvient Christophe Lucas. En février 2019, après un épisode d'état de mal épileptique convulsif, qui s'accompagne d'une longue perte de conscience, Mathys n'est plus capable de marcher et doit se déplacer en fauteuil roulant. A seize ans, il est scolarisé à domicile, loin de ses camarades, suivi par un Sessad (service d'éducation spéciale et de soins à domicile). Un lien social insuffisant pour cet ado avide de rencontres. Ses parents décident alors de se rapprocher d'Epilepsie France, qui organise notamment des rencontres entre jeunes. « Devant eux, il n'a pas honte de faire des crises, il se sent compris », relate son père qui s'engage petit à petit au sein de l'association, jusqu'à en prendre la tête.

Une prise en charge affectée par la Covid

A l'été 2019, l'équipe de la Pitié-Salpêtrière affine le diagnostic, évoquant une épilepsie myoclonique progressive (EMP) avec un nom barbare : « Unverricht-Lundborg ». Mais le test génétique lui donne tort. C'est finalement cet automne-là que le Pr Minassian, neurologue pédiatrique, mettra fin à une errance diagnostique de six longues années. Christophe Lucas assiste à son intervention sur la maladie de Lafora à l'occasion de la conférence annuelle de la Ligue française contre l'épilepsie, et c'est le déclic. Mais il faudra encore patienter sept mois pour avoir la confirmation avec le test génétique. Entre-temps, la Covid fait son apparition, compliquant encore un peu plus la vie de la famille. « Les trois premières semaines de confinement se sont bien passées mais, la quatrième, Mathys est reparti en état de mal épileptique. Le hic, c'est qu'il n'y avait pas de prise en charge neurologique à la Pitié-Salpêtrière à ce moment-là, le service ayant été réaffecté aux patients Covid », raconte le père de famille. Seul contact possible avec le neurologue : par mail ou par téléphone. Une « catastrophe ».

La fin d'une errance, le début d'un cauchemar

A la réouverture du service, Mathys doit être hospitalisé. « Les myoclonies avaient attaqué sa langue, et on ne pouvait plus l'alimenter », révèle son père. Le jeune homme perd vingt kilos en deux semaines, il mesure alors 1m82 pour quarante kilos. Pas le choix, il faut faire une gastrotomie, une intervention qui consiste à réaliser un orifice dans l'estomac et à y adjoindre une sonde d'alimentation. Une sonde qu'il arrachera plusieurs fois à cause d'hallucinations nocturnes. Début mai 2020, le diagnostic de la maladie de Lafora, ou épilepsie myoclonique généralisée de type 2, est confirmé. Si l'errance prend fin, l'espoir d'une vie meilleure aussi. « C'est une maladie dégénérative dont l'issue est connue et pour laquelle il n'existe aucun traitement, annonce Christophe Lucas. Les enfants touchés dépassent rarement l'âge de 20 ans et perdent progressivement leurs facultés physiques et intellectuelles, en raison d'un amas anormal de glycogène dans le cerveau qui bloque les terminaisons neurologiques et provoque des crises à répétition. » Les médecins sont formels : Mathys vivra quelques semaines, quelques mois tout au plus. Pour la famille, « le monde s'écroule ». Impossible pour sa mère de retourner travailler. Son père, lui, est en pleine reconversion professionnelle pour passer d'expert-comptable à expert immobilier. Le jour, il besogne, la nuit, il veille à son chevet. Après un énième état de mal épileptique, les parents doivent se résigner à rédiger les directives anticipées de leur fils.

Le manque de solution d'accompagnement adaptée

En juin, débute un véritable parcours du combattant pour trouver un lieu où hospitaliser le jeune homme. « En France, pour les enfants qui n'ont pas de cancer, il n'existe pas de solution d'accompagnement adaptée », constate Christophe Lucas. Grâce à l'équipe relais handicap rare, qui vise à améliorer le parcours de vie des personnes en situation de handicap, il trouve une place au sein du centre médico-social Lecourbe, à Paris, dès le mois de juillet. « Malheureusement, le personnel n'était pas familier de l'épilepsie. Nous nous sommes donc relayés avec ma femme pendant neuf mois, 7 jours sur 7, 24h sur 24, pour être présent en cas de crise », confie son père. Après un mois de juillet « très difficile », août est plein d'espoir. « Mathys est en pleine forme, très souriant. » Début septembre, changement d'ambiance. Un sombre matin, l'air grave, il apostrophe son père : « Je vais mourir ». C'est la première fois que cette question est abordée. « Nous sommes tous mortels », répond son père. Se sentant pris pour un idiot, Mathys s'enferme alors dans un mutisme total, quatre jours durant. Le cinquième, il sourit à nouveau, comme si cette douloureuse discussion n'avait jamais eu lieu. « Il avait compris. Il s'était résigné », déduit son père.

Un (faux) espoir contreproductif

Dans les semaines qui suivent, son état empire, les douleurs sont de moins en moins tenables. Son père demande une place en soins palliatifs. On lui refuse, plusieurs fois, sous prétexte qu'il y aurait encore de « l'espoir ». « De l'espoir ?! », raille M. Lucas. « La méconnaissance de la maladie de Lafora a entaché sa prise en charge », estime-t-il, pointant par exemple le jour où une infirmière a voulu emmener Mathys, alors incapable de tenir debout ni même assis à la piscine. Janvier 2021, après un énième état de mal de plus de trois heures, il est emmené aux urgences, « où l'on m'empêche de l'accompagner à cause des restrictions Covid », indique M. Lucas qui doit se battre pour obtenir quinze minutes avec son fils. « On le transfère dansun box avec des adultes, dont un qui est décédé. J'étais en furie. Le lendemain, je le retrouve en service de neurologie avec la bouche en sang, des marques au poignet, s'insurge-t-il. Une horreur ! »

« Son corps abandonne en douceur »

Mathys intègre finalement l'unité de soins palliatifs d'un établissement parisien, « avec une équipe formidable, enfin ». En état de choc et paniqué à la vue de la moindre blouse blanche, il lui faudra deux jours pour se remettre. Le médecin constate les premiers stigmates de la mort : ongles violets, rejet des traitements thérapeutiques... « Vous arrivez trop tard, annonce-t-il. Mais je vais bien prendre soin de lui. » Apaisé, sous morphine, le jeune homme retrouve peu à peu le sourire et la parole. Les soignants chouchoutent le plus jeune patient depuis l'ouverture du centre. Mais, pour éviter qu'il ne s'y attache trop, le personnel change tous les jours. Les derniers moments de Mathys sont apaisés, sereins. Il rigole, parle musique, en écoute parfois, attend les résultats du Super bowl avec impatience, reçoit la visite de ses proches... Son corps « abandonne en douceur ». Soudain, son cerveau ne répond plus, seul son cœur fonctionne encore. Trois semaines après son entrée en soins palliatifs, il décède, le 27 février 2021. « Tel un vrai guerrier, il s'est battu durant neuf mois, déjouant les pronostics qui ne lui accordaient que quelques semaines », confie son père, cœur et gorge serrés.

Un ultime combat pour donner son corps à la science

Pour ce dernier néanmoins, le combat n'est pas terminé. Il doit lutter pour donner le corps de Mathys à la science afin de faire avancer la recherche sur la maladie de Lafora, selon la volonté de son fils. « Des accords internationaux ont pourtant été signés pour envoyer ses organes vitaux en Espagne et aux Etats-Unis, puisqu'aucun centre de recherches dédié n'existe en France, mais la direction de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière a bloqué le transfert », enrage le père de famille. Il obtient finalement gain de cause. Quatre mois plus tard, il apprend que son acharnement a été « très utile », ayant notamment permis de comprendre comment la laforine avait pu parvenir au cœur et aux poumons.

Encore 3 millions de dollars pour faire avancer la recherche

« Depuis, la recherche a bien avancé », se félicite Christophe Lucas, qui assure « qu'avec le nouveau parcours de soin et les dernières recommandations de la Haute autorité de santé sur l'épilepsie, la prise en charge inadaptée que Mathys a obtenue ne serait plus possible ». De nombreuses familles touchées par la maladie se mobilisent afin de collecter des fonds pour la recherche, notamment via les associations France Lafora ou encore Chelsea hope aux Etats-Unis. « D'ici une décennie, c'est une maladie que l'on devrait pouvoir soigner via le travail des cellules souches », estime Christophe Lucas, le correspondant francophone de cette dernière. Mais les rebondissements continuent... « Alors qu'un essai clinique devait être réalisé sur douze patients, le laboratoire à l'initiative a abandonné au motif que ce n'était 'pas rentable'. Les scientifiques ont tout de même accepté de revendre leurs recherches et leurs droits pour dix millions de dollars », raconte Christophe Lucas. Les familles ont déjà collecté sept ou huit millions. « Plus que deux ou trois pour faire progresser la recherche, on y croit ! », conclut-il, affirmant que d'autres expérimentations prometteuses sont en cours, notamment en Australie, où une petite fille a retrouvé la parole et peut à nouveau marcher et se nourrir seule. Le combat continue...

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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