« Faites de grandes études mais pas de travail manuel. » Cette phrase, Sylvaine Agator l'a entendue des dizaines de fois, de ses médecins souvent, de ses proches parfois. Entendue, pas écoutée. Ces petits joueurs pensaient sans doute que sa main droite atrophiée l'empêcherait de réaliser son rêve, c'est mal connaître Sylvaine. Freinée un peu, dissuadée jamais ! Aux métiers intellectuels, elle a préféré une autre voie... jonchée de pivoines, roses, agapanthes, et parfumée de passion. Qu'elle a bien fait ! A 29 ans, cette formatrice fleuriste vient de remporter la médaille d'or en art floral des dixièmes internationaux Abilympics. Organisée tous les quatre ans par l'association Abilympics France, cette compétition mondiale des métiers 100 % handicap, se déroulaient du 23 au 25 mars 2023 à Metz (Moselle). 443 candidats, issus de 27 pays, ont mis en lumière l'excellence professionnelle des personnes en situation de handicap sensoriel, moteur, mental et psychique via 44 épreuves. Une aventure humaine et professionnelle spectaculaire pour montrer que le talent n'a ni frontières ni limites !
Les paralympiques des métiers
Contraction de l'anglais « abilities » (compétences) et « olympics », les Abilympics sont aux concours de métiers ce que les Jeux paralympiques sont au sport. C'est la deuxième fois que cet événement est organisé en France, après Bordeaux en 2016. Ce dixième anniversaire aurait dû être célébré l'été 2022 en Russie mais il a été reporté et déplacé en raison de l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. Boulangerie, soudage, coiffure, couture, photographie, création de page web, assemblage cycles… Les 43 talents tricolores concouraient dans 26 épreuves métiers dont 15 en commun avec la sélection régionale WorldSkills Grand Est qui se tenait conjointement, comme un symbole d'inclusion, au Parc des expositions. Selon les catégories, ils ont été sélectionnés sur dossier, entretiens ou via des concours régionaux ou nationaux. A l'instar de vrais champions, ils sont accompagnés depuis plusieurs mois, techniquement et mentalement, par des formateurs, préparateurs, coachs experts afin d'être au meilleur de leur forme le jour J.
Un peu de contradiction, beaucoup de motivation !
« Tous ces mois d'entraînement ont fini par payer ! », se réjouit Sylvaine Agator. C'est grâce à un élégant bouquet printanier et une composition pour un hall d'hôtel incarnant le « chic à la française » qu'elle a remporté le titre... haut la main, devant sa compatriote, Célia Pignou, et un Coréen. Pourtant, c'était loin d'être gagné d'avance. « Quelques mois plus tôt, je me disais qu'une seule chose m'était impossible : la palissade. Cette technique nécessite force et précision, tout ce qui est contre-indiqué avec ma main. Au final, c'est ce que j'ai fait lors de l'épreuve », ajoute-t-elle, admettant un « 'petit' esprit de contradiction ». « Dans le ventre de ma mère, ma main gauche n'était jamais visible », confie la jeune femme. Aujourd'hui, Sylvaine la montre fièrement, « même si elle est plus petite et moins développée que la main droite et qu'il lui manque une phalange ». Et, pour couronner le tout, Sylvaine est gauchère. « Pour réaliser mes créations, je m'aide beaucoup de mon avant-bras et je compense avec mon côté droit », explique la porte-drapeau de l'équipe de France, ravie de montrer qu'on « peut faire un gros bouquet avec une petite main ». « Les Abilympics ont changé ma vie. Avant, je ne parlais pas du tout de mon handicap, j'avais peur que ça me mette des barrières, aujourd'hui j'en parle de façon libérée », se félicite-t-elle.
Une ouverture en grande pompe
Le 22 mars, Sylvaine a mené la team « bleu blanc rouge »... d'une main de maître, lors de la cérémonie d'ouverture. Un moment « magique », un « rêve » devenu réalité pour la jeune femme qui se dit fière d'avoir pu incarner « les valeurs de l'inclusion et le savoir-faire français ». Les 400 autres candidats ont défilé, drapeaux au vent, sur la scène des Arènes de Metz, sous les applaudissements des centaines de spectateurs présents et l'œil avisé des maîtres de cérémonie, Théo Curin, athlète quadri-amputé et ambassadeur de l'évènement, et Louise Ekland, journaliste. Cette soirée en grande pompe a débuté avec une symphonie gracieusement exécutée par William Theuviot, pianiste autiste de haut niveau, et s'est clôturée avec le show tonitruant du groupe de rock français Skip the use, qui a notamment collaboré avec le champion handisport d'escalade Philippe Ribière (Lire : Philippe Ribière, handi-grimpeur, dans un clip très "roc"). Entre-temps, le duo Univerdanse, composé d'un danseur en fauteuil roulant et un « valide », a enchaîné les pirouettes avec une aisance « renversante », tandis que le maire a fait un discours enflammé sur la ville de Metz, « capitale dans l'Empire romain et aujourd'hui l'une des plus belles villes d'Europe ».
Théo Curin, un ambassadeur quadruplement inspirant
Plus qu'une récompense personnelle, les participants sont en quête d'une reconnaissance universelle de la performance des personnes en situation de handicap. L'enjeu : faciliter leur intégration professionnelle. Pour ce faire, l'évènement met un coup de projecteur sur les initiatives liées au handicap, à la formation, à l'insertion, via des rencontres avec les partenaires, un espace emploi, des conférences pour les professionnels et le grand public. Celle de Théo Curin fait salle comble. Il faut dire qu'à 22 ans à peine, ce jeune quadri-amputé a un parcours fascinant. Entre humour et émotions, l'athlète se livre sur sa jeunesse, sa famille, sa méningite... « Un matin, je me lève avec 42°C. J'étais déjà en quête de record », raille-t-il. Il raconte aussi son entrée en centre de rééducation, le poid du regard des autres, l'isolement, sa rencontre avec « celui qui a changé sa vie », le challenger quadri-amputé Philippe Croizon, son parcours sportif et ses défis fous : la traversée du Lac Titicaca (108 km de nage en 10 jours dans une mer déchaînée) ou encore la Santa-Fe Coronda (57 km de nage en 8h52, rien que ça !). Mais sa plus grande fierté, c'est « d'être Lorrain », révèle-t-il, sous les acclamations d'un public un brin chauvin.
Aujourd'hui chroniqueur, auteur, conférencier, égérie de grandes marques, il ne cherche pas à « en mettre plein la vue », simplement à inspirer. « Je ne suis pas un surhomme, encore moins un héros, je suis comme tout le monde », assure-t-il, exhortant à « s'accorder le droit de rêver... grand ». Et, comme s'il n'avait pas suffisamment de cordes à son arc, le jeune homme a testé quatre épreuves en compétition aux Abilympics : l'art floral, l'informatique, la photographie et la pâtisserie. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'est régalé !
La France s'empare de l'argent au tableau des médailles
Après trois jours de compétition intensive, rythmés par le stress, la réflexion, la concentration, le doute, l'attente, les larmes, de joie et de tristesse, l'heure du verdict a sonné. Avec 29 médailles au compteur (10 en or, 11 en argent et 8 en bronze), la France s'empare de la deuxième place au classement général, derrière la Corée du Sud (31 médailles) et devant Taiwan/Taipei chinois (20). « Ces deux médailles représentent une revanche sur la vie qui ne nous fait pas de cadeau. On montre au monde que même si nous sommes différents, on peut atteindre nos objectifs et même les dépasser ! », se réjouit Brice Vizler, boulanger. Pour d'autres, ces récompenses sont une victoire de plus, une étape, tant professionnelle que personnelle. Quant à Edwin (photographie reportage), Océane (tailleur) ou Néo (assemblage d'ordinateurs), arrivés au pied du podium, ils ont promis de retenter l'aventure dans quatre ans pour « montrer que les personnes handicapées peuvent non seulement faire tous les métiers, mais aussi exceller ».
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