À l'heure où la France s'apprête à légiférer sur l'aide à mourir, une question essentielle n'est pas suffisamment abordée : que deviennent ceux qui ne peuvent ni formuler une demande, ni donner leur consentement éclairé ? Les personnes les plus vulnérables - enfants ou adultes autistes non verbaux, ou souffrant d'une déficience mentale, ou encore atteints de polyhandicap lourd - sont quasiment absents du débat public. Notre collectif national de familles et de personnes autistes n'a pas été entendu par les différentes commissions comme si l'État tentait d'évacuer ces questions.
« Quel avenir pour mon enfant après moi ? »
Depuis quelques semaines, dans notre association, nous recevons des appels de parents inquiets. Ces familles vivent, parfois depuis des décennies, aux côtés d'enfants qui ne parlent pas, qui ne communiquent pas de manière classique. La question qu'ils posent est simple : qui veillera sur leur enfant lorsqu'ils ne seront plus là ? Dans un cadre légal où l'aide à mourir repose sur « le consentement libre et éclairé », que se passe-t-il lorsque le consentement est impossible à établir ? Et que deviendra celui qui ne parle pas ? Celui qui ne peut dire ni « je veux », ni « je refuse » ? Qui portera sa voix et sa volonté intérieures, quand les familles ne seront plus là pour le faire, pour traduire ?
Des pensées suicidaires en réaction à l'exclusion
Mais il ne s'agit pas seulement des autistes qui ne parlent pas : certains adultes autistes, capables d'exprimer leur mal-être, disent parfois vouloir mourir. Non pas parce qu'ils sont atteints d'une mal incurable, mais parce qu'ils vivent dans une société qui ne les comprend pas, les marginalise, les isole. Beaucoup expriment des pensées suicidaires. Ces idées peuvent faire partie des épisodes anxieux et dépressifs qui accompagnent certaines formes d'autisme - en particulier lorsque la personne n'est ni intégrée, ni accompagnée, et qu'elle est victime d'exclusion.
« Garantir une chance de vivre ! »
Il ne suffit pas de garantir une liberté de mourir si l'on ne cherche pas à garantir une chance de vivre pour les plus fragiles. Dans ce contexte, on ne peut pas éluder une question essentielle : que devient une demande de mort, lorsqu'elle naît d'un vide de mots, de soutien ou de reconnaissance ? Et que se passe-t-il si la société répond à cette détresse, non pas par plus d'écoute, mais par une porte de sortie légale ? La détresse est-elle un consentement ?
La détresse d'une personne autiste, un consentement ?
Le cas du Canada nourrit malheureusement ces questionnements légitimes. Ce pays, initialement très protecteur, a peu à peu élargi l'accès à l'aide médicale à mourir, y compris à des personnes souffrant de détresse psychique ou de handicap. En 2024, une jeune femme autiste de 27 ans a été autorisée à recourir au suicide assisté, au nom de l'autodétermination, malgré l'opposition de son père. Ce pays avait-il fait tout ce qui était possible pour lui offrir une vie digne, avant d'accepter sa mort comme une option ? Donc une question demeure : peut-on considérer le silence ou la détresse d'une personne autiste ou de sa famille comme un consentement ?
« Une vie difficile ne vaut pas moins qu'une autre »
Ce que demandent les familles et notre association, ce n'est pas un blocage de la loi. C'est d'être entendu. C'est une exigence : que la vulnérabilité, l'isolement ou le silence ne deviennent jamais des critères implicites d'éligibilité à la mort. Que la société prenne le temps d'explorer toutes les solutions de vie avant de légiférer sur la fin. Autrement dit : qu'on ne confonde pas le désespoir d'un moment avec une volonté irréversible. Et que l'on n'accepte pas, par résignation ou logique budgétaire qu'une vie difficile vaille moins qu'une autre.
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