« Le diagnostic a été un soulagement. J'ai compris que je n'étais pas folle, ni inférieure aux autres. » En quelques mots, Magali Pignard résume ce que vivent des milliers d'adultes autistes restés dans l'ombre. Le verdict est tombé à 39 ans, après le diagnostic de son fils. Cette militante et autrice a enfin pu mettre des mots sur des années d'incompréhension, de doutes et d'isolement. Et elle est loin d'être un cas isolé. Certains découvrent leurs troubles du spectre autistique (TSA) à 45, 50, parfois même 70 ans, après une vie entière passée à s'adapter, masquer, souffrir en silence.
Un accès aux soins et à une vie socioprofessionnelle complexe
Selon une étude publiée dans la revue scientifique Annual review of developmental psychology en septembre 2025, 89 à 97 % des personnes autistes de plus de 40 ans ne seraient toujours pas diagnostiqués au Royaume-Uni. Certains spécialistes estiment que la situation pourrait être similaire en France, mais aucune donnée officielle n'existe à ce jour. L'étude souligne également que ces adultes ont un accès aux soins plus difficile et rencontrent des obstacles dans le monde professionnel, amical et intime.
L'autisme longtemps associé à la déficience intellectuelle
Pourquoi cette déconnexion entre l'âge et le diagnostic ? « Parce qu'il y a une génération entière à qui l'on n'a jamais parlé d'autisme sans déficience intellectuelle. Jusqu'à la parution du DSM-5 en 2013, les critères diagnostiques étaient très restrictifs », répond Marie-Maude Geoffray, psychiatre, praticienne hospitalière et chercheuse clinicienne. Résultat : des milliers d'enfants devenus adultes sont passés entre les mailles du filet. « Aujourd'hui, on reconnaît un spectre bien plus large », se félicite-t-elle, mais le changement de définition n'a pas été immédiatement intégré par tous les professionnels de santé. « Encore beaucoup de psychiatres ne sont pas formés au repérage des TSA sans déficience intellectuelle, constate la spécialiste. En conséquence : des adultes sont diagnostiqués bipolaires, anxieux, voire borderline, alors qu'ils sont autistes. » (Kanye West : de la bipolarité à l'autisme, frontière floue?)
Les TSA souvent confondus avec les troubles psychiques
Certains symptômes de ce trouble neurodéveloppemental qui concerne 1 % de la population française peuvent, en effet, s'apparenter à des troubles psychiques. « Les personnes autistes peuvent avoir des phases de grande prolixité sur un sujet spécifique, ce qui peut ressembler à la phase maniaque de la bipolarité. A contrario, leur isolement peut être pris pour une dépression », explique Marie-Maude Geoffray. « On ne peut pas faire une IRM pour prouver qu'une personne est autiste. Tout repose sur l'observation clinique et l'expérience du médecin », poursuit-elle. Et cette subjectivité peut mener à de nombreuses erreurs, de nombreuses douleurs. « Quand on confond un TSA avec un trouble bipolaire, on peut prescrire un traitement inadapté, avec des effets secondaires lourds. Il faut consulter plusieurs psychiatres au moindre doute », alerte-t-elle.
Une souffrance invisible et une attente interminable
Cette errance peut durer des décennies, a fortiori pour les femmes, d'autant plus difficiles à identifier en raison de symptômes parfois différents de ceux des homes et d'une capacité accrue à « masquer » leur handicap (Autisme : les femmes disent stop au diagnostic tardif !). En cause également : des structures surchargées face à la croissance exponentielle des sollicitations. Magali Pignard, elle n'a attendu « qu'un an » entre sa demande et la pose de son diagnostic. « Dans ce contexte, c'est long, très long ! Pendant toute cette année, j'avais besoin d'être validée. Je me faisais des listes de symptômes typiques Asperger ou non », confie-t-elle. Lorsque la jeune femme reçoit enfin la confirmation, c'est une libération : « J'ai trouvé qui je suis. Je me suis pardonnée. » Mais si Magali a eu la force « d'aller chercher ce diagnostic », nombreux sont ceux qui n'osent pas, par peur d'être jugés, incompris, ou tout simplement invisibilisés par un système de santé saturé et peu formé. Sans parler des proches, parfois dans le déni : « Mon entourage n'a pas pris le diagnostic au sérieux. Ils se comportent, encore aujourd'hui, comme si de rien n'était », déplore-t-elle.
Des conséquences graves pour la santé mentale
Cette errance n'est pas seulement synonyme de perte de temps, elle pèse lourdement sur la santé mentale de celles et ceux qui la subissent. De nombreuses études montrent que les personnes autistes ont une prévalence élevée de troubles associés, notamment liés au sommeil. Selon un rapport de la Haute autorité de santé (HAS), « l'anxiété est le trouble psychiatrique le plus fréquent parmi les troubles associés à l'autisme ». Plusieurs revues scientifiques confirment également qu'un nombre non négligeable d'entre elles feront face à des épisodes dépressifs au cours de leur vie, même si les taux varient selon les études et les profils. Sans diagnostic, pas de prise en charge adaptée. Et les conséquences sont dramatiques : isolement et souffrance psychique accrus, voire risque suicidaire.
Se faire diagnostiquer après 40 ans : mode d'emploi
Bonne nouvelle : il n'est jamais trop tard pour poser un diagnostic. Premier réflexe ? Consulter son médecin traitant, qui pourra orienter vers un psychiatre formé au repérage des TSA ou vers des structures spécialisées comme les Centres ressources autisme (CRA), présents dans chaque région. Ces centres pluridisciplinaires, qui réunissent psychiatres, psychologues, orthophonistes et autres spécialistes du neurodéveloppement, proposent des bilans complets, coordonnent le parcours de soins et orientent vers des prises en charge adaptées. « Ils sont parfois débordés mais restent un passage essentiel pour un diagnostic fiable », souligne le Dr Geoffray.
Autre piste : les centres experts FondaMental, qui accueillent adultes et enfants dans une approche transversale, mêlant clinique et recherche. Leur mission : affiner le diagnostic dans les cas complexes et proposer des protocoles de soins innovants, en lien direct avec la recherche scientifique.
Des plateformes d'écoute comme Autisme info service – accessible par mail 24h/24 ou par téléphone du lundi au vendredi de 9h à 13h puis de 14h à 17h (et le mardi jusqu'à 20h) au 0 800 71 40 40 – peuvent aussi guider les premières démarches. « Et surtout, ne pas hésiter à demander un second avis, insiste la psychiatre. Dans les formes très fines de l'autisme, le diagnostic peut être complètement raté. »
Les signes d'alerte
« Mais le vrai défi, c'est de réduire l'errance dès l'enfance », plaide Chams-Ddine Belkhayat, président de l'association Bleu Network et papa d'un enfant concerné. En France, l'âge moyen du diagnostic de l'autisme chez les enfants tourne autour de six ans, bien plus tard que ce que préconisent les autorités sanitaires : dès deux ans si des signes d'alerte sont observés (HAS : des signaux d'alerte pour détecter l'autisme plus tôt). Il s'agit, entre autres, de « difficultés persistantes dans la communication, l'expression des émotions et les interactions sociales (manque de réciprocité, contact visuel réduit, incompréhension des codes implicites), de comportements répétitifs et stéréotypés, d'intérêts restreints ou encore d'une sensibilité particulière aux sons, aux lumières ou aux textures », résume le Dr Geoffray.
La nécessité d'un diagnostic précoce
Les recommandations insistent sur l'importance d'un repérage avant 36 mois, voire dès 18 mois, pour engager une prise en charge précoce et adaptée. Pour ce faire, « il faut former davantage les professionnels de santé, dès leurs études, à repérer les TSA, et mieux informer les familles, estime M. Belkhayat. Car plus rapidement le diagnostic est posé, plus le parcours de vie peut être adapté, apaisé, inclusif. » D'autres solutions existent : dépistage précoce dès la crèche, formation des enseignants, meilleure coordination entre médecine scolaire, PMI et spécialistes du neurodéveloppement... Encore faut-il y mettre les moyens.
Une quête de sens, plus qu'une étiquette
Aujourd'hui, Magali Pignard a changé de vie. Elle a quitté l'enseignement en présentiel, trop éprouvant, pour un travail à distance. « Une heure de cours me mettait dans un état terrible. Je ressortais trempée, angoissée, épuisée. Je suis désormais chez moi, au calme, avec mon chat. » Depuis son diagnostic, elle a appris à respecter son propre rythme. « Je ne culpabilise plus de partir d'une fête quand je suis fatiguée. Je ne me force plus, je m'écoute enfin. »
Le diagnostic, même tardif, est souvent la clé pour enfin comprendre, se comprendre, et faire la paix avec soi-même. « Ces personnes cherchent avant tout des réponses, elles veulent mettre des mots sur leur souffrance », conclut Marie-Maude Geoffray. Alors, à tous ceux qui se sentent « bizarres », « inadaptés » ou « à côté de la plaque » depuis des années, il n'est jamais trop tard pour comprendre qui vous êtes. Et, surtout, vous n'êtes pas seuls.
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