Huitième et (probablement) dernière semaine de confinement. L'économie des entreprises a été mise à mal « mais pas l'accompagnement des travailleurs handicapés », positive Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, lors d'un webinaire dédié, le 4 mai 2020. A l'aube d'un déconfinement « progressif », l'heure est au bilan. Comment les entreprises ont-elles appréhendé cette crise avec leurs salariés en situation de handicap ? Des mesures particulières ont-elles été adoptées ? Comment se préparer au déconfinement et quels sont les dispositifs de soutien ? Thibault Guilluy, haut-commissaire à l'inclusion dans l'emploi et à l'engagement des entreprises, et Sophie Cluzel, ont apporté des pistes de réponse, en direct.
Entre droit commun et besoins spécifiques
« Le handicap ne doit pas être un sujet de discrimination pour la reprise du travail. Seule doit compter la problématique sanitaire et de santé des personnes », prévient Sophie Cluzel en préambule. Une mise au point nécessaire car « chassez le naturel, il revient au galop, certains préjugés restent prégnants, comme 'handicap égal vulnérabilité'. Non, les personnes handicapées sont avant tout des sujets de droit et non des objets de soin et sont tout à fait désireuses de reprendre une activité professionnelle », poursuit-elle avant de « couper court à une rumeur » selon laquelle les salariés handicapés devraient présenter un certificat médical pour reprendre le travail. Employeurs, vous êtes prévenus, cette demande serait « discriminatoire ». « Les personnes handicapées relèvent du droit commun », martèle la secrétaire d'Etat. Mais il faut aussi tenir compte de leurs besoins et problématiques spécifiques. A ce titre, elles peuvent notamment demander une visite médicale auprès de leur médecin traitant ou du travail « afin d'être rassurées et de prévenir leur retour en emploi ».
Des aides pour soutenir les travailleurs handicapés
En parallèle, des fiches conseils métiers éditées par le ministère du Travail rappellent la nécessité d'évaluer et de mettre en œuvre les adaptations et aménagements des conditions de travail pour les salariés en situation de handicap. Sophie Cluzel encourage toutefois les entreprises à « maintenir le télétravail le plus longtemps possible », faisant écho aux préconisations d'Edouard Philippe (article en lien ci-dessous). Des aides existent auprès de l'Agefiph (fonds dédié au privé) et du Fiphfp (public) pour adapter les équipements de travail à distance (article en lien ci-dessous). D'un montant maximum de 1 000 euros, celle proposée par l'Agefiph concerne notamment le matériel informatique, le mobilier et les connexions Internet, et comprend le coût d'un ordinateur, d'un grand écran, d'une liaison Internet et les frais de transport et d'installation éventuels. Pour les salariés qui ne pourraient pas encore retrouver leur poste, le chômage partiel est de mise et « les modalités de compensation financière restent inchangées jusqu'au 2 juin », assure Mme Cluzel.
Les mesures de l'Agefiph
Report des prélèvements de la collecte de l'Obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH) à fin juin 2020 au lieu de fin mars, soutien à l'exploitation de 1 500 euros pour les entrepreneurs, couverture financière des arrêts de travail et des arrêts pour garde d'enfants, diagnostic action « soutien à la sortie de crise » pour relancer son activité, formation à distance pour les apprentis, cellule d'écoute téléphonique, simplification du traitement des demandes d'aides financières... Depuis le 6 avril 2020, l'Agefiph propose une dizaine de mesures pour soutenir les travailleurs handicapés et les employeurs et ainsi répondre aux « besoins urgents qui s'expriment au sein des territoires » (article en lien ci-dessous).
Maîtres-mots : soutien et écoute
Pour Sophie Cluzel, outre le soutien financier, l'accompagnement psychologique est également nécessaire pour poursuivre une activité en télétravail, « afin de ne pas tomber dans l'isolement et la rupture sociale ». « Les remontées de terrain mettent en exergue des besoins de communication importants, précise-t-elle. Dans la durée, ce mode de travail peut avoir un retentissement sur l'équilibre de la personne et sa santé mentale ». Face à ce constat, des entreprises, tel que le groupe Casino, ont misé sur la prévention et l'écoute. « Dès le début du confinement, nos managers ont cherché à rassurer les 9 000 salariés qui se sont retrouvés en télétravail forcé et ont recensé les personnes vulnérables éprouvant des difficultés avec cette nouvelle organisation », explique de son côté Agnès Cerutti, directrice des ressources humaines (DRH) des opérations France chez Sanofi, groupe pharmaceutique. Selon elle, le quatuor clé pour maintenir le lien social et accompagner les employés (via des web-cafés par exemple) se compose des services sociaux, des services de santé au travail, des managers et des équipes RH. Pour se préparer au déconfinement, l'entreprise mise désormais sur l'échange de bonnes pratiques et le partage d'expériences entre collaborateurs handicapés et managers. Idem pour Laurent Rigaud, gérant des boucheries Rigaud et filles, dans les Hauts-de-France, qui embauche Léo, jeune apprenti en situation de handicap, depuis deux ans. Compte-tenu de son état de santé, ce dernier est actuellement en arrêt maladie. Pour le rassurer, son équipe lui envoie des photos de son atelier en attendant son retour « en chair et en os ».
Les ESAT reprennent du service
De leur côté, « les ESAT sont actuellement en cours de réouverture, annonce Sophie Cluzel, à condition de respecter la doctrine sanitaire ». L'enjeu : engager une reprise « progressive et adaptée » pour permettre à la fois le renforcement de l'accompagnement des travailleurs et la relance de l'activité commerciale. « Le protocole de réouverture des ESAT a été délivré aux associations gestionnaires aujourd'hui car elles sont très demandeuses », se félicite Sophie Cluzel, incitant les entreprises du milieu ordinaire à « reprendre contact avec leurs fournisseurs officiels pour les accompagner dans cette reprise ». Muriel Pénicaud, ministre du Travail, annonce par ailleurs que les centres de formation continue pourront de nouveau accueillir leurs stagiaires à compter du 11 mai, à condition, là encore, de « respecter le protocole national de déconfinement » ; un guide ad hoc doit être publié le 5 mai.
DuoDay repoussé à novembre ?
Autres projets en cours : encourager l'accessibilité numérique, notamment dans le cadre du télétravail, et homologuer des masques transparents pour « améliorer le confort » des salariés sourds ou malentendants, tout en respectant les préconisations sanitaires. « Il faut qu'on accélère », concède Sophie Cluzel. Ils devraient ensuite être produits « par centaines de milliers ». « Pensons l'accessibilité universelle native, exhorte-t-elle. Le handicap sert le bien commun de tous. » Quant à la troisième édition nationale du DuoDay, « il n'est pas annulé mais simplement reporté, rassure-t-elle. Nous voudrions le jumeler avec la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) et l'Inclusiv day, fin novembre 2020, c'est plus sécurisant. » Affaire à suivre...
L'inclusion à l'ordre du jour
« Petites ou grandes entreprises, l'heure est clairement à l'accompagnement et à la mobilisation sur le sujet de l'inclusion », résume Thibaut Guilluy, incitant les entreprises à « tirer les meilleurs enseignements possibles de ce que nous sommes en train de vivre ». « Cette crise va avoir des conséquences terribles mais peut aussi constituer une opportunité pour repenser notre manière de produire », poursuit-il, en tenant à saluer la « richesse » de tous les acteurs du handicap dans la gestion de cette crise et la protection de la population. En effet, depuis le 30 mars, des entreprises d'insertion et adaptées (EA) s'activent pour fabriquer plusieurs millions de masques (article en lien ci-dessous). Le nom de ce projet ? Résilience. « Ce n'est qu'un exemple, il y a eu tellement d'initiatives qui ont mis en lumière l'agilité totale des acteurs du handicap à s'adapter aux besoins du pays... », se réjouit le haut-commissaire. « La richesse de notre économie s'appuie aussi sur tous ces acteurs, conclut-il. La réinvention collective dont parle le président Macron ne peut s'imaginer en mettant de côté ou en repoussant à plus tard la question de l'inclusion. »