Par Catherine Fay-de-Lestrac
Selon un rapport de la Drees (les statistiques des ministères sanitaires et sociaux) en 2020, 1,9 % des personnes handicapées déclaraient avoir subi des violences sexuelles au cours des deux années précédant l'enquête, contre 0,8 % des personnes non handicapées. Pour les seules femmes handicapées, 16 % déclarent avoir été violées, selon les résultats d'une étude conduite par l'Ifop pour l'Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (LADAPT), publiée en novembre 2022. Les femmes avec un handicap psychique sont même 33 % à dire avoir été violées, contre 9 % pour l'ensemble des femmes. Les statistiques officielles sont lacunaires car les violences sexuelles sont mal dépistées, selon les associations et les professionnels de santé interrogés par l'AFP.
Vulnérabilité accrue
Marie Rabatel, présidente de l'Association de femmes autistes (AFFA), pointe un "déni" des violences subies, "sur le thème 'Celle-là, personne n'a envie de la violer'". "Alors que l'agresseur est mû par une volonté de domination et profite justement de leur vulnérabilité, accru par le handicap : en fauteuil roulant, vous aurez du mal à courir. Sourde, vous n'entendez pas la personne arriver" dit-elle. Un handicap mental, psychique ou cognitif accroit le risque de violences sexuelles. Selon l'AFFA, 88 % des femmes autistes en ont été victimes. "Les autistes ont du mal à décoder l'intention dans les propos des autres et se mettent en danger. Si on leur propose de monter prendre un verre à 3 heures du matin, elles ne comprennent pas le sous-entendu", souligne Marie Rabatel. De plus, une personne handicapée est "habituée à ce que d'autres touchent son corps sans son accord, pour l'habiller, pour des traitements, et décident parfois à sa place". "Dans le huis-clos des institutions médico-sociales, il y a des prédateurs qui savent qu'ils y trouveront des personnes vulnérables", selon la présidente de l'association.
Les violences créent "des troubles du comportement ou une dissociation, comme si la personne était anesthésiée, déconnectée, amorphe", explique la psychiatre Muriel Salmona, spécialiste du psycho-trauma. "Ces symptômes seront mis sur le compte du handicap. Ou on dira que la personne raconte n'importe quoi." Or les violences accroissent le handicap et le risque d'exclusion, avec un fort impact sur la santé et la confiance en soi.
Un accueil inadapté dans les commissariats
Autre écueil : lorsqu'elles poussent la porte d'un commissariat ou un poste de gendarmerie, ces femmes n'y trouvent pas toujours un accueil adapté, alertent les associations. "Les sourdes par exemple, on leur demande de trouver un interprète en langue des signes pour prendre leur plainte. On a même demandé à certaines de mimer leur viol", témoigne Anne-Sarah Kertudo, fondatrice de Droit Pluriel, qui apporte un soutien juridique aux personnes handicapées. "On appelle le commissariat et le policier vous répond : 'Madame, on ne va pas auditionner la victime, elle est handicapée !'", déplore Faustine Lalle, directrice juridique de Droit Pluriel. Associations et professionnels demandent que policiers et gendarmes soient formés au handicap et dotés d'outils de communication adaptés.
Un plan pour mieux repérer les violences sexuelles
Le plan quinquennal pour l'égalité entre les femmes et les hommes, détaillé début mars, apporte un début de réponse à ces constats, avec par exemple la création d'outils de signalement adaptés remis aux personnes handicapées dès leur entrée dans une institution médico-sociale ou un accès facilité aux soins gynécos afin de mieux repérer les violences sexuelles, selon le ministère chargé de l'Egalité femmes-hommes (Lire : 100 mesures pour l'égalité femmes-hommes : et le handicap?). La ministre chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, veut aussi "une formation des policiers et gendarmes, dans l'Education nationale et dans le secteur médico-social pour détecter les signaux faibles, recueillir les témoignages, notamment des personnes non verbales".