Depuis 2013, ce collectif rassemble des forces vives pour faire entendre les revendications des personnes handicapées. Des actions coup de poing, des visites dans les ministères, rien n'arrête ses militants. Parole de leur président, Jean-Luc Duval.
Handicap.fr : Avant d'être président du Collectif citoyen handicap, vous êtes papa de deux garçons autistes de 6 ans. Un travail à temps complet ?
Jean-Luc Duval : Oui, c'est du non-stop. Nos deux garçons sont autistes Asperger. Ils ne sont pas capables de faire des trucs basiques mais, pour les trucs compliqués, ils assurent. Comme dénuder les fils de l'ordi, de l'interrupteur ou enlever les joints de la fenêtre pour la démonter et pouvoir s'enfuir. Les Asperger sont parfois pris pour des génies et ils font donc aussi des bêtises de génies. On essaye toujours d'avoir un coup d'avance sur eux…
H.fr : D'ordinaire, ce sont les mamans qui s'arrêtent de travailler. Chez vous, ce sont les deux parents !
JLD : Oui, fatalement : un adulte par enfant ! Un enfant autiste c'est une tempête alors deux c'est un cataclysme. Cela suppose une surveillance de tous les instants car ils se mettent sans cesse en danger, notamment en cas de crise. Alors même si après une rude bataille ils sont enfin scolarisés à plein temps (article en lien ci-dessous), nous avons dû renoncer tous les deux à notre emploi car nous pouvons être alertés par l'école à n'importe quel moment.
H.fr : Et vous comptez vivre de quoi ?
JLD : Eh bien du RSA, comme de nombreux parents d'enfants handicapés. Notre niveau de vie a considérablement baissé mais on ne s'en plaint pas. Le sourire de nos garçons nous fait oublier tout le reste.
H.fr : Votre énergie vous avez souhaité la partager avec d'autres parents. Parce que cet isolement, tous le subissent…
JLD : Oui, inévitablement. Tout l'entourage disparait, y compris ma famille qui m'a dit que si j'avais des enfants handicapés c'est parce que je m'étais « mélangé » avec une Marocaine. Ca peut aller très loin comme vous le voyez ! Deux enfants autistes, ça fait forcément le vide autour de soi.
H.fr : Vous avez donc décidé de créer ce CCH en 2013 ? Peut-on y adhérer ?
JLD : Pas d'adhésion ! C'est juste un regroupement de bonnes volontés ; un concept qui n'existait pas et qu'on a un peu inventé. Notre principe, c'est de faire les choses par nous-mêmes et de ne pas prendre d'argent à ceux qui sont déjà dans une grande précarité. Nous agissons uniquement grâce à cette petite flamme qui nous anime encore, sans aucun moyen… Vous verriez la tête de mon ordi, c'est une vraie locomotive, bricolée… par mes enfants !
H.fr : Mais comment vous rejoindre et s'impliquer ?
JLD : Nous avons des coordinateurs et des militants dans toute la France. Il suffit de se faire connaître du collectif. Nous menons également des actions auprès des petites associations locales pour les inciter à se regrouper et leur octroyer plus de pouvoir. Beaucoup d'entre elles ont baissé les bras et n'ont plus envie. Or il faut rester au plus près du terrain. Nous essayons ainsi de créer des petites « communautés », en encourageant les gens à garder le contact entre eux.
H.fr : Vous devez être submergé de demandes ! Tous handicaps confondus ?
JLD : Oui, en effet, car nous commençons à être connus. Y compris par les médecins qui orientent des parents d'enfants autistes vers nous pour obtenir de l'aide et des conseils. Nous recevons également de nombreux appels de personnes touchées par des handicaps méconnus, délaissées par d'autres associations, dans de très grandes situations de détresse. Il y a parfois danger vital, comme pour Stella, une maman qui menaçait de s'immoler par le feu (lire article en lien). J'ai pris mon téléphone, mobilisé quelques contacts, et une place pour sa fille a rapidement été débloquée en ESAT. Mais je n'ai évidemment aucune solution miracle, notamment pour trouver des places en établissements.
H.fr : Etes-vous, depuis, la « bête noire » des institutions ?
JLD : Disons que nous ne sommes pas vraiment contrôlables. Mais ce n'est pas en brûlant les MDPH que nous allons régler nos problèmes. J'ai la réputation d'être un peu sanguin et déterminé mais je reste toujours respectueux et pacifiste. Je préfère le dialogue au bras de fer. Je pense que nous sommes aujourd'hui des militants appréciés et les agents des différents services sont finalement contents d'avoir affaire à nous, même s'ils se montrent un peu inquiets lorsqu'ils savent que nous allons passer à l'action. En général, ils respectent nos engagements car ils sont eux aussi dans la même galère, à devoir trouver des solutions à des piles de dossiers avec très peu de moyens.
H.fr : Et, dans les ministères, comment êtes-vous accueillis ?
JLD : Au début avec réticence car je peux vous assurer qu'un paquet de hauts fonctionnaires, même au ministère de la santé, n'ont jamais eu en face d'eux aucun parent d'enfant handicapé. Alors certains se réjouissent de pouvoir les rencontrer « en vrai » et cela permet d'instaurer un dialogue.
H.fr : C'est une caricature, je suppose ?
JLD : Non, vous seriez étonnée de voir à quel point ceux qui sont en charge de cette question sont ignorants. Et comme on a confisqué la parole des parents, ils n'ont aucun lien avec les réalités du terrain. Notre collectif provoque réellement la rencontre entre ces deux mondes. Et c'est d'ailleurs sa mission : emmener des gens « normaux » au plus près des hautes sphères du pouvoir. Leur témoignage pourra également avoir un impact sur le grand public ; ces familles qui ont un enfant handicapé ont les mêmes problématiques que tout un chacun. On dit souvent « Les valides ne s'intéressent pas aux personnes handicapées » mais comment peuvent-ils s'identifier ou être émus par les présidents des grandes associations en costume-cravate ?
H.fr : Vous avez pris le parti de mener des actions coup de poing…
JLD : Oui, c'est un peu notre marque de fabrique, qui a motivé la création de notre collectif en septembre 2013. Nous nous apprêtions à manifester devant les ARS (Agences régionales de santé) pour réclamer une vraie prise en charge pour tous les handicaps. Nous avons été reçus au ministère de la santé mais cela n'a pas donné grand-chose.
H.fr : Et, depuis, il y en a eu d'autres…
JLD : Oui, en avril 2014, nous avons occupé des rectorats avec l'appui de 4 syndicats pour dénoncer le fait que nos enfants étaient exclus du système. Nous avons été reçus par tous les recteurs et, trois mois plus tard, au ministère de l'Education nationale par le conseiller de Benoit Hamon. Il a tenu parole sur le sujet des AVS (auxiliaires de vie scolaire) et nous en étions satisfaits.
H.fr : La prochaine aura lieu le 30 septembre 2014 devant les MDPH (article en lien ci-dessous) ?
JLD : Oui, nous allons occuper 27 d'entre elles. Il nous faudrait davantage de militants mais les gens ont souvent peur de ce type d'actions car ils pensent que c'est illégal. Or nous prenons toujours l'habitude de prévenir les services du ministère de l'intérieur. Nous sommes des gens plutôt calmes et il n'y a jamais aucun incident. Je peux vous assurer que les MDPH sont suffisamment à l'écart pour ne jamais attirer les casseurs…
Collectif citoyen handicap : 06 95 11 24 33 ou mretmmduval@hotmail.fr