Par David Courbet
Passionné de musique depuis son plus jeune âge, Eden Jays, disc-jockey de 28 ans originaire d'Aix-en-Provence, a perdu la vision en 2020 à la suite d'une greffe rénale. Malgré les difficultés engendrées par son nouveau quotidien, le jeune homme affiche un optimisme à toute épreuve. "Dans la vie, il ne faut pas s'attendre à ce que tout soit linéaire : tôt ou tard des imprévus peuvent arriver, il faut s'adapter", confie à l'AFP cet artiste au sourire communicatif.
Un handicap qui passe inaperçu
Pour cette soirée d'août, il officie dans un restaurant chic du bord de plage du Lavandou (Var). Habillé d'un jean, de baskets blanches et d'un élégant polo, nul ne le distingue a priori de tout autre DJ pendant ses deux heures de set. Et s'il garde ses lunettes de soleil malgré l'obscurité, rien de choquant dans ce monde de la nuit où c'est chose commune. Peu de clients avaient remarqué son arrivée, canne à la main, aux côtés de proches qui l'assistent. Après avoir branché seul les câbles de sa table de mixage et placé à des endroits stratégiques ses clés USB où figurent les playlists de la soirée, il met son casque et lance l'ambiance "deep house".
Ses assistants, ses yeux
"Au restaurant, les gens se rendent peu compte de mon handicap. J'ai parfois des réflexions de personnes me demandant pourquoi je ne les regarde pas, mais quand je leur explique, ils comprennent de suite", affirme Eden Jays. La difficulté apparaît davantage lors de mariages ou anniversaires lorsque des convives lui demandent un titre à l'improviste. Charge alors à l'un de ses assistants de trouver la chanson. Outre leur aide logistique, ces derniers sont indispensables pour "prendre la température" des salles, afin qu'Eden ajuste sa prestation musicale : "Il faut surveiller la réaction du public et la lui signaler. D'une certaine manière, je suis ses yeux", explique Silham Elgaual, dite "Simisou", son amie d'enfance.
"L'art de créer un lien"
Adnan Marfak, son vrai nom hors-scène, avait débuté sa carrière professionnelle avant de perdre la vue : "J'ai eu besoin d'un temps d'adaptation. L'acceptation a été le plus dur, notamment mettre pour la première fois une canne dans ma main...". La musique lui a permis d'avancer. "Avoir une passion, ça vous change les idées (...) Si je ne peux pas voir les gens, eux peuvent m'entendre : c'est un art de créer un lien". "C'est quelqu'un de très sociable, positif et fonceur, qui ne se laisse jamais abattre", décrit Florence Pieule, bénévole à l'association pour malvoyants Valentin Haüy dont fait partie Eden.
Bob Sinclar, son "idole"
Fan de house, Eden Jays a pour source d'inspiration des DJ comme Pete Tong, Kungs ou Bob Sinclar, son "idole". Son enfance a été bercée de mélodies, sa mère jouait au piano et écoutait Boney M. A 13 ans, il découvre un DJ "lors d'une boum" et est "émerveillé par cette musique sans coupure". Issu d'un milieu favorisé -son père fut directeur d'une centrale nucléaire au Maroc, où la famille vécu huit ans-, il rejoint une école de DJ aixoise en poursuivant en parallèle ses études (bac pro commerce, BTS management puis licence de langues étrangères appliquées interrompue pour maladie). A la rentrée, il compte rejoindre l'UCPA, une école renommée de DJ, pour y parfaire ses connaissances en entrepreneuriat, gestion de carrière ou des lumières.
D'autres DJ handicapés
Avant lui, d'autres DJ avec un handicap se sont fait connaître. Martin Chasseret, qui se présente comme le "1er DJ professionnel aveugle de France", a perdu la vue à la suite d'un accident de scooter à l'âge de 15 ans (Lire :Martin Chasseret, 29 ans, 1er DJ aveugle de France). Le Suisse DJ HardcoreHead souffre d'une déficience affectant ses mouvements ; DJ Ridooo mixe avec son nez, pour remplacer ses doigts défaillants ; quant au producteur Pone, ex-membre du groupe Fonky Family, souffrant de la maladie de Charcot, il continue de composer grâce à ses yeux. Eden Jays espère connaître la même carrière : il prépare la sortie d'un EP (mini-album) avec cinq morceaux. "On verra bien !", ironise-t-il.