Par Arnaud Bouvier
Une décision récente
"J'ai envie d'être une citoyenne comme tout le monde", se réjouit Justine Lambolé, atteinte d'une déficience intellectuelle. A 21 ans, elle vient enfin de s'inscrire sur les listes électorales. A sa majorité, un juge des tutelles lui avait retiré son droit de vote, parce qu'elle n'avait "pas bien su répondre" à des questions destinées à évaluer sa capacité à faire son propre choix dans l'isoloir. "Je savais que le président s'appelait Hollande, mais je ne savais pas s'il était de droite ou de gauche. A l'époque, je ne m'intéressais pas trop à la politique, mais maintenant oui !", explique la jeune femme, qui réside dans un foyer des Côtes-d'Armor. Comme Justine, quelque 300 000 personnes en France sont potentiellement concernées : en vertu de la récente loi "justice", les juges des tutelles ne peuvent plus retirer leur droit de vote aux majeurs "protégés" (article en lien ci-dessous). Et ceux qui en avaient été privés le retrouvent automatiquement. Les personnes dans ce cas avaient jusqu'au 16 mai pour s'inscrire sur les listes électorales. Impossible de savoir combien ont fait la démarche.
Une grande victoire
Mais pour les associations qui défendent les droits des personnes handicapées, cette réforme est en tous cas une grande victoire. "Ça faisait partie de nos revendications depuis des années. Ne pas être un sous-citoyen, c'est une question de dignité", résume Céline Simonin, de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). "Il n'y a pas de hiérarchie dans les droits. Celui de voter est important car il fait de chacun un citoyen accompli", abonde Pascale Ribes, d'APF France Handicap. Quant à ceux qui mettraient en doute la capacité des personnes porteuses d'un handicap mental à décider de leur vote par elles-mêmes, Mme Ribes souligne qu'on ne pose pas cette question aux personnes valides, alors même que beaucoup d'entre elles "votent comme leur entourage ou leurs copains de bistrot, sans lire les programmes". En outre, fait-elle valoir, "lorsque les femmes luttaient pour conquérir le droit de vote, c'était déjà les mêmes arguments : on les disait pas assez matures".
Des candidats s'engagent
Pour Lahcen Er Rajaoui, qui préside l'association de personnes handicapées intellectuelles "Nous aussi", l'enjeu désormais est d'informer le public concerné de ses nouveaux droits, mais aussi de l'aider à saisir les enjeux du scrutin. Pour cela, les associations promeuvent l'adaptation des programmes des candidats en langue "facile à lire et à comprendre" (FALC), une norme d'expression simplifiée. Parmi les 34 listes candidates aux élections européennes, cinq (LREM, LFI, PS/place publique, EELV, Générations) ont informé l'Unapei qu'elles comptaient faire traduire leurs documents de campagne en FALC. La liste LREM met ainsi en avant, entre autres, son attachement à "l'écologie", définie comme "le respect de la planète", et promet de "faire payer un impôt aux grandes entreprises de l'informatique". Côté LFI, la liste conduite par Manon Aubry proclame en FALC qu'il "ne faut pas faire venir les produits de l'autre bout de la planète", et dit vouloir "utiliser l'énergie propre qui ne s'épuise pas". Pour Marie-Laure Darrigade, en charge des questions de handicap à LFI, cette démarche de simplification peut être utile à tous les électeurs, notamment à ceux qui estiment que "dans le vocabulaire politique, il y a trop de charabia!".
La mairie de Paris, de son côté, a développé des campagnes d'information pour expliquer en FALC le mode d'emploi d'un isoloir ou d'une urne, mais aussi pour sensibiliser le personnel des bureaux de vote à l'accueil de ce public spécifique (article en lien ci-dessous). Il s'agit de "mettre en place les dispositifs qui permettent aux personnes d'exercer leurs droits", résume Nicolas Nordman, l'adjoint au maire chargé du handicap.