Par Catherine Fay-De-Lestrac
"Nos membres font le constat qu'il leur manque 10 à 30 % de professionnels en fonction des établissements et zones géographiques. Tous les jours nous avons des démissions d'infirmières ou d'aides-soignantes. Mais aussi des arrêts de travail en cascade", constatait la fédération Paralysie cérébrale France lors de son récent congrès à Annecy. Des structures en charge de personnes atteintes de paralysie cérébrale ont dû fermer le week-end faute de personnel et leur demander de rentrer chez elles, alors même qu'elles ont besoin de soins lourds.
L'hôpital et les Ehpad plus attractifs
"Des parents âgés de 70 ou 80 ans doivent reprendre leurs enfants de 50 ans à la maison", témoigne Julien Bernet, directeur général de l'Association girondine des infirmes moteurs cérébraux (AGIMC) qui gère six établissements avec 350 salariés. Prenant en compte l'effort des soignants face au Covid, le Ségur de la santé en 2020 a abouti à des revalorisations de salaires pour les salariés de l'hôpital, qui ont été étendues ensuite à ceux des Ehpad. "De très nombreux salariés ont démissionné pour travailler dans les Ehpad et hôpitaux publics qui leur offrent dorénavant de meilleures conditions de salaires", écrivait le réseau Paralysie cérébrale dans un courrier fin septembre 2021 au Premier ministre Jean Castex.
Le médico-social privé, grand oublié
"Le secteur médico-social privé à but non lucratif a été oublié de ces hausses de salaires alors que les métiers sont les mêmes", se lamente Jacky Vagnoni, président de la fédération Paralysie cérébrale France, qui rassemble 25 associations avec 200 établissements et 7 500 résidents. La paralysie cérébrale, première cause de handicap moteur chez l'enfant, touche 125 000 personnes en France et 1 500 nouveau-nés chaque année. Due par exemple à un cordon ombilical mal placé ou une grande prématurité, elle entraîne des troubles moteurs graves.
Des établissements sur le point de fermer ?
"J'aimais beaucoup mon travail auprès des personnes handicapées, c'était varié, elles sont pleines d'énergie, partantes pour tout. Je suis partie à contrecœur. Mais avec 1 500 euros net, je ne m'en sortais plus. Je gagne aujourd'hui 500 euros de plus par mois dans une maison de retraite publique", explique Emilie Martin, une aide-soignante de 35 ans dans l'Ain. "J'ai dû fermer des places d'accueil temporaires, je n'accepte plus de nouveaux résidents, je ne sais pas combien de temps on pourra garder certains établissements ouverts", explique M. Bernet, évoquant un "cri d'alarme des directeurs, mais un cri de désespoir des familles".
"Hémorragie" de personnels : soins bâclés...
L'hémorragie de personnels dans ces établissements a gravement désorganisé l'accompagnement des personnes handicapées. "Comme nous n'avons plus assez de salariés pour assurer des vacations du matin et du soir, nous avons dû demander au personnel d'assurer une vacation de douze heures, alors que le travail est dur physiquement et exige beaucoup de concentration", explique France Pouy, directrice adjointe du pôle adultes à Arimoc près de Pau. "Pour certaines personnes polyhandicapées, qui doivent être portées sur des chariots dans la cabine de douche, la toilette prend une heure. Nous allons devoir nous résoudre à proposer une douche tous les deux jours plutôt que chaque jour", au risque d'avoir des escarres, un risque mortel, déplore Mme Pouy. Les repas prennent du temps alors que certaines personnes sont nourries par sonde. "Il arrive que l'on ne puisse présenter qu'à 11h30 certains petits déjeuners", se désole M. Bernet.
... la santé des résidents en danger ?
Sans soins rigoureux, les personnes polyhandicapées, fragiles, risquent une fausse route, des infections, une occlusion intestinale, tous risques mortels. "Nous avons dû hospitaliser récemment trois résidents en raison de défaut de surveillance", explique Mme Pouy. "Depuis trente ans, je confie mes enfants à des personnes compétentes, motivées. Aujourd'hui elles partent et je les comprends. Mais je ne dors plus la nuit : nous ne sommes pas éternels. Qui va s'occuper de mes filles?", s'interroge Monique Poillot, 66 ans, mère de deux jumelles de 35 ans nées avec grande prématurité, près d'Annecy.