Par Juliette Rabat
Chargé, avec le député LREM Bruno Bonnell, d'une mission parlementaire sur les "métiers du lien", le député LFI de la Somme François Ruffin, déjà réalisateur de Merci patron, film satirique sur le groupe de luxe LVMH, ou encore de J'veux du soleil, consacré aux gilets jaunes, voit tout de suite "un coup à jouer". "Avec Gilles Perret, (le coréalisateur du documentaire), on voulait faire un film qui se déroule à l'Assemblée, depuis quasiment que je suis député", raconte-t-il, lors de l'avant-première de son film, fin septembre, à Marseille, dans la salle comble du théâtre Toursky. Mais, "au fond, à l'Assemblée, il ne se passe rien, le pouvoir n'est pas à l'Assemblée". Cette mission parlementaire lui donne donc l'occasion "d'aller à l'extérieur, recueillir les vies, les voix, les visages de ces femmes aux métiers à la fois passionnants et durs", puis de "ramener ça à l'intérieur, à l'Assemblée nationale".
Un road-movie parlementaire
Le pari du film est de susciter un "discours, évidemment sur la question sociale -qu'est-ce que c'est que ces métiers-là, pourquoi il n'y a pas d'horaire, pourquoi il n'y a pas de salaire- mais aussi un discours démocratique : à quoi sert cette institution (de l'Assemblée nationale), comment elle dysfonctionne, en quoi elle n'est plus une représentation nationale", poursuit l'élu. Résultat : un "road-movie parlementaire" mettant en scène un "tandem burlesque" à la Laurel et Hardy entre l'Insoumis de gauche et l'entrepreneur Marcheur Bruno Bonnell, véritable "personnage de cinéma parce qu'on ne sait pas s'il est gentil ou pas, si on doit l'aimer ou pas", ironise M. Ruffin.
De Dieppe à Amiens en passant par Abbeville, l'improbable duo sillonne la France, y compris en plein confinement, pour donner à voir le quotidien des petites mains du soin, travailleuses précaires, souvent à temps partiel, gagnant moins que le Smic en dépit de lourdes amplitudes horaires. "Mais on aime notre métier", insiste Martine, auxiliaire de vie sociale, 860 euros de salaire mensuel. "Moi je n'aurais pas pu", intervient alors la dame âgée dont elle s'occupe et à qui elle vient d'enfiler ses bas : "Surtout pour les toilettes", ajoute-t-elle. "Ces métiers sont invisibles parce qu'au fond, tout ce qu'elles font, c'est ce qu'on ne veut pas voir : c'est le sale, c'est le vulnérable, c'est l'intime", explique l'élu à l'AFP. C'est la fin de vie aussi, réalité à laquelle beaucoup de ces personnes sont confrontées sans y avoir été préparées.
"Film féministe de classe"
"L'inconscient de la société c'est que depuis des siècles les femmes font ça à la maison gratuitement : s'occuper des malades, des enfants, des personnes âgées ; là, elles le font à l'extérieur, elles sont payées un peu, elles ne vont pas nous embêter en plus !", complète le réalisateur, revendiquant avoir signé un "film féministe de classe". Un travail de l'ombre, que la crise du Covid a subitement mis en lumière, servant de "révélateur", selon lui, au caractère indispensable de ces métiers de service (article sur mobilisation du 6 octobre 2021 en lien ci-dessous). Comme dans cette scène où, en plein confinement, la seule trace de vie dans Dieppe, désert et rendu aux mouettes, est celle de Delphine qui se rend chez une vieille dame immobilisée depuis deux ans : "Je n'ai que ça", confie cette dernière, "tous les matins, on se demande si elles vont revenir". "Le fil de la vie est maintenu grâce à elles", plaide M. Ruffin, dénonçant "l'amnésie" du pouvoir face à ces femmes, alors qu'"au moment où tout s'est effondré, le gouvernement et le président se sont raccrochés à elles". Le documentaire a failli s'appeler "Les premières de cordée contre-attaquent". Les héroïnes du film ont préféré "Debout les femmes !"