Près d'une femme sur deux en situation de handicap (42 %) n'a pas de suivi gynécologique régulier, contre 23 % des « valides », selon une étude menée par l'Agence régionale de santé en 2017. En cause notamment ? Un manque de formation et de sensibilisation des professionnels de santé au handicap, de temps et d'accessibilité, qui provoquent de nombreuses appréhensions. Pour changer la donne, de plus en plus d'« handiconsult » sont proposées dans toute la France, ou presque. Perrine Ernoult, gynécologue médicale, a notamment participé à la création du dispositif HandiSCo au CHU de Toulouse en 2017 et en est aujourd'hui la médecin coordinatrice et référente en gynécologie. Elle a aussi pour mission de sensibiliser les professionnels à la prise en charge des patientes en situation de handicap complexe.
Quelle est la particularité de ces consultations adaptées ? Comment accueillir une patiente « à besoins spécifiques » ? Le Dr Ernoult livre de précieux conseils pratiques, lors de la conférence « Suivi gynécologique des patients handicapés », organisée par Coactis santé le 8 février 2024.
Se renseigner en amont de la consultation
Première étape : recueillir les informations médicales de la patiente (antécédents personnels, familiaux et éventuels traitements) en amont. Deux raisons à cela : « Le jour J, certaines patientes ne sont pas en capacité de les communiquer, et l'accompagnant ne dispose pas forcément de toutes ces données. Par ailleurs, cela permet de rester concentrer sur la patiente et ainsi d'éviter l'apparition de comportements-problèmes ». Il est également intéressant, en amont, de recueillir toutes ses particularités sur le plan comportemental, sensoriel, communicationnel. Concrètement, comment va réagir la personne en cas de stress, de douleur ? Oralise-t-elle ou utilise-t-elle des méthodes de communication alternatives ? Il faut aussi se renseigner sur ses centres d'intérêts, ses moyens d'apaisement et éventuels renforçateurs positifs.
Des BD pour démystifier la consultation gynéco
Il est également nécessaire de préparer chaque personne avant sa venue. Pour ce faire, des « bandes-dessinées » ainsi que des pictogrammes (en photo ci-contre) sont disponibles gratuitement, notamment sur la plateforme santebd.org créée par Coactis santé, afin de présenter le déroulement de l'examen, le lieu et les professionnels de santé (Lire : SantéBD:20 000 images faciles à comprendre en accès gratuit). Objectif : réduire l'inconnu et diminuer l'anxiété. Plusieurs BD personnalisables, en facile à lire et à comprendre, visent à démystifier la consultation gynéco : dépistage du cancer du col de l'utérus, examen gynécologique, autopalpation, mammographie... Des ressources gratuites pour faciliter l'accès à la santé pour tous !
Consultation blanche et habituation aux soins
En cas de situation vraiment complexe, il est possible de proposer des « consultations blanches », où l'on fait venir la patiente sur le lieu de l'examen, sans la toucher, pour qu'elle prenne ses marques, avant de planifier la « consultation réelle ». On lui présente alors la salle de consultation, le professionnel de santé, le matériel utilisé... (Lire : Handicap : consultations blanches, quels médecins concernés?).
Autre possibilité : l'habituation aux soins, qui consiste à « diviser un soin en différentes séquences, proposées de façon répétée et régulière sans jamais forcer la patiente, en l'associant à une expérience agréable, jusqu'à ce qu'elle soit en capacité de réaliser l'ensemble sans difficultés ».
Réduire l'attente et la mettre en confiance
Le jour de la consultation, « il faut éviter de faire patienter la patiente, l'idéal étant de lui proposer un rendez-vous en début de journée ». L'attente risque de majorer son anxiété et de faire apparaître des comportements difficiles qui peuvent compromettre la réalisation de l'examen. Veillez, ensuite, à la recevoir dans un environnement calme (faire attention au bruit, à la luminosité, éviter l'agitation autour d'elle). L'idéal est qu'elle soit accompagnée par un proche qui peut aiguiller le professionnel le jour J. Il faut également parler doucement et ajuster le contact physique en tenant compte de ses particularités sensorielles. Pour entrer en contact avec elle, il peut être judicieux d'évoquer ses centres d'intérêt afin de la mettre en confiance.
Prendre son temps !
Le mot d'ordre : prendre le temps ! « Je prévois une heure pour chaque consultation 'handicap', explique le Dr Ernoult. Il est important d'expliquer ce que l'on est en train de faire, en privilégiant le visuel (via des pictogrammes par exemple). » Autres conseils : ne pas exclure la patiente des échanges, formuler des phrases courtes, utiliser des mots simples et ses éventuels outils de communication alternative et augmentée pour faciliter la compréhension.
Par ailleurs, la musique peut être un bon moyen d'apaisement, avec la diffusion d'un morceau connu et apprécié par la personne afin de recréer un climat familier. Il est également important de valoriser les efforts fournis par la patiente pendant le déroulement de la consultation, en la félicitant ou en lui donnant accès à un jeu ou une activité appréciée.
Accepter des « rituels » hors normes
« Il faut aussi accepter que l'examen ne se passe pas toujours de manière 'habituelle', ajoute-t-elle. Par exemple, j'ai reçu une patiente qui avait besoin, entre chaque temps d'examen, de se relever, de faire le tour de la pièce en exécutant des mouvements respiratoires. Une fois ce 'rituel' effectué, elle se rasseyait et on pouvait passer à l'étape suivante. » Certains professionnels de santé, dans le rush, pourraient vouloir accélérer le processus en estimant que c'est une perte de temps « mais, en réalité, c'est une stratégie qu'elle a mis en place pour essayer de canaliser son anxiété, qu'il faut respecter, sous peine notamment d'aboutir à un échec de la consultation ».
Ne pas hésiter à demander de l'aide
« Il est primordial de rassurer les professionnels de santé sur leurs compétences. Nous ne sommes évidemment pas censés tout savoir mais, le cas échéant, il faut le signaler et solliciter l'aide d'experts », intervient Frédérique Perrotte, sage-femme qui forme ses pairs au handicap. Les centres ressources régionaux Intimagir « Vie intime, affective, sexuelle et soutien à la parentalité des personnes en situation de handicap » par exemple, qui « écoutent, informent et orientent » les patients mais aussi les soignants, représentent un « soutien extraordinaire », selon elle.
Retrouvez, par ailleurs, la liste des cabinets accessibles et adaptés à chaque situation spécifique sur le site sante.fr ! Plus de 3 500 professionnels de santé sont répertoriés.
Handigyneco : aller vers les patientes (en ESMS) !
Quid des patientes qui ne peuvent pas se déplacer ? L'ARS d'Ile-de-France a lancé le dispositif « Handigyneco » en 2018 (Lire : Handigynéco : bientôt un suivi adapté partout en France?). Le principe, en deux mots : aller vers. Concrètement, des sages-femmes formées au handicap se rendent sur leur lieu de vie, dans des établissements médico-sociaux, et réalisent des consultations individuelles lors d'un échange d'une heure et un examen médical « adapté à chaque situation ». Des ateliers d'éducation à la vie intime, affective et sexuelle sont également proposés. L'enjeu ? Instaurer un climat de confiance et libérer la parole. Après une « expérimentation convaincante » en Ile-de-France, Normandie et Bretagne, le dispositif est généralisé dans toute la France en 2024.
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