Handicap, CIH 2025 : un goût de "déjà vu", assos déçues!

20 ans après la loi handicap, le gouvernement annonce, lors du Comité interministériel du 6 mars 2025, un renforcement des mesures d'accessibilité. Des annonces insuffisantes pour plusieurs associations, qui appellent à la mobilisation le 15 mai 2025

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François Bayrou préside le CIH 2025, aux côtés de Charlotte Parmentier-Lecocq.

« Le Comité interministériel du handicap aurait pu marquer un tournant dans la politique du handicap en France. On en est loin ! », tranche APF France handicap. Organisé le 6 mars 2025, le premier CIH présidé par le Premier ministre François Bayrou rassemblait une quinzaine de ministres, des élus et des représentants d'associations pour cette « étape d'orientations et d'engagements concrets », au sein des locaux de France Télévisions, à Paris. Les associations attendaient donc de nouvelles mesures ambitieuses pour faciliter le quotidien des personnes en situation de handicap. Verdict ? « Un CIH bien loin du choc d'égalité réclamé et attendu », déplore une majorité d'entre elles, exprimant un goût (amer) de « déjà vu ».

« Pas de méthode, très peu de nouveautés... »

Après avoir réuni « des milliers de personnes en colère » dans toute la France le 10 février 2025 (20 ans loi handicap : une manif contre les "droits bafoués"), le Collectif handicaps, qui regroupe une cinquantaine d'associations, espérait « l'affirmation d'une politique volontariste, forte et ambitieuse ». Il a dû se contenter d'un « exercice d'inventaire, de suivi de mesures, de reprise de plans en cours et de réformes déjà actées », résume APF France handicap. « Pas de budget, pas de méthode, très peu de nouveautés. Des sujets fondamentaux pour la vie des personnes absents, tels que la compensation et les ressources… », pointe-t-elle. « Quelle déception que ce CIH ! », réagit à son tour Matthieu Annereau, président de l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). « Aucune mesure concrète et de court terme pour améliorer l'effectivité des droits des 12 millions de personnes handicapées et 11 millions d'aidants. »

Des mesures connues de longue date

Il était notamment question du remboursement intégral des fauteuils roulants par l'Assurance maladie à partir du 1er décembre 2025, des mesures de simplification pour alléger les procédures des dossiers MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), du déploiement de 500 pôles d'appui à la scolarité (PAS) à la rentrée 2025, de la feuille de route sur la vie intime et sexuelle... « Des mesures pour la plupart déjà connues de longue date », insiste l'Uniopss, qui regroupe les acteurs associatifs des secteurs sanitaire, social et médico-social.

Un recul sur l'accessibilité numérique

« Pire, on nous présente des retours en arrière comme des progrès, s'insurge le Collectif handicaps. L'exemple de l'accessibilité numérique est le plus flagrant. Au précédent CIH (en mai 2024), l'engagement avait été pris de 'rendre toutes les démarches en ligne essentielles accessibles aux personnes en situation de handicap d'ici à 2025'. Alors que seulement 3 % sont aujourd'hui accessibles et devant l'indigence, soulignée par le Collectif, des propositions formulées dans le dossier de presse, le Premier Ministre annonce l'objectif de 50 % d'ici la fin 2025. Quand l'art de la communication transforme un recul en avancée... »

Contrôles et sanctions dans les ERP

Pourtant, la promesse était « belle ». « En 2025, on va accélérer, accélérer, accélérer », assurait la ministre déléguée chargée du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, à l'issue du comité tant attendu. « Il y a vraiment la volonté de passer dans une autre ère, une ère de rupture : c'est terminé les dérogations, l'accessibilité ce n'est plus une option, c'est une obligation légale », expliquait-elle, en évoquant une soixantaine de mesures. L'une d'elles concerne la mise en place de contrôles au sein des établissements recevant du public (ERP) n'ayant pas entamé de démarches d'accessibilité et l'application éventuelle de sanctions. « L'idée n'est pas de sanctionner les petites structures, qui ont le plus de mal à s'adapter, mais plutôt d'aller prioritairement vers celles qui devraient déjà être aux normes, c'est-à-dire des établissements plus gros, avec des moyens plus conséquents », précise la ministre.

« L'accessibilité ne se limite pas au bâti »

Le Collectif Handicaps regrette que le « gouvernement entre-ouvre à peine la porte d'une nouvelle politique reposant sur des sanctions ». « Le suivi de l'application de cette circulaire sera essentiel dans les prochains mois. » De plus, « l'accessibilité des ERP ne se limite pas à la question du bâti. Le personnel d'accueil doit également être formé aux enjeux des handicaps invisibles », plaide l'Uniops, citant notamment les Aéroports de Paris, à l'initiative du cordon tournesol qui vise à informer discrètement le personnel qu'un voyageur peut nécessiter plus d'attention, d'aide ou de temps supplémentaire durant son parcours.

Des travaux de mise en accessibilité des transports

Côté transports, les chantiers de mise en accessibilité de « toutes les gares prioritaires nationales » devront être engagés d'ici à fin 2027, relaie l'AFP. Tandis que le dispositif des Jeux olympiques de Paris 2024, permettant la conservation des fauteuils roulants personnels jusqu'à la porte de l'avion et leur restitution immédiate au débarquement, sera généralisé aux principaux aéroports français.

Loi Elan : un rapport d'évaluation fin mars

« Toutefois, la ministre se dit opposée à une révision de l'article 64 de la loi Elan réduisant le taux de logements accessibles dans les constructions neuves de 100 % à 20 % », déplore l'Uniopss, faisant de l'accès au logement des personnes en situation de handicap un véritable « parcours du combattant », comme le rappelait en février la Fondation pour le logement des défavorisés dans son rapport annuel (Handicap et logement : (encore) un parcours du combattant). Le rapport d'évaluation de cette loi sera remis au Parlement fin mars, tandis que l'offre de logements accessibles dans le parc social sera intégrée au répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux, promet de son côté le gouvernement.

La qualité de l'inclusion scolaire remise en cause

Par ailleurs, à la suite du Comité national de suivi de l'école inclusive, le gouvernement se félicite d'une hausse continue du nombre d'enfants en situations de handicaps scolarisés à l'école ordinaire. « Toutefois, cette augmentation se base uniquement sur des données quantitatives. Quid de la qualité de cette inclusion scolaire, et notamment du volume d'heures de cours hebdomadaires, des notifications d'AESH (Accompagnants d'élèves en situation de handicap) non pourvues ? », interpelle l'Uniopss. Elle s'associe au Défenseur des droits pour demander de mettre en place des outils statistiques permettant d'appréhender les modalités et le temps de scolarisation effectif des élèves en situation de handicap, le temps de présence de leurs AESH et les accompagnements pédagogiques mis en place.

Les IME sous l'égide de l'Éducation nationale ?

« Depuis 2017, la volonté affichée du ministère de l'Éducation nationale est 'd'adosser l'offre médico-sociale à l'école », poursuit-elle. Pour l'heure, les établissements du secteur médico-éducatif relèvent du ministère des Solidarités. Mais plusieurs associations, dont APF France handicap, plaident pour les transférer sous l'égide du ministère de l'Éducation nationale. « Au lieu d'avoir des enseignants détachés dans les IME (instituts médico-éducatifs), pourquoi ne pas envisager l'inverse, en détachant des professionnels du médico-social à l'école ordinaire ? », interroge-t-elle. Pour ce faire, les moyens de ce rapprochement doivent, selon l'association, être budgétés dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026.

Des droits à vie déjà actés et « mal appliqués »

Autres mesures annoncées : l'augmentation du nombre de clubs inclusifs à l'horizon 2027 ou encore l'ouverture de droits à vie pour les personnes dont le handicap est insusceptible d'évoluer favorablement. Cette dernière « avait été annoncée sous le mandat de Sophie Cluzel et a été actée par deux décrets datant de décembre 2018 », souligne l'Uniopss. « Outre le fait que cela existe donc déjà, le problème est que cette ouverture de droits à vie n'a pas un caractère systématique et est encore trop mal appliquée sur l'ensemble du territoire. »

La nécessité de co-construire avec les asso 

Invité à intervenir en introduction de cette réunion, le président du Collectif Handicaps, Arnaud de Broca, a rappelé plusieurs points « essentiels » : la prise en compte des besoins de toutes les personnes handicapées (« Qui qui dit accessibilité universelle dit accessibilité pour toutes les situations de handicap »), le suivi et pilotage des mesures annoncées (« Rien ne sert de faire de nouvelles annonces si les précédentes ne sont ni appliquées, ni évaluées ») et une méthode de travail (« La concertation et la co-construction avec les associations représentatives sont des prérequis à toute réforme »), assure-t-il, rappelant qu'il tient toujours à la disposition du gouvernement ses 200 propositions pour « rendre enfin effectifs les droits des personnes en situation de handicap » (Loi de 2005 toujours pas appliquée : place à l'action!).

Nouveau rassemblement citoyen le 15 mai 

Ce CIH « vient donc poursuivre la mise en œuvre des mesures annoncées lors de la Conférence nationale du handicap (CNH) de 2023, sans porter d'ambition nouvelle ni fixer de cap pour 2025, alors que les trésoreries des associations sont exsangues, dans un contexte inédit dans la Ve République, où les lois de finances ont tardé à paraître, martèle l'Uniopss. La question de la tenue d'une prochaine CNH à son échéance normale en 2026 mérite alors d'être posée ». « Le gouvernement n'a pas entendu les milliers de voix réunies le 10 février dernier place de la République à Paris et partout en France (20 ans loi handicap : une manif contre les "droits bafoués"). (...) Il n'a pas entendu l'appel à l'égalité des droits, à la citoyenneté et à la construction d'une société où chacune et chacun peut vivre pleinement, sans discrimination ni exclusion », enchérit APF France handicap. Face à ce douloureux constat, elle donne de nouveau rendez-vous au gouvernement « dans la rue », le 15 mai 2025 à Paris, appelant à « la solidarité de tous les citoyens ».

De son côté, l'APHPP renouvelle son « appel aux personnes handicapées et aidants à s'engager dans les futures élections afin de ne plus simplement demander une transformation de la politique du handicap en France mais de jouer les premiers rôles au sein des lieux de pouvoirs et de décisions pour passer à la pratique ! ».

© Twitter Charlotte Parmentier-Lecocq

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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