« Les personnes en situation de handicap sont concernées par toutes les facettes du mal-logement... en pire. » La Fondation pour le logement des défavorisés (ex Fondation Abbé Pierre, qui a changé de nom fin janvier après les multiples accusations de violences sexuelles de son fondateur) publie son 30e rapport sur l'état du mal-logement en France. Ce document exhaustif met principalement l'accent sur les difficultés rencontrées par les personnes handicapées, à l'occasion des 20 ans de la loi de 2005, dont il dresse un bilan « décevant ».
Plus touchées par la privation de confort, la précarité énergétique...
Sur 342 pages, plus d'une centaine dépeignent effectivement le « parcours du combattant » de ce public. Un thème « encore jamais abordé en tant que tel dans notre rapport annuel », admet le directeur des études, Manuel Domergue, car « le champ associatif étant très structuré, on ne se sentait pas forcément les plus légitimes, les plus experts pour l'aborder ». C'est désormais chose faite. Selon les derniers chiffres disponibles (de l'enquête nationale logement de 2013, Insee), 5 474 000 ménages sont concernés par un handicap ou « des difficultés dans la vie quotidienne ». Au total, l'ensemble des problèmes de logement (privation de confort, surpeuplement, précarité énergétique, effort financier excessif pour se loger, impayés de loyer, copropriété en difficulté...) touche 24 % d'entre eux, soit 1,3 million de ménages, contre 20 % de la population générale.
10 % de sans abri allocataires de l'AAH
En cause notamment : des ressources moindres. En 2021, 26 % des personnes handicapées vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 14 % des « valides ». En outre, la Fondation évalue à 350 000 le nombre de personnes sans domicile, en hausse de 6 % sur un an et de 145 % depuis 2012. Parmi eux, 10 % étaient bénéficiaires de l'Allocation adulte handicapé (AAH) en 2012 (Insee), tandis que 30 à 50 % vivraient avec un handicap psychique (Firah, 2020).
Près de 3 fois moins de chances d'être propriétaire
Les personnes handicapées sont également confrontées à d'importantes difficultés d'accès au logement, principalement liées à une « offre incomplète, pour ne pas dire marginale ». Dans le parc privé, elles ont moins de chances d'accéder à un habitat, que ce soit en propriété (9 % de propriétaires accédants contre 23 % pour la population générale) ou en location (19 % contre 24 %), « en partie à cause des difficultés à s'insérer sur le marché du travail et des coûts supplémentaires liés au handicap (soins, aménagement du logement) ».
Des stéréotypes persistants
Au-delà de l'aspect financier, elles sont souvent victimes de stéréotypes et d'infantilisation. « Des propriétaires ou leurs assurances refusent des revenus liés au handicap (AAH, pensions d'invalidité...) », relève Manuel Domergue qui dénonce cet « acte illégal ». « D'autres insistent pour qu'un proche soit présent pour signer le contrat ou rejettent des personnes sourdes en craignant qu'elles soient trop bruyantes... » Certains propriétaires s'opposent également à des demandes d'adaptation du logement, redoutant des travaux d'un montant démesuré.
14 % de chances en moins d'obtenir un logement social
Dans le parc social, l'offre reste bien inférieure aux besoins. Seuls 18 % des logements seraient considérés comme « accessibles » et 6 % « accessibles et adaptés ». Résultat, des délais d'accès rallongés : 23 % des personnes en situation de handicap doivent patienter cinq ans ou plus pour obtenir une place, contre 12 % pour les autres demandeurs. Par ailleurs, le handicap est un « critère qui dépriorise », constate Manuel Domergue, puisqu'il entraîne 14 % de chances en moins d'obtenir un logement social que pour les autres ménages.
« Une assignation à résidence »
L'inadaptation de l'habitat au sens large toucherait environ 5 % des ménages en logement ordinaire comprenant une personne en situation de handicap, et 3 % de ceux déclarant « quelques gênes ou difficultés » dans la vie quotidienne, soit près de 221 000 au total. « Vivre dans un logement adapté constitue pourtant un élément fondamental pour permettre l'autonomie et la participation à la vie de la cité », insiste le rapport. « Une partie d'entre eux subit donc une forme d'assignation à résidence, du fait du manque d'offre en logements adaptés, déplorent ses auteurs. Les personnes en situation de handicap mental ou psychique sont particulièrement touchées. Nombre d'entre elles restent toute leur vie au domicile de leurs parents, faute de solutions adaptées. » Selon la DREES, « quand des jeunes sortent d'un établissement spécialisé à 25 ans, seuls 5 % accèdent à un logement personnel, tandis que près de 40 % sont hébergés chez leurs parents et autant dans d'autres foyers ou établissements ».
1,5 million de personnes touchées par une panne d'ascenseur
« Être bien logé, c'est aussi pouvoir sortir de chez soi librement », affirme la Fondation pour le logement des défavorisés. Or, selon l'enquête « Autonomie » de la DREES, en 2022, 300 000 personnes éprouvaient beaucoup de difficultés à sortir seules, sans aide, pour des raisons de santé (dont 187 000 âgées de plus de 64 ans), et 675 000 ne le pouvaient pas du tout. En cause notamment : les pannes d'ascenseurs, qui concernaient 1,5 million de personnes en 2013, dont près de 300 000 en situation de handicap (}}}7{{{). Par ailleurs, 880 000 personnes handicapées vivent à l'étage d'un immeuble qui ne possède pas d'ascenseur. Des problématiques qui mettent aussi « à rude épreuve les aidants et les personnes intervenant à domicile », souligne-t-elle.
Peu de logements neufs accessibles
« Les obligations d'accessibilité, dans les parcs privé et public, reposent en grande partie sur la production de logements neufs », indique la Fondation. Or, en 2024, leur production a encore reculé, creusant un peu plus la pénurie dans les zones tendues. « Si le secteur de l'immobilier est touché depuis trois ans, ce sont aussi et surtout les personnes les plus vulnérables qui en sont victimes », regrette la Fondation. Autre obstacle : depuis 2018, la loi Elan a réduit l'obligation de logements accessibles de 100 % à 20 % dans les nouvelles constructions -cette obligation ne s'applique qu'aux habitats collectifs en rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur, désormais obligatoire à partir du R+3-, les 80 % restants ne devant plus être que « visitables » et « évolutifs » au terme de travaux simples (}}}5{{).
Une réticence face au droit au logement opposable ?
Bon à savoir : lorsqu'une personne en situation de handicap ne parvient pas à trouver un logement correspondant à ses besoins, elle peut faire valoir son Droit au logement opposable (Dalo) (Logement inadapté au handicap : faire valoir le DALO?). « Néanmoins, il a fallu attendre 16 ans après sa mise en place pour faire adopter un nouveau critère Dalo par l'intermédiaire de la loi '3DS' de février 2022, spécifiquement pour les personnes en logement inadapté à leur handicap », explique la Fondation. Pourtant, « plusieurs années après, on observe une certaine réticence du gouvernement à agir, puisque le formulaire Cerfa du Dalo ne mentionne toujours pas ce nouveau critère légal, poursuit-elle. En juin 2024, les recours pour cause de logement inadapté au handicap représentaient environ 11 % des demandes et seulement 6 % des décisions favorables en Commission départementale de médiation (Comed) ».
Rehausser l'AAH, mettre en place des sanctions...
Pour combler ce « profond retard », la Fondation formule plusieurs préconisations « urgentes » : abroger l'article 64 de la loi Elan qui réduit à 20 % la part de logements neufs accessibles ; mettre en place un système de contrôle et de sanctions dissuasives pour amener à l'accessibilité effective des logements (y compris dans les immeubles en copropriété, les logements étudiants ou sociaux) ; rehausser l'AAH « au moins au niveau du seuil de pauvreté monétaire ». Autre augmentation envisagée, celle de MaPrimeAdapt' (1er janvier, MaPrimeAdapt' : aide pour adapter un logement), afin de passer d'une prise en charge des travaux pour adapter son logement de 70 % à 90 % pour les revenus très modestes, tout en réhaussant le plafond de travaux éligibles de 22 000 à 30 000 euros et en la rendant opérationnelle en Outre-mer.
Des formations obligatoires en immobilier et architecture
La Fondation exhorte également à lutter contre les pannes d'ascenseurs, en s'appuyant sur la proposition de loi de Philippe Brun (obligation de réactivité des ascensoristes et des bailleurs et obligation de constituer un stock de pièces pour les sociétés d'ascenseurs permettant de les réparer rapidement), mais aussi à rendre « réellement obligatoire » pour les architectes et les professionnels de l'immobilier une formation sur l'accessibilité universelle, les besoins et usages des personnes en situation de handicap, en lien avec les associations d'usagers.
Appel à la mobilisation face à une crise généralisée
Ces entraves constatées pour les personnes en situation de handicap s'inscrivent dans une « crise généralisée ». Records de demandes de logement social (2,7 millions), de ménages expulsés avec le concours de la force publique (19 023, soit une hausse de 150 % en 20 ans), de personnes refoulées au 115 (6 000 chaque soir), de ménages souffrant de froid dans leur logement (30 %), de personnes mortes dans la rue (735)... « Tous les voyants sont au rouge, et l'instabilité gouvernementale a encore aggravé la situation et éloigné la perspective de solutions politiques ambitieuses, capables de concilier les enjeux sociaux et écologiques de l'habitat », dénonce la Fondation. Critiquant « l'attentisme » et le « renoncement » du gouvernement, elle appelle à « la mobilisation collective de l'exécutif pour faire de la politique du logement, l'un des chantiers prioritaires dans les trois prochaines années ».
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