« Les dents arrivent dans la bouche sans carries, alors comment faire pour conserver une bonne santé bucco-dentaire et ainsi lutter efficacement contre le risque de dénutrition ? », a fortiori pour les personnes en situation de handicap pour qui ces soins restent encore difficiles d'accès, interroge le Dr Anne Carlet, chirurgien-dentiste et secrétaire de l'Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD). Plusieurs experts, réunis dans un collectif, ont donné des pistes de réponse et sonné l'alerte sur cet « enjeu majeur de santé publique » lors d'un webinaire, le 18 novembre 2022 dans le cadre de la Semaine nationale de la dénutrition. Objectif : permettre à tous de croquer la vie à pleines dents !
La bouche, premier portail d'une santé de fer
La dénutrition est une « maladie insidieuse, silencieuse qui touche deux millions de personnes en France », majoritairement des personnes âgées, hospitalisées, malades, handicapées et des enfants. La mauvaise hygiène orale et l'absence de suivi chez le chirurgien-dentiste constituent des facteurs de risque majeurs. « L'amélioration de la santé bucco-dentaire est donc un prérequis à sa prévention, insiste le Dr Joseph-John Baranes, secrétaire général du Collectif de lutte contre la dénutrition. Et c'est l'affaire de tous ! » « La bouche n'est-elle pas le premier carrefour du tube digestif ? N'est-elle pas peut-être le premier carrefour de la vie ? », poursuit le chirurgien-dentiste, rappelant que la santé bucco-dentaire joue un rôle clé dans la respiration, la digestion, la vie sociale, l'estime de soi, avec une influence directe sur la santé et la qualité de vie. Et, pourtant, « avoir une bonne santé orale n'est, semble-t-il, pas encore considéré comme une priorité absolue », se désole le Dr Régine Velay, vice-présidente de Handident Occitanie.
Impact sur la santé et la morbidité
« Chez les personnes handicapées, les soins dentaires sont encore trop souvent éludés, remplacés par des extractions multiples (souvent sans anesthésie générale), des douleurs incomprises, une édentation totale (un handicap qui s'ajoute au handicap), des appareils amovibles non adaptés, des dents malades, des sourires disgracieux, une mauvaise haleine... Autant de risques majeurs pour sombrer dans la dénutrition », confirme le Dr Anne Carlet. Or les caries peuvent provoquer des douleurs, des difficultés dans le broyage des aliments et donc des troubles digestifs, des complications infectieuses, des problèmes ORL ou pulmonaires ou encore des préférences alimentaires néfastes. Le Dr Anne Abbé-Denizot, vice-présidente de l'UFSBD, note, plus particulièrement, un « délabrement important chez certains patients avec des troubles du spectre de l'autisme (TSA) ou des troubles psychiques qui peuvent être difficiles à prendre en charge au cabinet de manière régulière ». « Les éventuelles maladies bucco-dentaire et la difficulté à les appareiller va entraîner une dénutrition ainsi que des troubles de la capacité masticatoire, de l'équilibre et une baisse de la qualité de vie, qui sont des facteurs de morbidité », ajoute-t-elle.
Le rôle majeur des « aidents »
Une bonne toilette bucco-dentaire est donc essentielle et doit être personnalisée. Mais ce geste n'est pas toujours évident à réaliser, a fortiori pour les personnes avec des difficultés motrices ou les aidants qui doivent la pratiquer sur autrui. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à demander conseil aux dentistes, médecins et autres professionnels de santé mais aussi aux associations de personnes en situation de handicap. Les sites professionnels comme celui de l'UFSBD et mabouchemasante.fr fournissent également des informations précieuses. L'UFSBD a également co-conçu, avec CoActis santé, « Santé BD », un outil gratuit qui entend favoriser la communication entre les patients et les praticiens et démystifier différentes thématiques liées à la santé à l'aide d'images et d'un langage simplifié (en Facile à lire et à comprendre ouFALC). Plusieurs fiches sur la santé bucco-dentaire sont disponibles : « J'ai rdv chez le dentiste, je suis en fauteuil roulant », « En quoi consiste un détartrage ? », « Comment prendre soin de mes dents », « Comment choisir sa brosse à dents ».
D'autre part, il est « essentiel que cette thématique soit intégrée dans le projet des établissements médico-sociaux, de former les aidants professionnels à la prévention, d'avoir des référents dédiés pour initier et pérenniser les bonnes pratiques, et, enfin, de demander un bilan bucco-dentaire à l'entrée en établissement ou lors d'une nouvelle prise en charge d'un patient à domicile », complète le Dr Anne Abbé Denizot.
Les troubles de l'oralité : autre facteur de dénutrition
Si un mauvais état dentaire peut provoquer une dénutrition, l'inverse est également possible. « Quel que soit le cas de dénutrition, il est donc impératif d'éliminer en premier lieu un mauvais état bucco-dentaire du cadre étiologique », incite le Dr Régine Velay. Mais d'autres causes de dénutrition sont également évoquées, notamment les troubles de l'oralité, qui regroupent « l'ensemble des difficultés de l'alimentation par voie orale ». « Ils apparaissent très tôt, sont souvent associés à un handicap, et peuvent se diagnostiquer dès la naissance par une hypersensorialité », explique le Dr Abbé-Denizot. Les enfants concernés sont particulièrement sensibles aux odeurs et aux goûts, très sélectifs en matière d'alimentation et refusent de nouvelles expériences culinaires. Ces troubles alimentaires pédiatriques concernent notamment les jeunes avec TSA ou le syndrome de Prader-Willi, des maladies neurologiques, métaboliques, gastroentérologiques ou encore nés prématurés. En effet, « 80 % des enfants avec des retards de développement présentent des troubles alimentaires, avec une cause organique sous-jacente la plupart du temps, indique Anne Abbé-Denizot. En cas de handicap, les troubles de l'oralité sont assez vite repérés parce que le personnel soignant et les aidants sont particulièrement attentifs et vont tout mettre en œuvre pour éviter la dénutrition, mais ce n'est pas toujours facile », observe-t-elle.
Prise en charge globale impérative
« La prise en charge de cette maladie doit impérativement être globale et impliquer une collaboration étroite entre tous les acteurs concernés : familles, aidants, dentistes, médecins, nutritionnistes, orthophonistes... Plus nous travaillerons de concert, plus nous aurons de chance de lutter contre ces problèmes », exhorte le Dr Abbé Denizot.
Rappelons que, pour conserver une bouche en bonne santé, l'UFSBD recommande deux brossages par jour matin et soir, minimum, pendant deux minutes, selon des protocoles et du matériel adaptés à chacun, l'utilisation d'un fil dentaire ou de brossettes avant le brossage puis d'un dentifrice fluoré. Elle recommande également une alimentation équilibrée et variée répartie en trois repas par jour en évitant les grignotages, ainsi qu'une visite au minimum une fois par an chez le dentiste, et ce dès l'âge d'un an. Pour ne pas avoir une santé en « dents de scie » ?