Comment mieux soutenir l'accès et le maintien en emploi des personnes vivant avec un trouble psychique ? C'est la question qui a conduit l'Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) à mener, dans sept dispositifs d'emploi accompagné, une expérimentation inédite. Depuis 2017, elle constate que « les actions collectives sont très peu développées, en France, alors qu'elles offrent un vrai potentiel ». « À l'inverse, en Amérique du Nord, se pratiquent des ateliers inspirés des Thérapies comportementales et cognitives (TCC) qui permettent d'améliorer ce dispositif. On parle d'emploi accompagné augmenté », explique Simon Roussey, chef de projet au sein de ce think tank de l'action sociale.
L'Ansa a donc décidé de tester cette approche afin d'en mesurer l'impact sur l'insertion professionnelle, le bien-être et les pratiques des accompagnants. Les résultats, détaillés dans un rapport scientifique, disponible sur le site de la Fondation internationale de recherche appliquée sur le handicap (Firah) qui a soutenu cette recherche, montrent une accélération d'accès à l'emploi rarement observée dans ce secteur et réinterrogent la place du collectif dans l'accompagnement.
Emploi accompagné : un soutien individualisé
Pour rappel, l'emploi accompagné propose un soutien individualisé et durable pour permettre à une personne en situation de handicap de travailler en milieu ordinaire. Le principe est simple : partir du projet de la personne, la soutenir dans sa recherche d'emploi, l'aider à sécuriser son poste, ajuster l'environnement si nécessaire, maintenir un lien régulier avec l'employeur. Malgré son efficacité, le dispositif laissait encore de côté une dimension essentielle : le collectif, capable de briser l'isolement, de susciter l'entraide et de consolider la confiance. C'est précisément ce que l'Ansa a voulu introduire, en s'inspirant des TCC et des travaux menés au Canada.
TCC : mieux comprendre et gérer ses réactions au travail
Les TCC sont des approches psychologiques centrées sur le lien entre pensées, émotions et comportements. Lorsqu'une situation provoque une émotion difficile (stress, anxiété, sentiment d'échec), elles offrent des outils pour identifier ce qui se joue intérieurement, questionner les pensées automatiques qui alimentent la souffrance, ajuster ses réactions et mettre en place des stratégies concrètes. Dans le contexte professionnel, une situation perçue comme complexe peut ainsi activer des schémas de pensée négatifs, pesant sur l'estime de soi ou freinant la prise d'initiative. « Parfois, ce qui génère du stress ou du mal-être au travail n'est pas tant la situation elle-même que la manière dont elle est perçue. C'est précisément sur ce regard que nous travaillons ensemble lors des ateliers, explique Tania Lecomte, formatrice en TCC et spécialiste de l'emploi accompagné. Ils sont particulièrement adaptés aux personnes avec des troubles psychiques, tels que l'anxiété ou la dépression. »
Améliorer la gestion du stress au travail
Le programme comprend huit ateliers successifs, animés par deux professionnels formés à la méthode. Les groupes, de cinq à huit participants, alternent exercices, mises en situation et discussions. « Chaque atelier avait une thématique différente », souligne le rapport, tandis que des temps informels contribuaient, en parallèle, à renforcer la cohésion du groupe de 90 personnes.
Le premier atelier, consacré à la gestion du stress au travail, invitait les participants à reconnaître leurs déclencheurs, leurs réactions physiques ou émotionnelles et à identifier des techniques d'apaisement réalistes. Les deuxième et troisième s'intéressaient aux pensées automatiques liées au travail, ces phrases intérieures qui sabotent l'estime de soi. Avec l'outil phare du programme, le « tableau de la TCC », chacun apprenait à décortiquer une situation difficile, à isoler les pensées associées et à élaborer une interprétation plus juste. Un outil « utile aux personnes mais aussi aux professionnels », souligne le rapport.
Reconnaître les obstacles et ses propres compétences
Le quatrième atelier portait sur les obstacles à la réinsertion professionnelle. Fatigue, manque d'expérience récente, mobilité, relations complexes avec l'encadrement… Les participants exploraient ces freins, avant de co-construire des solutions réalistes. Le cinquième atelier, centré sur les forces et compétences, réintroduisait une dimension souvent érodée chez les personnes vivant avec un trouble psychique : reconnaître ce que l'on sait faire, ce que l'on a déjà accompli, ce que l'on peut mobiliser pour progresser.
Faut-il divulguer son trouble psychique au travail ?
Le sixième atelier abordait l'art délicat de recevoir des critiques et d'oser s'affirmer. À travers des mises en situation, les participants analysaient leurs réactions spontanées, testaient des réponses plus assertives et retrouvaient une capacité à dialoguer sans se sentir fragilisés. Le septième atelier posait une question cruciale : faut-il, ou non, divulguer son trouble psychique au travail ? Les avantages, les risques, les conditions favorables étaient discutés sans tabou, afin d'aider chacun à prendre une décision éclairée. Enfin, le programme se concluait par la construction d'une stratégie de réinsertion professionnelle, un plan d'action personnalisé pour capitaliser sur les acquis du cycle.
« La dynamique d'entraide induite par le groupe a un impact sur le bien-être », observe l'Ansa. « Ça aide beaucoup de se dire qu'on n'est pas seul », témoigne Guillaume, l'un de ses membres.
Un impact chiffré sur l'accès et le maintien en emploi
Les données quantitatives confirment les bénéfices du dispositif. Trois mois après le début des ateliers, 22 % des personnes sans emploi du groupe expérimental en avaient retrouvé un, contre 13,4 % dans le groupe témoin. À six mois, l'écart grimpe à 28,6 % contre 16,7 %. Dans un domaine où l'accès à l'emploi est souvent long et incertain, un tel effet constitue une avancée notable.
Concernant le maintien en emploi, l'impact est surtout visible à court terme : 77 % des personnes en poste au lancement sont toujours en emploi trois mois plus tard (contre 66,7 % dans le groupe témoin). À six mois, les courbes se rapprochent, ce que les auteurs attribuent à une impulsion forte donnée par les ateliers, relayée ensuite par l'accompagnement individuel.
Un impact massif sur le bien-être et la perception du handicap
Les effets dépassent la seule dimension professionnelle. L'expérimentation montre une diminution plus rapide des symptômes anxieux et dépressifs, ainsi qu'une amélioration de l'estime de soi. Les participants décrivent une meilleure compréhension de leurs émotions, une communication plus apaisée ou encore une capacité accrue à affronter des situations stressantes.
Les professionnels, eux, observent « un changement dans la représentation du handicap » et une capacité accrue à surmonter les obstacles du quotidien. Selon eux, les personnes prennent davantage d'initiatives, identifient mieux les adaptations nécessaires et mobilisent plus facilement des stratégies d'ajustement. Ils notent aussi que certains outils, notamment le tableau TCC, enrichissent leurs pratiques individuelles. L'expérimentation a ainsi un double effet : elle transforme la trajectoire des personnes accompagnées et modifie durablement la manière d'accompagner.
Des outils pour diffuser la méthode
Pour faciliter la diffusion et la réappropriation de la démarche, les chercheurs ont produit plusieurs supports. Leur vocation : « offrir un cadre méthodologique pour les structures, des outils pratiques pour les professionnels ainsi que des repères clairs pour les personnes accompagnées ».
Le guide d'essaimage détaille les conditions nécessaires (implication de la direction, formation des animateurs, organisation logistique…) et les facteurs clés de réussite : choix des animateurs, mobilisation de l'équipe, repérage des publics, déroulé des ateliers, débriefings, capitalisation dans l'accompagnement individuel. Il se présente comme un manuel opérationnel pour reproduire les ateliers.
Le film "Emploi accompagné et TCC" (en vidéo ci-contre) complète le dispositif. Il présente, en une dizaine de minutes, les objectifs, modalités et résultats des ateliers en donnant la parole aux participants, aux animateurs et aux directions.
Vers un emploi accompagné augmenté en France ?
À la lumière de ces résultats, l'Ansa préconise de diffuser cette approche et d'enrichir le modèle existant. Elle propose notamment d'organiser des ateliers « booster » six mois après le premier cycle pour maintenir la dynamique. Enfin, « il serait utile de diffuser cette pratique (…) dans d'autres services accompagnant des personnes en situation de handicap », conclut cette association qui analyse, expérimente et évalue des politiques sociales pour lutter contre les inégalités et favoriser l'inclusion.
* en partenariat avec l'université de Montréal, l'université du Québec à Montréal, l'université Paris Cité, le Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal et Signe de sens
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