87 millions d'Européens en situation de handicap ! Quelle prise en compte dans chacun des 27 pays qui composent l'Union ? C'est pour dresser un état des lieux que, dans le cadre de la présidence française (du 1er janvier au 30 juin 2022), Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, a réuni une quinzaine de ses homologues ou leur représentant à Paris le 9 mars, quatre ans après une première réunion du même acabit.
Des disparités manifestes
Objectif de cette rencontre ? Discuter des moyens d'actions possibles pour renforcer la nouvelle stratégie relative aux droits des personnes handicapées 2021-2030 afin d'améliorer l'accessibilité et l'accès aux droits, dans la lignée de la Convention des Nations unies. Chacun est venu avec son histoire, ses bonnes pratiques, ses carences aussi... Au fil des échanges, cette longue liste à la Prévert témoigne de grandes disparités dans la prise en compte du handicap dans les politiques publiques. Si les membres historiques de l'UE ont manifestement une longueur d'avance, d'autres semblent véritablement à la traîne. « L'idée étant que certains pays en inspirent d'autres », précise Helena Dalli, commissaire européenne à l'égalité. Ce jour-là, aucune décision majeure n'a été prise. Pas même, lorsque, en fil rouge, la situation en Ukraine est maintes fois évoquée, notamment par les pays frontaliers, comme la Pologne, qui réclament en urgence un soutien coordonné de l'Union pour faciliter l'accueil des réfugiés en situation de handicap ou aider, sur place, ceux qui peinent à fuir (article en lien ci-dessous). En dépit de l'émotion, le ton n'est visiblement qu'à la discussion, au partage d'expériences...
Stratégie UE : aller plus loin
Si Sophie Cluzel salue les « avancées majeures » de la stratégie européenne 2010-2020 sur le handicap, elle exhorte à « aller plus loin ». Trop d'obstacles demeurent, généralisés dans tous les pays : manque d'accessibilité et d'accès aux droits, discriminations et préjugés. L'UE assure que « l'éducation et la formation pour tous est l'une de ses priorités ». Elle a notamment consacré un budget de plus de 26 milliards d'euros au nouveau programme Erasmus+ 2021-2027, qui prévoit une prise en charge incluant les coûts additionnels auxquels doivent faire face les étudiants en situation de handicap et leurs accompagnants. Sophie Cluzel propose de nommer un référent handicap dans chaque ambassade française afin de « fluidifier les parcours, permettre d'entrer en contact avec les rééducateurs locaux ou assurer la bonne délivrance des traitements médicaux».
Un « paquet emploi » en 2022
En matière d'emploi, Helena Dalli juge la « situation inacceptable ». En Europe, seules 51 % des personnes handicapées (à titre de comparaison, 61 % en France) occupent un emploi (contre 75 % pour le grand public), surreprésentées dans les métiers précaires et à bas salaires. La commissaire européenne exige un engagement coordonné. Pour y parvenir, un « paquet emploi » doit voir le jour en 2022, avec ses premiers effets attendus dès 2024. Il s'agit d'un ensemble de mesures non législatives, 64 au total dans six domaines, pratiques, portant par exemple sur les aménagements raisonnables, la sécurité au travail, les stéréotypes en emploi, un registre des bonnes pratiques.... L'objectif étant d'améliorer l'insertion professionnelle, grâce à la coopération du réseau européen des services publics de l'emploi, des partenaires sociaux et des organisations représentatives des personnes en situation de handicap. Le DuoDay, initiative née en Irlande mais généralisée en France depuis 2017, est vanté par Sophie Cluzel comme une piste prometteuse, un « levier parmi d'autres pour ouvrir les portes des entreprises ». Même si ce « one shot » annuel peine à convaincre ses détracteurs qui le jugent « trop frustrant », la ministre a réaffirmé que, lors de l'édition 2021, 17 % des duos ont débouché sur un stage ou un emploi en CDD ou CDI. Elle entend faire de cette initiative un atout clé, essaimable dans tous les pays membres, lors de la 30e Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) en novembre 2022. L'emploi accompagné et le job coaching, ainsi que la nécessité de favoriser les passerelles entre le milieu protégé et ordinaire, ont semblé faire consensus parmi les participants. Sophie Cluzel a, par ailleurs, lancé l'idée d'une campagne européenne sur l'emploi des personnes handicapées.
Accessibilité universelle, secret de l'autonomie
La ministre française a martelé la nécessité, « parce ce que c'est le secret de l'autonomie », de développer la mise en accessibilité universelle de tous les services et équipements. Elle annonce la création en 2022 d'un centre de ressources pour l'accessibilité (AccessibleEU), sous la forme d'une plateforme virtuelle, sans plus de détails. Par ailleurs, la généralisation de la carte européenne du handicap a été précisée à l'occasion de cette rencontre (article en lien ci-dessous). Ce projet pilote lancé en 2016 dans huit pays doit permettre de garantir une égalité d'accès, au-delà des frontières, même si elle ne modifie pas les critères nationaux ni les règles nationales d'admissibilité. Les Etats membres restent libres de décider qui peut recevoir la carte, sur la base de la définition nationale de l'invalidité, et de déterminer la procédure d'octroi.
Focus sur la recherche sur l'autisme
Parmi les quatre tables rondes, une visait à remettre la recherche sur l'autisme et les troubles du neuro-développement, qui concernent 5 % des naissances, au « cœur des politiques publiques de l'UE ». Elle était animée par Catherine Barthélémy, directrice du Groupement d'intérêt scientifique (GIS) autisme et troubles du neuro-développement. « Nous avons pu échanger sans pour autant fixer d'action déterminante », consent Sophie Cluzel. Visant une collaboration européenne dans ce domaine en « constante évolution » et afin « d'améliorer les synergies », est néanmoins prévue la construction d'un « Espace européen » dédié. Trois projets sont également à l'ordre du jour : ERA-net NEURON pour soutenir le financement de la recherche collaborative et multinationale, l'initiative IMI (Innovative medicines initiative) qui cible des approches de médecine personnalisées pour les troubles du spectre de l'autisme (TSA) et, enfin, AIMS-2-TRIALS, programme de recherche européen pour développer, tester et mettre en œuvre de nouveaux traitements. L'UE s'implique également dans la mise en place d'un réseau mondial d'essais cliniques. Credo commun à tous : impliquer les personnes et les familles à chaque étape de la recherche, en les plaçant au centre des démarches et des méthodologies choisies.