Près de deux tiers des Français estiment que le handicap est un « obstacle au bonheur et à une vie épanouie » et l'associent à des notions de « difficulté » et de « souffrance », pointe une étude de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), réalisée par Cindy Lebat, sociologue spécialiste du handicap, publiée le 15 avril 2022 (en lien ci-dessous). Si la responsabilité de l'Etat et de la société est pointée du doigt, du fait du manque d'aides, d'infrastructures et plus largement d'accessibilité, l'accent est surtout mis sur la persistance des discriminations et le manque d'inclusion.
Risque accru de discriminations
70 à 80 % des répondants estiment, en effet, que le handicap peut accroître le risque d'être victime de rejet ou de violences (physiques, verbales, psychiques, économiques...). Une hypothèse avérée puisqu'il reste, en 2022, pour la cinquième année consécutive, le premier motif de discriminations selon les saisines du Défenseur des droits (article en lien ci-dessous). « Parmi les personnes bénéficiant d'une reconnaissance administrative, 41 % déclarent avoir subi une discrimination en raison de leur handicap », plus particulièrement les jeunes, indique l'étude. Ce document de 99 pages fait suite à un premier rapport préliminaire sur « les stéréotypes et les préjugés à l'égard des personnes en situation de handicap » publié le 21 juillet 2021. Son ambition ? Identifier les freins et les leviers afin de briser les idées reçues et d'améliorer les conditions de vie de 12 millions de Français.
« Hiérarchisation des handicaps »
Parmi les 2 019 personnes ayant répondu à cette vaste enquête via un questionnaire en ligne, 21 % évaluent la proportion de personnes handicapées à moins de 5 %, contre 20 % en réalité. Toutefois, une grande majorité (80 à 93 %) affirme connaître les différents types de handicaps, avec en tête de liste la surdité et l'autisme (93 %). « Lorsqu'ils disent savoir 'précisément ce dont il s'agit', c'est une réponse déclarative, et cette connaissance affirmée peut-être en réalité parcellaire, erronée ou empreinte de stéréotypes », précise le rapport. A contrario, un Français sur cinq déclare ne pas connaître le polyhandicap. Les troubles cognitifs liés à des lésions cérébrales acquises sont également mal connus, par la moitié de la population seulement. De façon globale, les jeunes semblent avoir une perception moins bonne des différents handicaps que leurs aînés. Ce rapport met ainsi en évidence une « différence de traitement selon les déficiences », faisant apparaître une hiérarchisation des handicaps. De plus, si les Français se déclarent dans l'ensemble « à l'aise » face aux troubles sensoriel et moteur (respectivement 66 et 58 %), ce chiffre baisse lorsqu'il s'agit de handicap mental (46 %) et psychique (36 %).
Sous-représenté dans les médias
Pour changer la donne, une présence médiatique renforcée des personnes handicapées apparaît comme une solution. Or, en 2021, le handicap visible n'apparaît qu'à hauteur de 0,8 % à la télévision (article en lien ci-dessous). 71 % des répondants estiment que les personnes handicapées ne sont pas suffisamment présentes dans les médias de manière générale mais aussi dans les arts et la culture. De même, 62 % estiment que le handisport n'est pas suffisamment diffusé sur le petit écran.
Pas un frein à l'intégration professionnelle...
Place maintenant aux opinions en matière d'emploi. De façon générale, les Français ne considèrent pas le handicap comme un frein à l'intégration professionnelle, 81 % estimant que les personnes concernées sont capables de travailler. Les jeunes expriment une réticence beaucoup plus forte que leurs aînés : 35 % des moins de 35 ans déclarent que, s'ils étaient employeurs, ils jugeraient les personnes handicapées incapables de travailler, contre seulement 7 % chez les 50 ans et plus. De même, un petit quart de répondants estime qu'elles ne sont « pas capables » d'occuper les mêmes emplois que les « valides ». « Une partie les imagine plus volontiers sur des postes adaptés ou dédiés, dans des institutions spécialisées comme les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) par exemple », suppose l'auteure du rapport.
Notons toutefois qu'une large proportion de Français (89 %) disent se sentir prêts à travailler avec une personne en situation de handicap et qu'elle peut « apporter une richesse au collectif de travail ». « Une vision optimiste » qui « semble être facilitée par l'attitude bienveillante des collègues », souligne le rapport.
... ni à la vie familiale et sexuelle
Concernant la vie familiale, 85 % des Français pensent qu'une personne en situation de handicap peut avoir des enfants, toutefois 31 % estiment que la situation serait « plutôt à éviter », jugeant cela « trop difficile » ou « présentant un risque de transmission du handicap ». Des résultats qui mettent en lumière le besoin criant de sensibilisation. Sur la question de la sexualité, les réponses ne sont pas extrêmement tranchées. Une courte majorité de Français (58 %) estime que le handicap n'est pas un obstacle à la vie sexuelle, « mais les avis sont largement moins contrastés que sur d'autres thématiques », observe Cindy Lebat. Notons que, comme pour les questions liées à la parentalité, l'écart entre les hommes et les femmes est significatif, 51 % des hommes considèrent le handicap comme un frein à une vie intime, contre 32 % des femmes.
Ecole inclusive : des avis partagés
« Intégrer » ou pas à l'école ? Les avis divergent. De manière globale, 66 % des répondants pensent que les enfants handicapés ne sont « pas bien insérés dans le système scolaire » en France. Près d'un tiers (31 %) estiment que ces élèves seraient mieux pris en charge dans un établissement spécialisé. Ils sont légèrement plus nombreux (34 %) à penser, au contraire, qu'ils doivent être intégrés dans le système scolaire classique. Enfin, une proportion équivalente (34 %) estime qu'ils devraient être accueillis dans une classe spécialisée intégrée dans une école classique, de type Unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis).
La connaissance, clé de la compréhension
Pour conclure, « malgré une vision plutôt optimiste et une attitude qui leur apparaît beinveillante et tolérante, il semble difficile pour les Français d'imaginer autre chose qu'une vie faite de souffrance », relève l'auteure du rapport. « Ils ne semblent pas avoir intégré le changement de regard porté par les mouvements soutenant le modèle social du handicap », ajoute-t-elle. Selon elle, la connaissance apparaît comme « un préalable indispensable à la compréhension », qui passe par une « recherche dynamique et largement diffusée ».
Décalage entre les discours et la réalité
La CNCDH appelle ainsi à « construire collectivement une culture de l'acceptation et de la reconnaissance des situations de handicap, d'autant plus que chacun peut un jour l'éprouver, de manière transitoire ou définitive. Elle observe un « décalage entre l'ambition de discours politiques au plus haut niveau et la réalité vécue au quotidien ». « L'ambivalence des attitudes, oscillant entre paternalisme et évitement, résumant les personnes handicapées à des sujets de soins, doit céder la place à une approche par les droits des personnes handicapées, ni héros ni victimes », conclut le document sur lequel s'appuiera le rapport final de la CNCDH qui sera rendu public au premier trimestre 2023.