Dimanche 18 mars 2018. Julien et son frère Rudy, en fauteuil roulant, grands voyageurs qui relayent leurs péripéties sur le site Handilol (lien ci-dessous), sont à Marseille pour assister au match de foot qui oppose l'Olympique de Marseille à l'Olympique lyonnais. Objectif transports en commun : le stade Vélodrome. Depuis le Vieux port, ils doivent prendre le bus 41. Rudy a validé sur le site de la RTM (régie des transports de Marseille) les lignes et arrêts accessibles en fauteuil. Tout est carré, cadré !
Fin de non-recevoir
À 16h30, le bus arrive. Le conducteur tente de faire fonctionner la rampe pour fauteuil roulant. Impossible. Il répond : « Désolé, il faut attendre le bus suivant ». Nous sommes un dimanche et le délai d'attente est de 30 minutes. Même à Marseille il fait froid mais pas le choix. À 17h, deuxième bus. Julien réclame à nouveau le déploiement de la rampe. Réponse : « Non ce n'est pas possible, Monsieur. Nous avons pour consigne de nos supérieurs de ne pas la sortir parce qu'elle ne marche pas et qu'après elle fait tomber le bus en panne ». « Ah bon ? Mais comment on fait alors ? », rétorquent les frères. Le conducteur poursuit : « Il y a un service exprès pour les personnes à mobilité réduite qui s'appelle Mobi métropole ». Oui mais, là, tout de suite, on fait quoi ? D'autant que sur son site, il est écrit, comme pour la plupart des autres villes de France, qu'il faut être abonné au service et résider à Marseille ou aux environs pour pouvoir en bénéficier. « Donc, si on est en fauteuil, on ne peut prendre ni le métro ni le bus à Marseille ? », questionne Julien. Réponse cinglante : « Donc, là, vous êtes en train de dire que c'est de ma faute et vous voulez que je fasse tomber le bus en panne ? ». Le chauffeur referme les portes et s'en va, laissant les deux frères ahuris, tout comme les personnes ayant assisté à la scène.
Option de secours
Face à cette situation, visiblement sans issue, Julien et Rudy se résignent à prendre le tramway pour se rapprocher du stade Vélodrome et tenter une autre ligne, la 19. Et, là, rebelote ! Un bus s'arrête, même discours. Next ! Puis un deuxième : « Le conducteur nous explique que, non, il n'y a aucune interdiction d'utiliser la rampe, mais que, oui, il arrive qu'elle fasse tomber le bus en panne ». Il accepte néanmoins de faire un essai et, après deux tentatives infructueuses, eurêka, elle finit par se déployer. Il est 18h. Leur périple a débuté à 16h20. Pour le retour, qui s'annonce encore plus laborieux à cause de la foule, Rudy décide de ne pas tenter sa chance avec le bus et de rentrer à son hôtel en fauteuil, à 3,3 km de là. Couché à 2h du mat'. « Heureusement que l'Olympique lyonnais a gagné 2-3 pour finir la journée sur une note positive ! », ironise Julien.
Un réseau saturé
Le lendemain, Julien et Rudy se rendent à l'office du tourisme pour raconter leurs mésaventures puis à l'agence RTM qui leur suggère de faire une réclamation par écrit, pour transmettre à qui de droit. Ils auraient pu s'en tenir là ; après tout, ils n'étaient que de passage. Mais ils songent aussi aux habitants de Marseille en fauteuil qui se retrouvent confrontés à ces difficultés de déplacements tout au long de l'année. « Il faut absolument que la situation s'améliore ! », assure Julien. A leur retour, ils relatent leur escapade sur la page Facebook d'Handilol. Des centaines de personnes, à Marseille comme ailleurs, réagissent aussitôt, témoignant des carences nationales dans les transports en commun. Les internautes marseillais confirment, notamment, une information révélée par notre confrère Faire face début mars 2018 : le réseau Mobi métropole est totalement saturé. Victime de son succès, la prise en charge aurait triplé en six ans, et le dispositif aurait atteint sa capacité maximale. Mireille Fouqueau, la directrice départementale APF des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, déplore, sur Faire Face, le fait « qu'il faut réserver une semaine à l'avance si on veut être sûr d'avoir le service ».
Pas de place pour l'imprévu
Urgence et imprévu interdits ! Cette situation est dénoncée d'une voix commune par vingt associations locales réunies au sein du collectif Handicap 13. Mobi métropole reconnaît « qu'il a effectivement connu une saturation du service en janvier 2018 » mais que « la situation s'est rétablie grâce au budget accordé par Marseille Provence Métropole. » Cette dernière assure que « l'accessibilité des transports communs pour les personnes à mobilité réduite (PMR) est une priorité. Avec l'objectif de rendre tous ses réseaux accessibles d'ici à 2020 pour les transports urbains. Puis 2021 pour les cars et 2025 pour le métro ». De bonnes raisons de douter ?
Et les touristes alors ?
Quoi qu'il en soit, rien n'est réglé pour les visiteurs occasionnels. Jusqu'à ce que Julien reçoive, le 23 mars, une réponse de Mobi métropole : « Vous pouvez utiliser nos services à titre exceptionnel lors de votre séjour sur Marseille. Il faut remplir un formulaire de 2 pages et joindre la copie de votre carte d'invalidité. Ensuite, vous pouvez réserver vos transports quelques jours avant votre arrivée afin que vos transports soient prévus dans le planning des conducteurs. » Or cette info ne figure nulle part sur le site de la RTM. « Lorsqu'on est de passage, comme nous, nous n'avons actuellement pas moyen de le savoir et encore moins d'anticiper notre inscription avec le formulaire (de 2 pages !) à remplir, s'indigne Julien. Et puis, pour rappel, les bus sont censés être accessibles à l'aide de la rampe, et réserver un transport Mobi métropole un dimanche après-midi à la dernière minute parce qu'on ne veut pas de nous, c'est impossible ! ».
Une pétition en ligne
Les deux frères se sont rapprochés d'une autre association, « Harcelons-les ! », dont les membres, confrontés aux problèmes récurrents de transport, ont publié une pétition en ligne (lien ci-dessous). Elle confirme que les conducteurs ont pour consigne de ne pas déployer les rampes aux arrêts qui ne présentent pas les trois caractéristiques nécessaires : bus en capacité d'accueillir les PMR, passage de la voirie du trottoir au bus sans obstacle pour les PMR et voirie et trottoir adaptés pour l'utilisation de la rampe (pas de pente trop importante). Dans ce contexte, certains arrêts ont donc été « déclassés ». Soit mais, dans le cas de Rudy et Julien, les stations empruntées figuraient bien comme accessibles sur le site de la RTM. En dépit des efforts qu'affirme avoir engagés la régie, a-t-elle prévu une procédure contre la mauvaise volonté ?
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