« Nous, associations de patients, de familles, d'acteurs de la santé mentale, nous vous faisons part de notre totale indignation ». Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre le 13 mai 2019, l'Union nationale des familles et amis de personnes malades et handicapées psychiques (Unafam) laisse éclater sa colère suite à la publication d'un décret (n° 2019-412) au Journal officiel (JO). Ce texte autorise que les noms, prénoms et date de naissance d'une personne hospitalisée en soins psychiatriques sans consentement, contenus dans le fichier « Hopsyweb », normalement utilisé par les Agences régionales de santé (ARS) pour le suivi de ces patients, « fassent l'objet d'une mise en relation avec les données enregistrées au fichier des personnes surveillées pour radicalisation ou lien avec le terrorisme (fichier FSPRT) ». En bref, des données à caractère personnel, dans un cadre médical, pourraient être utilisées à des fins de lutte contre le terrorisme. Trois ans après, ce mélange des genres ne passe toujours pas pour les associations et personnels du secteur de la psychiatrie, qui rejettent en bloc les nouvelles « méthodes Hopsyweb ».
Une dérogation au secret médical
En effet, un nouveau décret (n° 2022-714) paru au JO le 28 avril 2022 prévoit un élargissement des conditions d'accès à ces fichiers Hopsyweb, notamment aux préfets de police et services de renseignement, dans le cadre de la loi de prévention du terrorisme (du 30 juillet 2021). Jusqu'à cette date, la communication d'informations, telles que l'admission en soins sans consentement ou encore « la décision d'admission en soins psychiatriques d'une personne ayant fait l'objet d'un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » était limitée au seul préfet de département du lieu d'hospitalisation. Désormais, tous les préfets pourront y avoir accès. Une dérogation au secret médical sur laquelle la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) émet plusieurs réserves...
Des zones d'ombres
Le gendarme du numérique affirme d'une part que « les modalités d'échange d'informations entre les préfets et l'ARS ne sont pas suffisamment encadrées ». D'autre part, il souligne que les traitements Hopsyweb « ne constituent ni des fichiers d'identification, ni des fichiers de prévention des risques liés à la radicalisation des personnes atteintes de troubles mentaux ». En résumé, rien ne garantit que ces renseignements de santé puissent aider à lutter contre le terrorisme et la radicalisation. La Cnil propose en revanche que « seul le référent identifié au sein de chaque ARS, intervenant dans le cadre de la Cellule pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CPRAF), puisse procéder à la vérification de l'identité de la personne et communiquer des informations complémentaires, sur sollicitation du préfet de département et, à Paris, du préfet de police ». Cette mesure devrait ainsi limiter le nombre de témoins dans la gestion de ces données personnelles, soumises au secret médical.
« La destigmatisation n'est pas en marche »
Quelques jours seulement après la publication d'un autre décret sur l'irresponsabilité pénale (article en lien ci-dessous), le secteur de la psychiatrie accuse le coup. « C'est à nouveau un texte répressif et stigmatisant qui marque la ré-investiture du président de la République, Emmanuel Macron », tonne la présidente de l'Unafam, Marie-Jeanne Richard, dans une nouvelle lettre ouverte. La preuve selon elle d'une « dérive sécuritaire qui fait de la psychiatrie une discipline où on enferme ». Et de conclure : « Avant de partir, nos ministres ont fait passer les textes répressifs qu'ils avaient dans leurs tiroirs. La destigmatisation n'est pas en marche », ironise-t-elle en référence au slogan du parti présidentiel. Si l'association garde l'espoir d'une réécriture du premier décret, « il sera difficile d'être entendu pour le second », prévient-elle, désabusée.