"Interdit aux chiens guides !" : ces hôtels hors la loi

Trois hôtels parisiens stipulent noir sur blanc leur refus d'accueil d'un chien guide, au mépris de la loi. En 2024, encore ? Syndicat de la filière et écoles hôtelières ont-ils assez de "mordant" sur cette question ? Enquête en trois volets.

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Un Labrador blanc posé sur une valise.

« Notre hôtel n'accepte pas les chiens ! » Refus identiques dans deux établissements parisiens. Il est pourtant précisé dans le mail de demande de réservation qu'il s'agit d'un chien guide. Pour un troisième, c'est oui à condition qu'il pèse moins de dix kilos. Pas de bol pour Lima, croisée bouvier/labrador/border, la partenaire indispensable de Nicolas Moineau. Ce champion du monde d'escalade, aveugle, doit faire la tournée des médias pour la sortie de son autobiographie A perte de vue (éditions Arthaud). Mais ce séjour parisien a un goût amer…

Plates excuses !

Il alerte Handicap.fr qui dégaine l'arme fatale auprès des hôteliers, la loi de juillet 1987 sur l'accueil des chiens guides, et fait valoir qu'un tel refus les expose à une amende pouvant aller jusqu'à 450 euros, voire davantage en cas de récidive. Dans leur cas, le « délit » (car c'en est bien un) est écrit noir sur blanc. Marche-arrière, plates excuses, les directions invoquent la responsabilité des réceptionnistes (une nouvelle et un stagiaire) mal informés (formés ?). L'un des dirigeants affirme qu'il va « s'assurer que l'information soit transmise à l'ensemble des équipes pour que ce problème ne se reproduise plus ». Une piqûre de rappel bien utile pour une loi tout de même en vigueur depuis… 36 ans !

Surtout, ne pas prévenir !

« Le plus souvent, ces refus sont en effet dus à une méconnaissance de la loi par certains employés », remarque Thibaut de Martimprey, militant associatif qui ne se déplace jamais sans son labrador Toad. Parfois confronté à des accueils « un peu tendus », il n'a jamais flanché. « Il n'y a aucune obligation de prévenir que l'on vient avec un chien guide dans un lieu public », ajoute-t-il. Ce fut d'ailleurs la technique employée par Nicolas Moineau lorsqu'il était en déplacement avec l'équipe de France : mettre les hôteliers devant le fait accompli, sans négociation possible. La carte d'invalidité, le certificat d'identification national du chien et le harnais ont force de loi. Cela vaut évidemment pour tous les chiens dûment formés et reconnus par une école officielle, qu'ils soient guide d'aveugle, d'assistance ou écouteurs, pour les personnes sourdes. En revanche, les animaux dits « de soutien émotionnel » sortent de ce cadre.

L'hôtellerie en 1ère ligne ?

Des problèmes avec les hôtels, monnaie courante ? Selon le report de l'OBAC (Observatoire de l'accessibilité des chiens guides), les réclamations viendraient en premier de l'hôtellerie/restauration, puis des taxis. Stéphane Rossetti, responsable relations adhérents de l'Association nationale des maîtres de chiens guides, encourage à faire systématiquement un signalement car « plus il y en aura, plus on aura de possibilités d'intervenir auprès des ministères concernés ». Comme en 2018 ? Après un refus un peu musclé dans un magasin Carrefour, Sophie Cluzel, alors secrétaire d'Etat au handicap, avait réuni dirigeants et syndicats de la grande distribution (Chien-guide refusé dans un supermarché, il filme la scène). Plus tard, ce sont les sociétés Uber et G7 qui s'étaient engagées dans des démarches de sensibilisation de leurs chauffeurs.

L'asso Tourisme et handicaps sur le front

De son côté, l'association Tourisme et handicaps, lors des évaluations des établissements, dit aborder « automatiquement le sujet avec l'hôtelier ou le restaurateur » en lui demandant de « briefer l'ensemble de son personnel ». « En tout état de cause, les hôteliers sont censés être au courant via leur fédération et les employés via leur centre de formation », s'exaspère Thibaut de Martimprey.

Des étudiants assez formés ?

Alors ce sujet est-il réellement abordé dans les écoles d'hôtellerie ? Ferrandi Paris assure avoir la responsabilité de « former les futurs professionnels à ces enjeux sociaux aujourd'hui incontournables ». Les étudiants de première année de cette prestigieuse école suivent un module de 15 heures d'initiation à la RSE (responsabilité sociale des entreprises) qui aborde différents sujets en lien avec l'environnement, la transition écologique, le handicap et l'eco-management tandis qu'en fin de cursus les cours de management incluent l'intergénérationnel, l'inclusion, la prise en compte du handicap, la bienveillance en lien avec le leadership et l'humilité. Enfin, les modules d'entrepreneuriat intègrent la législation sur le handicap. 

Au CEFPPA (CFA professionnel à Strasbourg-Illkirch), l'accueil des chiens guides est traité dans le cadre de la thématique accueil inclusif. A l'inverse, une autre école, qui préfère rester anonyme, n'est pas certaine que cette « question soit détaillée lors de la formation car le programme est très chargé et l'apprentissage se fait sur le terrain ». Elle renvoie la balle vers les organismes qui délivrent les autorisations d'exploiter un établissement ou les syndicats.

Un syndicat bien rencardé ?

Alors on a posé la question au premier d'entre eux, l'Umih (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie), qui représente 70 % des entreprises syndiquées de la filière. Premier bon point ? Elle est membre de l'OBAC depuis 2015. Le deuxième : la présidente de sa branche hôtellerie, Véronique Siegel, dit « regretter vivement ces incidents ». Une note juridique datant de 2019, « Accueil des animaux », a été rédigée et diffusée à l'ensemble des adhérents. « Un établissement n'a donc pas le droit de refuser l'accès (à ces chiens), ni de facturer un supplément », y compris « pour les chiots guides en formation », est-il surligné en gras. Ils sont par ailleurs « dispensés de muselière ».

Des signalements systématiques

Alertée par le cas Moineau, Véronique Siegel s'engage à « renouveler cette communication, en prenant soin de préciser que l'ensemble de l'équipe doit être informée ». Elle invite les clients confrontés à ce type de refus à les signaler à l'Umih, « ce qui permettra à minima de mesurer l'ampleur de la situation ». « Si le cas est constaté auprès d'un de nos adhérents, l'Umih est en mesure d'intervenir », ajoute-t-elle, « dans le cas contraire nous pourrons le contacter, mais avec moins de chance de succès ».

Quant à François Contensou, directeur commercial du groupe hôtelier Arteloge implanté dans la région lyonnaise, il part du principe que « quelle que soit la loi, accepter les chiens guides est une question de bon sens et d'intelligence de situation ».

Que faire en cas de refus ?

Nicolas Moineau pourrait déposer plainte, d'autant plus qu'il possède des preuves écrites. Alors que faire en cas de refus ? Stéphane Rossetti détaille dans un second article toutes les étapes de la procédure, de la conciliation jusqu'à la plainte auprès du procureur de la République. Lire : Refus chien guide dans un lieu public : Refus chien guide dans un lieu public : 10 étapes à suivre !.

Et dans les chambres d'hôtes et gîtes ?

Si la loi ne permet aucune exception dans les hôtels, qu'en est-il des chambres d'hôtes ou gîtes avec des capacités d'accueil limitées, de type Airbnb, Abritel, Gîtes de France ? La situation n'est plus la même. Les réponses dans le troisième volet de notre enquête : Airbnb and co : chiens guides encouragés mais pas de loi!.

© Stocklib / mindsparx

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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