« Le risque est confirmé. » En publiant, le 6 novembre 2025, le rapport final de l'étude nationale Epi-Phare, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) révèle une donnée inédite : les enfants de pères épileptiques traités par Valproate au moment de la conception présentent un risque accru de troubles neurodéveloppementaux (TND).
Après des années d'attention centrée sur les femmes enceintes, c'est au tour des pères de passer sous la loupe. Cette découverte bouscule la compréhension de l'héritabilité médicamenteuse et met en lumière une question longtemps négligée : le traitement d'un homme peut-il influencer la santé future de son enfant ?
Une étude française d'une ampleur inédite
Ces résultats sont le fruit d'un travail colossal mené sur 2,8 millions d'enfants nés en France entre 2010 et 2015, dont 4 773 étaient issus de pères traités par Valproate pendant la spermatogenèse, période clé de production des spermatozoïdes. L'étude montre une augmentation globale de 24 % du risque de TND par rapport aux enfants de pères traités par Lamotrigine ou Lévétiracétam, deux antiépileptiques « au profil de sécurité plus favorable ».
Troubles du développement intellectuel : un risque doublé
Le risque de troubles du développement intellectuel (TDI), notamment, est doublé : 3,5 cas supplémentaires pour 1 000 naissances. D'autres troubles, comme le TDAH (Trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité), l'autisme ou les troubles de la communication, semblent également plus fréquents, dans une proportion estimée entre 20 et 25 %. En clair, l'impact du Valproate semble particulièrement marqué sur les capacités cognitives, sans qu'on puisse exclure un effet plus large sur d'autres aspects du développement de l'enfant.
L'expression de certains gènes modifiée
Le rapport évoque plusieurs mécanismes possibles, notamment des effets épigénétiques : le Valproate pourrait modifier l'expression de certains gènes au niveau des cellules germinales masculines, qui sont à l'origine des spermatozoïdes. Ces modifications n'altèrent pas le code génétique lui-même mais pourraient laisser une « empreinte biologique » susceptible d'être transmise à la descendance.
Un médicament efficace mais sous surveillance
Utilisé depuis les années 1960, le Valproate de sodium (commercialisé sous les noms Dépakine, Dépakote, Micropakine, etc.) est un traitement de référence contre l'épilepsie généralisée et certains troubles bipolaires. Il agit en stabilisant l'activité électrique du cerveau et prévient les crises. Mais sa puissance a un revers : il est formellement contre-indiqué pendant la grossesse en raison de son risque tératogène majeur, responsable de malformations et de troubles du développement chez les enfants exposés in utero.
Des mesures pour limiter l'utilisation du Valproate
Pour le Professeur Fabrice Bartolomei, neurologue et chef du service d'épileptologie et de rythmologie cérébrale au CHU de la Timone à Marseille, « les résultats de cette analyse sont robustes et invitent à appuyer les recommandations actuelles consistant à limiter l'utilisation du Valproate aux seuls cas pour lesquels le contrôle de l'épilepsie le nécessite ». En effet, depuis janvier 2025, la prescription initiale de ce traitement pour les hommes en âge de procréer est réservée aux neurologues, psychiatres et pédiatres. Une attestation d'information partagée, cosignée chaque année par le médecin et le patient, est désormais obligatoire pour toute délivrance en pharmacie. Ces mesures, inspirées de celles déjà en vigueur pour les femmes, visent à garantir une information transparente et un suivi médical rigoureux. Pour l'ANSM, elles constituent « une étape essentielle pour prévenir tout risque évitable pour la descendance ».
« Ne pas arrêter son traitement sans avis médical »
Le Pr Bartolomei rappelle toutefois que ce médicament reste, pour certains patients, « un traitement nécessaire pour le contrôle de leur maladie ». Par conséquent, « ces résultats ne doivent pas inciter à un arrêt du traitement de sa propre initiative : toute décision doit se prendre en concertation avec un neurologue spécialisé dans l'épilepsie », ajoute le membre du conseil d'administration de l'association Épilepsie-France.
Ne pas renoncer à la parentalité
L'enjeu n'est pas d'interdire, mais de prévenir et d'accompagner. Pour Delphine Dannecker, présidente d'Épilepsie-France, informer les patients, c'est leur donner les moyens de choisir en connaissance de cause. « Être épileptique ne doit pas signifier qu'il faudrait renoncer à être père. La parentalité s'anticipe, en lien étroit avec un neurologue spécialisé, conclut-elle. Une information claire et loyale, fondée sur des données vérifiées, est essentielle. »
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