Parmi les dépenses liées au handicap, la Prestation de compensation du handicap (PCH), créée par la loi de février 2005, constitue un poste majeur pour les conseils départementaux. Contrairement au financement de services ou d'établissements, les droits à la PCH peuvent être plus facilement restreints. En effet, si la décision finale est prise par la CDAPH (Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées), les représentants du conseil départemental y sont en position dominante sur ce sujet précis.
Dans un contexte de forte tension budgétaire, plusieurs conseils départementaux mettent en œuvre des mesures destinées à limiter le recours à la PCH, au détriment parfois de la législation en vigueur.
Maine-et-Loire : des justificatifs obligatoires
L'une d'elles fait grand bruit. Depuis le 1er avril 2025, le Conseil départemental du Maine-et-Loire conditionne le versement de la PCH parentalité à la fourniture de justificatifs de dépenses. Cette aide, prévue pour soutenir un parent en situation de handicap dans son rôle parental (et non liée au handicap de l'enfant), ayant un droit ouvert à la PCH, est en principe forfaitaire. Ce qui attire les foudres de la Commission nationale consultative des personnes handicapées (CNCPH) qui souligne que la PCH est basée sur une évaluation personnalisée des besoins de la personne handicapée. Elle n'est forfaitaire que dans de rares cas (cécité, surdité, surdicécité).
Un système forfaitaire mis en place à la hâte ?
C'est Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées de 2017 à 2022, qui a opté pour le système du forfait : il n'était alors pas nécessaire de construire au préalable des référentiels des besoins d'aide humaine ou d'aides techniques, ni de faire une évaluation individuelle par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sur la base de ces référentiels. La mesure pouvait être mise en œuvre rapidement ; il serait ensuite possible d'ajuster l'aide.
Une logique de contrôle sans évolution règlementaire
Le Conseil départemental du Maine-et-Loire a décidé de vérifier les dépenses liées à la parentalité. Il affirme dans un communiqué que l'attribution de cette aide « n'est aucunement remise en cause » mais souhaite « veiller à ce que l'objet de cette aide, à savoir la prise en charge des besoins relatifs aux actes quotidiens liés à la parentalité, soit respecté ». « Le constat a été fait que cette aide n'était pas toujours utilisée par les parents pour s'occuper de leurs enfants », ajoute-t-il.
Selon ce même communiqué, l'aide peut couvrir – sur facture – des heures d'aide humaine (trajets, repas, soins, etc.), des interventions de professionnels spécialisés (ergothérapeutes, psychomotriciens...), ainsi que des frais de déplacements ou d'achats d'aides techniques. En 2024, cette aide représentait une dépense de près d'un million d'euros pour le département.
Une approche qui exclut la rémunération des aidants
Par ailleurs, si le texte légal prévoit une aide forfaitaire, le département du Maine-et-Loire en a fait un plafond conditionné à des dépenses spécifiques, sans cadre national pour déterminer ce qui est recevable. Plutôt que de demander une évolution du décret, il impose de fait ses propres critères. Cette approche peut notamment exclure la possibilité de rémunérer un proche aidant ou d'avoir recours à des dispositifs souples comme le Chèque emploi service universel (CESU), qui permet de régler plus facilement des services à la personne.
D'autres exemples de restrictions
Le Maine-et-Loire n'est pas un cas isolé. D'autres conseils départementaux retardent volontairement l'instruction des dossiers, reportent les décisions ou mettent en place des cellules d'« harmonisation » de la PCH qui contribuent à restreindre les attributions. Exemple récent : un parent fait une demande de PCH au moment où son complément d'AEEH expire fin avril 2024. Faute d'instruction dans les délais, les droits sont suspendus. L'évaluation a lieu en juillet, mais la décision n'intervient qu'en juin 2025… avec un démarrage des droits en juillet 2025 seulement. Soit 14 mois de droits supprimés, en totale contradiction avec la loi.
Des critères élargis mais ignorés
Par ailleurs, le décret d'avril 2022 a élargi l'accès à la PCH aux personnes présentant des troubles psychiques, cognitifs ou neurodéveloppementaux, en prenant en compte des critères comme la difficulté à maîtriser son comportement ou à réaliser plusieurs tâches. Pourtant, dans les faits, ces critères sont souvent ignorés, notamment pour les personnes autistes, avec un TDAH ou des troubles « dys ». Ce constat est aggravé par le fait que le certificat médical n'a toujours pas été adapté à cette évolution réglementaire.
Des contrôles souvent hors cadre
Enfin, de plus en plus de conseils départementaux mettent en œuvre ce qu'ils appellent des « contrôles d'effectivité » pour vérifier l'usage réel des aides versées. Or, la loi encadre strictement cette pratique : ces contrôles ne peuvent porter que sur une période de six mois, voire un an dans certains cas, et doivent se limiter aux dépenses réellement engagées, dans le cadre défini par la CDAPH. Mais sur le terrain, la règle est souvent contournée. Certains départements s'appuient sur le nombre d'heures accordées pour justifier un contrôle, et vont jusqu'à exiger des remboursements lorsque le bénéficiaire rémunère son intervenant à un tarif supérieur au minimum légal.
Une revalorisation sans effet sur le terrain
Alors même que l'État a revalorisé, en juin 2024, la PCH aide humaine pour mieux couvrir des situations exceptionnelles (remplacements, ruptures de contrat…), ces nouvelles marges de manœuvre sont peu ou pas appliquées par les départements. La PCH parentalité, censée être un levier d'autonomie pour les parents handicapés, devient ainsi un terrain de restriction budgétaire. Une dérive inquiétante, quand les droits sont conditionnés localement sans base réglementaire claire ?
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