348 sénateurs, dont un en situation de handicap visible. Sur 577 députés, ils ne sont que trois. En cause, notamment, un manque drastique d'accompagnement et des préjugés persistants. Le sujet était au programme du colloque « Tous citoyens », organisé par l'APHPP (Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées), le 12 janvier 2024, au Sénat, à Paris (Lire : Les citoyens handicapés absents de l'échiquier politique?). Leitmotiv ? « Alors qu'un fossé de plus en plus large semble se creuser entre la politique et les citoyens, l'enjeu est d'avoir, enfin, une classe politique représentative de la société. »
Une recherche pour identifier les freins majeurs
La recherche HandiPPolitique a notamment pour objectif d'identifier les freins qui pénalisent les élus en situation de handicap afin de les combattre (Lire : Recherche HandiPPolitique : encourager les élus handicapés!). Ses principaux résultats sont attendus fin 2026 mais certaines difficultés ressortent déjà nettement : manque d'accessibilité (absence de toilettes accessibles lors de réunions du conseil municipal, documents illisibles...), problématiques de mobilité, d'offres de transports mais aussi de communication et d'interfaces qui ne sont pas toujours adaptées... Cyril Desjeux, sociologue et directeur scientifique chez Handéo, qui coordonne cette « recherche action participative », pointe également l'inéligibilité des majeurs protégés. « Les personnes sous tutelle ou curatelle peuvent faire campagne mais le code électoral leur interdit d'être élues », précise-t-il en soulignant qu'environ la moitié des pays européens appliquent cette interdiction.
L'élu municipal particulièrement populaire
Autres obstacles évoqués : représentations négatives de certains handicaps, notamment psychiques et intellectuels, difficultés de compréhension (saisir le second degré, suivre deux conversions simultanément), hypersensibilité sensorielle « dans des lieux où la lumière est trop forte et la sonorisation mauvaise, ce qui complique les échanges lors des conseils municipaux par exemple ». « J'insiste sur les conseils municipaux car une grande majorité des personnes handicapées sont élues à l'échelle communale », explique-t-il. « C'est en effet une élection majeure, la plus populaire. L'élu municipal est particulièrement apprécié par les citoyens, c'est là où la démocratie locale et l'action politique ont encore du sens car il peut agir concrètement », complète Matthieu Annereau, président de l'APHPP.
A force de persévérance, certains candidats parviennent à obtenir la fonction tant convoitée mais les préjugés compliquent leur tâche. « Pourtant élue à la culture à Mulhouse en 2008, on m'avait assigné tous les dossiers sur le handicap », témoigne Christelle Pépin, qui se définit comme « la plus vieille élue sourde ».
L'argent, nerf de la guerre
Pour Julien Compan, conseiller municipal à Massy (Essonne), également sourd, « le nerf de la guerre, c'est l'argent. C'est ce qui nous met en situation d'obstacle ». Matthieu Annereau confirme que « les personnes handicapées rechignent à faire un pas en politique car elles ne sont pas certaines d'avoir les moyens d'assurer les adaptations imposées par leur handicap ». « Le budget, c'est un choix politique ! Si le maire ne dédie pas un crédit à l'accessibilité afin de faciliter le quotidien de ses collègues en situation de handicap, ce n'est pas un bon maire », estime Dominique Gillot, ancienne secrétaire d'Etat et sénatrice. Et de poursuivre : « Quand l'incitation et la sensibilisation ne suffisent pas, je suis favorable à une loi contraignante avec des sanctions ».
Le FIPHFP, impuissant
Pourquoi ne pas se tourner vers le FIPHFP (fonds dédié à l'emploi des personnes handicapées dans le public) ? « Son rôle est d'accompagner les employeurs dans le recrutement et le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés, pas les élus... », rappelle sa présidente, Françoise Descamps-Crosnier, même s'il est vrai que « les élus peuvent avoir les mêmes types de besoin que les agents des collectivités ». « Certes, mais nous pourrions tout de même nous associer pour trouver une solution », incite Julien Compan.
Un fonds d'accompagnement retoqué au Sénat
Des parlementaires pensaient l'avoir trouvée... Fin 2022, plusieurs d'entre eux ont proposé de consacrer 250 000 euros du budget du FIPHFP chaque année pour financer l'équipement et l'accompagnement nécessaires aux élus en situation de handicap afin d'exercer leur mandat. Mais cet amendement au PLF 2023 a été retoqué par le Sénat (Lire : Elus handicapés : pas de compensation pour leur mandat!).
Quelques mois plus tard, en juillet 2023, Matthieu Annereau et une vingtaine d'autres élus, réunis dans un collectif, ont demandé directement au Président Macron des mesures pour les accompagner dans leur mandat (Lire : Elus handicapés: bientôt des aides pour assurer leur mandat?). Un premier échange « prometteur » avec Geneviève Darrieussecq, alors ministre déléguée au Handicap, avait débouché sur... rien. « Pour l'instant, c'est au point mort mais on ne lâchera pas ! », assure Matthieu Annereau, qui indique plancher sur le sujet avec son collectif. « Nous allons bientôt pouvoir fixer le montant qui va abreuver le fonds d'accompagnement des élus handicapés », annonce-t-il.
Place à l'action !
En attendant, le collectif se mobilise pour « faire comprendre au gouvernement que des mesures sont très attendues, nécessaires et urgentes pour un certain nombre d'élus en situation de handicap qui, aujourd'hui, ne peuvent pas exercer leur mandat dans une véritable égalité des droits et des chances ». « Ça fait des années qu'on échange, maintenant il faut passer à l'action ! », exhorte Julien Compan.
Pour en savoir plus sur ce sujet, complétez votre lecture avec deux autres articles :
• Les citoyens handicapés absents de l'échiquier politique?
• Campagnes électorales peu accessibles: un manque de volonté?