« Lorsque mon fils de 4 ans a été diagnostiqué autiste, on comptait 1 enfant sur 150 avec trouble du spectre de l'autisme (TSA), soit 0,6 %. Aujourd'hui, on est plutôt autour de 2 %. Que s'est-il passé ? », s'interroge une mère de famille lors du lancement de la cohorte Marianne, le 29 mars 2023, à Montpellier. Ce projet de recherche dédié aux troubles du neurodéveloppement (TND) et notamment du spectre de l'autisme, d'une ampleur inégalée, est financé par l'Etat sur dix ans. Multifactoriels et hétérogènes d'un point de vue clinique, les troubles du neurodéveloppement gardent en effet leurs zones d'ombre pour la science : Quelles causes ? Quelle « héritabilité » génétique ? Quel rôle des facteurs biologiques, environnementaux ? Pourquoi existe-t-il un risque accru de TND au sein de fratries déjà touchées ? Quels traitements adaptés ? Quel suivi médical personnalisé ? Autant de questions auxquelles doit répondre la cohorte inaugurée à l'occasion de la Semaine de sensibilisation à l'autisme, du 27 mars au 2 avril 2023.
Prévalence des TND en augmentation
Parmi les principales interrogations des chercheurs, l'augmentation de la prévalence des TND depuis plusieurs années (ils représentent aujourd'hui 15 % des enfants en France). Comment l'expliquer si ce n'est grâce aux progrès du dépistage ? Cet élément de réponse ne satisfait qu'en partie la communauté scientifique et les familles. Présente lors de la conférence de présentation du projet Marianne, la ministre déléguée en charge des Personnes handicapées se montre, elle aussi, dubitative. En visite en Guyane mi-mars 2023, Geneviève Darrieussecq a évoqué avec des locaux l'impact de l'intoxication aux métaux lourds ou encore l'alcoolisation fœtale sur leur santé. « Je reste persuadée que l'environnement peut avoir un rôle important dans le déclenchement de ces handicaps. Il faut que nous sachions », a-t-elle réclamé. « C'est rassurant quelque part, pour nous parents, de se dire qu'il n'y a pas que la génétique », confie une mère de famille.
Un projet interdisciplinaire
Décrit comme ambitieux, « de très haut niveau », « interdisciplinaire » et « prospectif », par la doyenne de la faculté de médecine de Montpellier, Isabelle Lafont, ce projet va réunir plusieurs acteurs du monde médical, scientifique, associatif et des familles de patients. Outre l'université de Montpellier, porteuse de ce programme national, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et six centres hospitaliers (universitaires) (CH et CHU) français seront de la partie. Si des cohortes prénatales ont déjà été organisées sur le sujet, « elles n'avaient pas permis d'agréger suffisamment de données », explique la professeur Amaria Baghdadli, responsable scientifique du projet. Cette cohorte-ci va suivre 1 700 femmes enceintes et leurs familles, de la grossesse, en passant par l'accouchement jusqu'aux six ans de l'enfant. Ce suivi « singulier, anonyme et confidentiel » comprendra des rendez-vous réguliers avec des professionnels du médico-social, des questionnaires à remplir, un suivi du développement du bébé ou de l'enfant par un psychologue, des prélèvements biologiques… Pour rendre possible cette recherche de longue haleine, une enveloppe de six millions d'euros va être attribuée par l'Etat, qui se dit prêt à allouer des fonds supplémentaires, par la voix de la ministre Geneviève Darrieussecq : « En effet, les retombées pour notre société seront essentielles ».
Vers un diagnostic plus précoce et personnalisé
Mais elles le seront d'abord à l'échelle scientifique. « Le programme Marianne nous permettra d'agréger une base de données de références pour étudier les déterminants des TND, et notamment l'influence de l'exposome (les atteintes environnementales à la santé humaine, ndlr) », affirme Amaria Baghdadli. Il permettra également des « synergies interdisciplinaires en santé, environnement et sur le plan sociétal », inspirant peut-être d'autres chercheurs au niveau international. « Ce que je trouve intéressant, c'est qu'on ne réfléchisse plus chacun de notre côté », complète Sophie, mère d'un enfant avec autisme. Cette « transversalité sociale » passera aussi par une meilleure sensibilisation au sujet des TND, encore « méconnus de nos concitoyens et porteurs de préjugés », selon Geneviève Darrieussecq. Enfin, pour le patient, les résultats de ces recherches amèneront un diagnostic plus précoce et de précision, permettant « une prise en charge personnalisée avec des traitements adaptés et non plus seulement symptomatiques ». « Le jour où l'on aura des substratum (aussi appelés molécules, ndlr) biologiques suffisamment forts, on pourra certainement agir soit avec des traitements classiques, soit avec des 'épidrogues', des molécules qui peuvent moduler les marquages épigénétiques », explique de son côté le professeur David Geneviève, généticien au CHU de Montpellier. Plein de promesses avant la grand-messe de la recherche !