Par Corentin Dautreppe
Avant de devenir cadres de Café Joyeux, Constance Rabany et Olivier Lemaire ont travaillé pour des géants de l'agroalimentaire, avec lesquels les distributeurs ferraillent chaque année dans le cadre des négociations commerciales fixant les conditions auxquelles leur production sera écoulée pendant l'année. Alors, quand ils ont discuté avec le géant Carrefour pour y faire distribuer le café de leur marque engagée pour l'insertion par le travail des personnes handicapées, ils ont eu "la bonne surprise" d'avoir face à eux "un acheteur qui nous porte en interne", à mille lieux des relations souvent tendues avec les acteurs plus traditionnels.
Contribuer à l'équilibre financier
Café Joyeux est une enseigne de restauration fondée fin 2017 à Rennes par Yann et Lydwine Bucaille Lanrezac, qui emploie des personnes en situation de handicap principalement mental, trisomie 21 ou autisme. Dans le restaurant situé en haut des Champs-Elysées, Yann explique vouloir "continuer à ouvrir des restaurants pour donner du travail à beaucoup de monde". Mais les 15 points de vente aujourd'hui en activité s'appuient sur davantage de salariés, tous en CDI, qu'un établissement classique, et la vente de café en grandes surfaces "est un moyen de contribuer à l'équilibre financier" de l'entreprise.
Cocher la case RSE
Carrefour, qui a fait du handicap un des "piliers RSE" (responsabilité sociale et environnementale) de ses ambitions à horizon 2026, prévoit de distribuer le café dans "jusqu'à 800 magasins de proximité et 36 hypermarchés". Café Joyeux, détenu par un fonds de dotation, vend aussi aux entreprises son café haut de gamme. "On n'est pas dupe", ces entreprises cherchent aussi "un peu à cocher la case RSE, mais les salariés boivent notre café avec plaisir au quotidien", estiment les dirigeants de l'entreprise employant 154 équipiers.
Débouchés commerciaux stables
De leur côté, Camille Decreux et Antoine Yvan ont fondé en 2021 "Fiers", elle aussi en jaune vif, une marque "appartenant à 100% à un fonds de dotation à but non lucratif", visant à trouver des débouchés commerciaux stables à la production d'ateliers spécialisés (miel, épices, biscuits...) comme des établissements et service d'aide par le travail (Esat), des entreprises adaptées (EA), ou des associations. "Il existe plus de 2 500 structures en France qui fabriquent de super produits, et qui avaient comme problématique de trouver des débouchés", explique Antoine Yvan. Les deux hommes, passés également par l'agroalimentaire, "ont le savoir-faire pour ce qui est développement de marques et relations avec la distribution".
Des efforts sur les marges
La commercialisation dans quelques 200 magasins de plusieurs enseignes, Intermarché, Carrefour ou Auchan, "permet de générer du résultat mais aussi de changer le regard" sur le handicap, estiment les deux entrepreneurs, qui se veulent en outre compétitifs sur le prix de vente et transparents sur la répartition des revenus. "Entre 50 et 60 % du prix de vente consommateur revient aux ateliers", assure Antoine Yvan. Eux aussi assurent que les supermarchés "font un effort, sur leur marge notamment", pour mettre en avant les produits de leur marque aujourd'hui distribuée dans 200 magasins.
"Lever les préjugés"
Marie-Pierre Sellier-Bouhyern administratrice de la politique inclusivité chez le groupement Mousquetaires/Intermarché et Isabelle Colas, responsable Diversité et Handicap au sein du 3e acteur de la distribution alimentaire en France (derrière E. Leclerc et Carrefour), assurent que leur enseigne est "engagée depuis plus de 30 ans dans l'inclusivité", mais communique davantage dernièrement pour "lever les préjugés". "C'est important de répondre à ce type d'enjeux, aussi parce que les candidats à l'embauche regardent les engagements d'une entreprise". Patronne de magasin Bricomarché, elle accueille des stagiaires autistes "toutes les semaines pour de la mise en rayon". Les éventuelles réticences des salariés ont vite été balayées et elle n'a reçu "aucun retour négatif" de clients.
© Café Joyeux