2022 sera l'été de tous les dangers, prévient Paralysie cérébrale France. Elle réitère ce cri d'alarme le 6 juillet 2022, face à la presse, pour tenter d'alerter les politiques -ce n'est pas faute de le faire depuis 2019- mais aussi l'opinion publique. Selon elle, « la vie des personnes accompagnées est en jeu », pour certaines lourdement handicapées par une paralysie cérébrale ou un polyhandicap. En 2021, cinq personnes seraient décédées rien qu'en Gironde, faute de soins. « Un sentiment de déception et de révolte grandit dans ces métiers de l'humain passionnants, qui demandent de belles compétences », déplore l'association.
L'hémorragie de personnels dans les établissements médico-sociaux du champ du handicap, secteur qui souffre d'un manque considérable d'attractivité, dénoncée déjà depuis plus de 18 mois, ne fait en effet que s'amplifier, pour atteindre un « niveau critique bien pire qu'à l'été précédent ». Juillet s'annonce « très en peine » et août « terrible », lorsque les intérimaires prendront leurs vacances. « Les résidents sont touchés de plein fouet, fragilisés par un environnement extrêmement défavorable, alerte Jacky Vagnoni, le président de Paralysie cérébrale France. Leur accompagnement exige une expertise via des équipes pluridisciplinaires qui, aujourd'hui, sont exsangues. » La grande campagne de recrutement des métiers du soin, lancée en mars 2022, peine encore à porter ses fruits (article en lien ci-dessous).
Des mesures prises par le nouveau gouvernement
Le coup de grâce viendrait-il, déjà, du nouveau gouvernement ? Au lendemain de sa nomination au poste de ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, pour son premier déplacement, Jean-Christophe Combe fait des annonces pour « soutenir les personnes du secteur médico-social » : la mise en place de campagnes de recrutement d'urgence et l'activation des dispositifs de Pôle emploi, le recours à des équipes mobiles de gériatrie sur les territoires afin de garantir la continuité de la prise en charge médicale, la possibilité de recourir aux professionnels de santé libéraux ou encore l'accélération de l'entrée sur le marché du travail des jeunes diplômés du secteur. Mais le communiqué ne semble faire mention que des Ehpad (maisons de retraite). Interrogé par Handicap.fr à ce sujet, son cabinet n'a pas (encore ?) répondu. « Nous le vivons comme une humiliation, s'emporte Jacky Vagnoni. Depuis le début de la crise, l'hôpital vient en premier, puis le grand âge, et éventuellement, quand les associations font suffisamment de barouf, on prend en compte le handicap. Ce qui m'inquiète, c'est que le gouvernement ne semble avoir tiré aucune leçon du passé et des conséquences du Ségur de la santé. » Il fait par ailleurs remarquer que le secteur n'a pas attendu les consignes gouvernementales pour exploiter les filons mentionnés. Enfin, il redoute les conséquences d'une autre mesure annoncée : le doublement de la rémunération des heures supplémentaires pour les professionnels des établissements médico-sociaux qui relèvent de la fonction publique hospitalière. « Puisqu'elle ne concerne visiblement pas tous les professionnels, cette concurrence déloyale va accentuer la fuite de nos salariés. » Des mesures qui, à défaut de faire flop, pourraient bien achever le secteur...
20 à 30 % de postes vacants
Le point sur une situation jugée « catastrophique »... Sur les 200 établissements du réseau Paralysie cérébrale France, 20 à 30 % des postes d'infirmiers, d'aides-soignants, d'accompagnateurs éducatifs et sociaux, de kinésithérapeutes ou d'ergothérapeutes sont vacants dans les ESMS pour adultes. Soit 220 postes affectés ! L'absentéisme, l'épuisement, le turn-over, la perte des collaborateurs les plus qualifiés sont aujourd'hui arrivés à leur paroxysme alors que, dans le même temps, le secteur de l'intérim ne parvient plus à combler les postes vacants. « Certains soins médicaux ne peuvent être délégués, avec un risque vital immédiat », explique Julien Bernet, directeur de Hapogys Gironde, qui rappelle qu'il n'y a « pas que l'hôpital qui prodigue des soins vitaux ». Il cite la nourriture parentérale trois fois par jour -« S'il n'y a personne pour s'en occuper, ils ne boivent pas, ne mangent pas »-, les sondages, la gestion des fausses routes, de la constipation, de la trachéotomie... Au sein d'un établissement de l'ADIMC Sarthe, il y avait encore il y a quelques mois quatre infirmières : deux sont déjà parties et les deux autres démissionnent le 16 juillet à cause d'une surcharge de travail. « Concrètement, on fait quoi ?, questionne sa directrice, Elodie Bastien. Il suffit d'un arrêt maladie ou cas Covid pour faire dérailler la machine. En milieu rural, on ne trouve pas d'intérimaires. » « Ailleurs, il n'y en a de toute façon plus assez, ils ne sont pas toujours correctement formés et coûtent très cher aux pouvoirs publics », renchérit Julien Bernet. Alors Elodie Bastien a harcelé l'Agence régionale de santé (ARS) qui devrait in extremis mobiliser la réserve sanitaire. Et en l'absence de solution ? « On ira au bout de la pelote en remettant notre mandat de gestion entre les mains de la préfecture ; et qu'elle se débrouille », prévient Julien Bernet.
Cette menace est jugée, par Jacky Vagnoni, « inacceptable pour la dignité et la sécurité des personnes en situation de handicap ». Ce constat est partagé par l'ensemble des acteurs qui, en ce début de vacances, alerte le nouveau gouvernement. L'Unapei (association de personnes avec un handicap mental) dénonce à son tour « le contexte d'extrême urgence que connaît le secteur du handicap », attendant que la nouvelle ministre déléguée aux Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq (article en lien ci-dessous), « prenne en compte le plus rapidement possible ses revendications ». Le réseau Uniopss-Uriopss lance de son côté une pétition sur change.org pour interpeller les pouvoirs publics et les parlementaires fraîchement élus.
Des parents en secours dans les établissements ?
Au sein du réseau Paralysie cérébrale France, 10 % des établissements sont impactés par des fermetures partielles d'unités, qui peuvent accueillir entre dix à vingt personnes. Les associations concernées n'auront pas d'autre choix que de regrouper les résidents dans les unités toujours ouvertes ou de les renvoyer dans leur famille. « Quand il y a un décès, on ne peut même pas faire entrer un nouveau résident », s'indigne l'association. Certains établissements sont également contraints de fermer les places d'accueil temporaire qui offrent pourtant des moments de répits bienvenus aux proches épuisés... Ces mêmes proches qui n'ont pas toujours les compétences nécessaires pour assurer les soins courants, des parents âgés parfois de plus de 80 ans. Guy Béard, président de l'ARAIMC Bouches-du-Rhône et père d'une personne avec paralysie cérébrale, avoue « avoir peur ». « Chaque départ d'un salarié est un déchirement pour les résidents car ils font aussi partie de leur famille, et ceux qui les remplacent, ou pas, ne sont pas toujours formés », observe-t-il. Lorsqu'elles ne sont pas en mesure de reprendre leur proche à domicile, certaines n'ont pas d'autre choix que de venir à leur rescousse au sein même de l'établissement ! « Une situation dont on n'est pas fier », consent Julien Bernet. Pour les personnes les plus lourdement handicapées, pas d'autre choix qu'un transfert vers les urgences des hôpitaux, celles-là mêmes qui traversent une crise sans précédent et ferment des lits à tout va.
En attendant, « on sauve la situation pour les soins vitaux mais cela suppose la suppression des activités de loisirs, d'activités extérieures durant l'été, déplore Marie-Eve Viarde, directrice de Handicap'Anjou. On impose un renoncement à la vie sociale, les personnes sont considérées comme de simples corps ». Comment, dans ces conditions, encore parler d'inclusion, de choix, d'innovation et de transformation de l'offre, alors que les fondamentaux d'un accompagnement humain ne sont plus respectés ? Les projets associatifs sont réduits à néant, mobilisant les ressources disponibles pour un simple service de « nursing » au détriment des actions qui enrichissent la vie. Marie-Eve redoute, après cet été en « mode dégradé », un effondrement psychologique majeur, à la fois des publics accompagnés et des professionnels.
Quelles solutions ?
Comment faire face, dans l'immédiat ? Le secteur n'est pas dupe « aucune réponse urgente ne sera apportée », consent Jacky Vagnoni, qui admet que les ARS ne « vont pas créer des postes d'infirmiers dans leur bureau ». Dans une lettre adressée le 6 juillet 2022 à Geneviève Darrieussecq, l'association réclame quatre mesures concrètes et prioritaires. Tout d'abord, être reçue au plus vite pour « partager un état des lieux ». Ensuite garantir le financement « immédiat » des mesures Ségur accordées (les fameux 183 euros nets par mois n'ont pas été versés en totalité aux associations qui doivent faire des avances de trésorerie) et les étendre aux métiers oubliés puisqu'un tiers des collaborateurs du réseau Paralysie cérébrale France (administratif, logistique et encadrement) ne sont toujours pas valorisés dans un contexte où le niveau d'inflation paupérise encore un peu plus un secteur à la dérive. L'association exige, par ailleurs, d'envisager de concert le sort de l'hôpital et celui du secteur médico-social, dont les avenirs sont totalement interdépendants notamment pour les ESMS médicalisés. Enfin, à plus long terme, elle souhaite accélérer les travaux de convergence vers une convention collective unique qui tire vers le haut les carrières et les salaires.
« Il y a 18 mois, nos professionnels partaient pour de meilleurs salaires, aujourd'hui, ils partent pour des questions éthiques », poursuit Marie-Eve Viarde. « Avec cette politique qui marche sur la tête, nous assistons, impuissants, à un retour en arrière de plusieurs décennies », conclut Jacky Vagnoni qui se demande si ce pays ne serait pas « en train de tuer le médico-social ».