Neurodiversité au travail : (ré)inventer le management?

La manifestation d'une neuroatypie varie selon le profil des personnes. Mais nombre de ces salariés ont en commun une hypersensibilité pas toujours facile à appréhender au sein des équipes... d'où la nécessité d'une organisation adaptée.

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Plusieurs personnes en costume dépose des rouages sur une table.

Anne est porteuse de deux « neurodiversités » : un trouble du spectre de l'autisme (TSA) associé à un TDAH (Trouble de l'attention avec hyperactivité). Au prix d'« immenses efforts », elle a réussi à mener à bien ses études de gestion financière. Lors de ses premiers entretiens d'embauche, son profil semblait séduire de potentiels employeurs du secteur bancaire... jusqu'à ce qu'elle évoque son souhait de venir au bureau avec Norbert !

Une indépendance « forcée »

« J'ai vu leur sourire crispé et j'ai compris qu'il me serait difficile de faire accepter la présence de mon chien, regrette la jeune femme. Sans lui, je sais que je vais être en crise de panique et dans l'incapacité de me concentrer sur quoi que ce soit... » Aussi a-t-elle renoncé au salariat et opté récemment pour le statut de TIH (Travailleur indépendant handicapé).  « Pas par choix mais par nécessité absolue eu égard à ma situation très particulière », précise-t-elle.

Des talents à valoriser

« Les entreprises françaises sont encore frileuses face aux talents neurodivergents, explique Senda Herring, psychologue du travail et responsable des services de neuroinclusion au sein d'Auticon. Mais elles commencent aussi à comprendre que ces personnes peuvent apporter plein de choses à partir du moment où elles sont acceptées dans leur singularité et accompagnées, en fonction de leurs besoins et en mettant en avant leurs atouts, tout en les associant au processus. Il est temps de prendre modèle sur les pays anglo-saxons, lesquels semblent plus concernés que nous par la réalité du terrain ! »

Auticon, une entreprise à majorité autiste

Spécialisée en service du numérique, Auticon est une entreprise à majorité autiste. Elle propose des services de consultants dans la tech pour les entreprises clientes, en tant que développeurs de logiciels, analystes de données, ingénieurs d'assurance qualité, etc. Ces derniers effectuent des missions d'environ quatre mois pour de grands groupes tels qu'Airbus, EDF, BIP et bien d'autres. « Après un certain temps d'adaptation, et parfois des réticences, la plupart des managers se félicitent d'avoir intégré ces profils différents, observe Senda Herring. Non seulement le sujet touche aux ambitions diversité et RSE des organisations, mais ces personnes apportent aussi des solutions innovantes et beaucoup d'intelligence collective au groupe. »

Accompagner aussi le collectif de travail

Comme souvent pour tout ce qui concerne les handicaps (invisibles), c'est la méconnaissance de ces troubles, la peur et les préjugés qui expliquent les réticences de nombreuses structures. « Il est donc essentiel d'accompagner non seulement la personne concernée mais aussi le collectif de travail, insiste Senda Herring. À commencer par le manager - qui ne connaît pas toujours les possibles répercussions d'une neurodiversité dans l'environnement professionnel - mais a un rôle moteur pour donner du sens aux adaptations et aménagements de postes pouvant susciter l'incompréhension des équipes. »

Salarié, job coach et manager : une triade gagnante !

Pour ce faire, Auticon a misé sur la triade manager–jobcoach–salarié, un dispositif qui a fait ses preuves et sur lequel s'appuie aussi nombre d'entreprises soucieuses d'intégrer et de maintenir en emploi des profils aux besoins spécifiques. « Le job coach est centré sur la partie 'travail', c'est-à-dire sur les ressources, l'organisation du travail et les forces de la personne plutôt que sur ses difficultés, pour permettre de trouver des solutions optimales (télétravail, aménagement des horaires...) à des candidats restant toujours au centre des décisions précises », souligne la psychologue.

3 piliers d'intervention pour un aménagement raisonnable

« Un aménagement raisonnable repose nécessairement sur trois piliers d'intervention, décrit Senda Herring. Il faut repenser la communication, les sensibilités particulières, mais aussi les intérêts spécifiques des profils et examiner chaque situation dans son contexte professionnel. » On sait que les personnes neuroatypiques éprouvent souvent des difficultés à travailler en open space ou flex office, en raison de leur sensibilité accrue à la proximité physique, aux bruits, aux lumières, aux odeurs, aux textures.

RQTH : la crainte d'être stigmatisé

Des aménagements matériels de type casque anti-bruit, applications Pomodoro de gestion du temps, très prisées par certaines personnes avec TDAH, logiciels de correction grammaticale pour « dys » ou réduction de l'intensité lumineuse peuvent alors être utiles... mais pas suffisants pour intégrer et maintenir en emploi des personnes avec un trouble du neurodéveloppement (TND). « Ils ne remplaceront jamais l'écoute et l'empathie, essentielles à une intégration réussie », pointe Senda Herring. Parfois, la mise en place de journées supplémentaires de télétravail s'avère aussi incontournable afin d'éviter les compensations pouvant favoriser les risques psychosociaux (RPS). Mais faut-il encore que la personne ose faire une demande de RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé)... qui ouvre, certes, le droit à des aménagements, mais fait craindre aussi une certaine forme de stigmatisation.

Adapter le recrutement et les postes à chaque spécificité

Ces salariés et leur employeur ont donc besoin d'un accompagnement fort (coaching, pair-aidance, entraînement aux habiletés sociales...) et surtout d'innovation dès le recrutement. Il s'agit par exemple d'opter pour des échanges informels, afin de limiter le stress, et des entretiens effectués par des coachs et des psychologues, pour poser les bonnes questions et ne pas mettre les candidats en difficultés. L'envoi de vidéos n'est pas recommandé pour certaines personnes autistes qui peinent à visualiser leur propre image. En revanche, cela peut être un bon moyen de présentation pour les personnes « dys » ou TDAH car elles n'auront pas à rédiger leur CV à l'écrit.

Des coachings pour mieux travailler en équipe

« Certaines personnes savent qu'elles sont différentes mais ne perçoivent pas toujours concrètement leur décalage avec les autres, et surtout c'est en masquant leur différence qu'elles pensent que les autres ne perçoivent pas leur neurodivergence, observe la spécialiste. On travaille donc aussi à leur faire comprendre qu'elles pourraient bénéficier de coachings visant à expliquer leurs besoins pour mieux travailler en équipe. »

Des pistes pour les personnes avec TDAH, TSA ou « dys »

Les personnes TDAH ont, par exemple, des problèmes de concentration et des traitements parfois contraignants, comme la Ritaline, qui peuvent nécessiter des horaires de travail décalés. Elles s'ennuient aussi facilement et ont un besoin impérieux de faire des tâches qui leur plaisent. Au quotidien, il leur faut des consignes claires sans que celles-ci s'opposent à leur liberté d'action et des points réguliers pour évaluer la progression des tâches. Pour les personnes avec TSA, exit les changements soudains de planning qui peuvent fortement les perturber ! Exit aussi la déferlante de courriels à destination des personnes « dys » alors même que l'oralité reste leur mode de communication privilégié.

Émergence de programmes neuroinclusifs innovants

Ces dernières années, le sujet commence à émerger au sein des entreprises. Certaines, à l'instar de CGI, SAP ou encore Orange et son projet Neuroteam, développent même des programmes innovants pour favoriser l'inclusion et le maintien en emploi de ces profils. D'autres travaillent sur des chartes de la neurodiversité. Récemment, Objectif neuroinclusion, premier collectif inter-entreprise francophone, a été lancé. « Les initiatives, souvent à l'origine de personnes elles-mêmes concernées, se multiplient, pour créer le monde inclusif de demain, mais il faut prudence garder, et faire aussi la différence entre coups de com et actions concrètes dans la durée », tempère Senda Herring.

Les TPE et PME à la traîne...

De fait, à y regarder de plus près, il y a les grandes entreprises et les autres. Du côté des très petites (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), l'inclusion des personnes avec TND est loin de figurer au rang des priorités. Peu formées aux démarches inclusives, ces structures ignorent parfois même la possibilité de soutiens financiers de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) ou d'autres organismes. Ainsi, Sonia, qui préfère témoigner sous un prénom d'emprunt, a essayé d'évoquer sa misophonie (« haine du son »), trouble fréquent chez les personnes sujettes à des TSA ou identifiées « HPI », auprès de son manager. « On m'a fait comprendre qu'un casque antibruit coûtait cher... »

© Studioroman

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