Près de la moitié des jeunes estiment que les réseaux sociaux nuisent à leur santé mentale. Plus précisément, 46 % des 18-24 ans déclarent en ressentir les effets néfastes, selon le Baromètre de la santé mentale en ligne, publié en octobre 2024 par l'institut Yougov pour Dailymotion. Anxiété, addictions, perte d'estime de soi, dépression… Ces symptômes s'intensifient au gré des « likes » et des « followers ». Des blessures invisibles, mais bien réelles, qui se répandent à mesure que l'on scrolle.
La tyrannie des réseaux sociaux
« On se sent en permanence en échec, jamais à la hauteur. » Avec cette phrase, le psychologue et psychanalyste Michaël Stora résume avec justesse ce que ressentent de nombreux jeunes confrontés à la « tyrannie » des réseaux sociaux... A fortiori à l'adolescence, l'exposition constante à des modèles idéalisés agit comme un miroir déformant. Cette « période de construction identitaire et de vulnérabilité psychique est connue pour être sensible mais, aujourd'hui, les jeunes doivent aussi composer avec une pression numérique permanente », observe ce conférencier et auteur. « Même si les choses évoluent, Instagram, par exemple, propose des modèles très idéaux en termes de beauté et de réussite. La barre est tellement haute que cela crée une caisse de résonance entre la pression familiale et les normes sociales », poursuit-il.
Une pression constante, à la maison et sur la Toile ?
Les parents veulent le meilleur pour leur enfant. Mais, sans le vouloir, ils projettent des idéaux parfois « étouffants » : réussite scolaire, bonheur, développement personnel et social... « Très tôt, l'enfant porte alors des attentes de réussite et de bien-être, ce qui peut avoir d'importantes conséquences sur sa santé mentale », alerte le psychologue. L'adolescent est ainsi évalué à l'aune de sa performance et de son bien-être affiché. Et, lorsqu'il ne répond pas à ces critères, c'est toute son estime de soi qui peut vaciller.
Une identification abusive
À cette « pression familiale » s'ajoute celle des pairs et des modèles véhiculés sur les réseaux, formant un « cocktail dépressif ». « À l'adolescence, et même un peu après, on se compare, mais surtout on s'identifie », explique Michaël Stora. Depuis l'explosion des réseaux sociaux, les « repères identificatoires ne viennent plus du cercle intime, mais d'influenceurs, de visages lisses et de corps normés ». Résultat : « Si je n'ai pas le ventre plat, la poitrine qu'il faut, ou, pour les garçons, si je ne suis pas assez musclé ou viril, je perds confiance ». Le miroir numérique ne reflète pas ce que l'on est, mais ce que l'on devrait être - ou, pire, ce que l'on ne sera jamais.
Des attentes superficielles et démesurées
Pour certains, cette tension mène à des effondrements psychiques ou exacerbent des fragilités déjà présentes. « L'une de mes jeunes patientes a rencontré un jeune homme qui lui a dit : 'Si tu veux sortir avec moi, il faut que tu perdes 10 kilos et que tu te muscles' ». La jeune fille s'exécute et récolte un : « En fait, je n'ai pas envie, t'es moche ». Un rejet brutal, qui a creusé une faille. Elle a fini par se désabonner de toutes ces influenceuses qui la complexaient, sauf une : « Elle est jolie, mais surtout, elle est drôle ! » Mais tous ne possèdent pas cette capacité de rebond.
Mal-être et tentatives de suicide croissants
« En France, les hospitalisations pour tentative de suicide chez les moins de 15 ans ont augmenté de 47 % entre 2010 et 2021. Chez les 15-24 ans, les pensées suicidaires ont doublé depuis 2014 », révèle Michaël Stora. Une génération en grande souffrance, que les réseaux n'épargnent pas. « Face à cette tyrannie de l'idéal, la réponse pathologique, c'est souvent le retournement des pulsions agressives contre soi », déplore l'auteur de Réseaux sociaux : découvrez le côté obscur des algorithmes. Scarifications, automutilations, conduites à risque… Ce mal-être n'est pas né avec les écrans, mais ces derniers peuvent en amplifier les effets.
Dysmorphophobie, « skinny talk » et quête de perfection
Pour beaucoup de jeunes, notamment les filles, l'image de soi devient une obsession. « À l'adolescence, il y a une injustice biologique : les garçons s'affinent, se musclent, les filles prennent du bassin. Or les modèles proposés sont toujours fins, souriants, épanouis », constate le spécialiste. Ce décalage provoque parfois des troubles de l'alimentation, une focalisation excessive sur le corps, et le recours, de plus en plus fréquent, à la médecine et/ou chirurgie esthétique. Michaël pointe une « forme d'anorexie sociétale ».
Influenceuses : « un piège puissant »
Récemment, le psychologue a été auditionné à l'Assemblée nationale sur les effets de TikTok. Il y a notamment évoqué le phénomène du « skinny talk », où les contenus prônant des silhouettes ultra-minces se succèdent, renforçant cette pression. « Aujourd'hui, les influenceuses ont un impact bien plus fort que les mannequins ou les actrices. Il y a une illusion de proximité avec elles, ce qui rend l'identification plus facile et le piège plus puissant. »
De l'addiction aux montagnes russes émotionnelles
Le piège, c'est aussi l'addiction. Celle qui pousse à scroller encore et encore, dans l'espoir d'obtenir sa dose... de dopamine. « TikTok génère, à chaque vidéo, une décharge d'hormones du plaisir immédiat. Mais, quand on éteint son portable, on retombe brutalement dans la réalité, où il y a peu ou pas de valorisation », décrit Michaël Stora. Ces oscillations entre excitation et vide intérieur fragilisent encore davantage les plus jeunes. Le sommeil aussi en pâtit. « Beaucoup d'ados utilisent leur téléphone la nuit. La lumière bleue, l'excitation cognitive... tout cela perturbe l'endormissement. » Moins de sommeil, plus d'anxiété, plus de vulnérabilité. Et la boucle se referme.
Il n'est pas pour autant nécessaire de céder à la « diabolisation », les réseaux sociaux possédant également des aspects positifs. Les plus cités par les jeunes ? Se sentir plus proches de leurs amis, avoir l'impression d'être mieux acceptés, obtenir du soutien dans les moments difficiles... Reste à trouver le bon équilibre.
Le body positive, espoir ou marketing ?
En outre, des mouvements comme le « Body positive » ont émergé ces dernières années pour contrer les diktats. Leur promesse ? Encourager chacun à accepter son corps tel qu'il est. Dans cette mouvance, les hashtags #Disabledpeoplearehot, littéralement « les personnes handicapées sont sexy » ou encore #DisabledAndCute ou #DisaBodyPosi ont fait le buzz, incitant à plus de diversité corporelle. « À l'origine, ces mouvements valorisaient la différence. Mais certains ont été récupérés par les marques, regrette Michaël Stora. Ce qui devait être un espace d'émancipation est devenu, dans certains cas, un simple outil de marketing. » « Si certaines voix sincères émergent, la norme reste dominante, et les hashtags #BodyPositive deviennent parfois de simples slogans sans remise en question des standards », nuance-t-il.
Éduquer plutôt que diaboliser
Face à ces constats alarmants, comment réagir ? Interdire Instagram et TikTok avant 16 ans ? Imposer un couvre-feu numérique ? Pour Michaël Stora, il faut la jouer « plus fin ». « Les jeunes utilisent les réseaux quotidiennement. Leur dire que c'est mauvais, c'est risquer de passer pour un vieux con. » Le psychologue plaide pour une éducation numérique réaliste, qui favorise le dialogue, exhortant par exemple à « créer des groupes de réflexion entre ados, encadrés par des adultes, pour qu'ils puissent échanger sur ces sujets et les démystifier ». Même topo pour les parents : la clé, c'est l'échange ! « Chez moi, mes ados me montrent des vidéos qu'ils ont vues, puis on en débat ensemble. Ça devient un moment de discussion », témoigne-t-il. Partager l'écran, pour mieux en désamorcer les pièges.
Quand le miroir se fissure
Mais, même quand le dialogue est ouvert, certains souffrent en silence. Face à la pression, ils utilisent l'humour et l'autodérision. « C'est une manière de se moquer de soi avant que les autres ne le fassent », souligne Michaël Stora. Le second degré comme réflexe de survie ? Une soupape utile, mais qui ne suffit pas toujours à masquer l'anxiété...
Aucun filtre ne protège d'une dépression. Aucun « like » ne soigne une angoisse. À force de se définir à travers des reflets digitaux idéalisés, les jeunes perdent leurs repères et parfois leur identité. Mais les plateformes, elles, poursuivent leur logique d'engagement, quels qu'en soient les effets secondaires. Face à cette mécanique bien huilée, il devient crucial de « reprendre le contrôle ». Non pas en supprimant les réseaux, mais en questionnant leur emprise, en comprenant ce qu'ils révèlent : un besoin urgent de reconnaissance, d'authenticité, de liens réels. Et, surtout, en donnant aux jeunes – et aux moins jeunes – les moyens de décrypter les codes, de reconnaître les pièges, de se reconnecter à eux-mêmes. Parce que la santé mentale ne doit jamais dépendre d'un algorithme.
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