Et si les réseaux sociaux accentuaient la stigmatisation de certains troubles psychiques comme la schizophrénie ? Ce terme est souvent détourné, utilisé à tort ou au second degré, a fortiori sur Internet où les langues (doigts ?) se délient… Ces réflexes néfastes se multiplient ces dernières années et pourraient avoir des conséquences directes sur la prise en charge des patients. Pour vérifier ces hypothèses, la Fondation Pierre Deniker pour la prévention et la recherche en santé mentale publie une étude à l'occasion des 16e Journées de la schizophrénie, du 16 au 23 mars 2019 (article en lien ci-dessous). 106 000 publications ont ainsi été analysées entre juillet 2017 et décembre 2018. Au-delà des réseaux sociaux, les chercheurs ont scruté le web en long, en large et en travers !
Une insulte, en politique
Trois espaces de discussion ont été identifiés. Dans l'espace santé-société, soit 50 % des publications, le terme est surtout utilisé par les patients et les experts dans son acception médicale. « Elles sont majoritairement publiées sur les forums et en circuit fermé et touchent peu le grand public », indique la Fondation. Dans l'espace politique, qui recouvre 26 % des publications, il serait employé à 90 % comme une insulte « pour disqualifier non seulement le discours mais aussi l'adversaire en tant que personne ». A contrario, dans l'espace culturel, qui représente 13,2 % des publications, des initiatives sont prises pour informer sur la maladie, l'évoquer avec une tonalité positive, souvent créatrice et déconstruire les préjugés. « Leur influence est cependant minoritaire », précise l'étude. Globalement, « l'usage du terme schizophrénie est péjoratif, voire détourné de son sens médical dans les espaces politiques et culturels », conclut-elle.
Des jeunes en-dehors des réalités
En dehors du champ médical, il est utilisé pour exprimer une dualité, un paradoxe, une contradiction, une incohérence ou encore la dangerosité ou la folie. Mais ce comportement diffère selon l'âge et le milieu social. Sur Twitter, près des deux-tiers des contenus concernant la schizophrénie seraient « personnels et originaux ». Tous âges confondus, sur le laps de temps passé au crible, 1 035 tweets contenaient des insultes (« espèce de… », « putain de schizo »). Particulièrement actifs, les jeunes utilisent fréquemment des hashtags « skizo » ou « schizo ». « Les 18-24 ans s'emparent du terme avec des orthographes et des acceptions totalement décalées, humoristiques ou insultantes », déplore la Fondation.
Retard de diagnostic
Une attitude pénible pour les patients qui doivent alors supporter une double peine. « Ce serait cool si on arrêtait de dénigrer/banaliser les maladies mentales. Voir des gens utiliser sa maladie comme une insulte ou une blague, c'est douloureux », exprime l'un d'entre eux, sur Twitter. Les hypothèses semblent donc vérifiées. De nombreux internautes contribuent à la méconnaissance de la maladie en attribuant des connotations éloignées de la réalité. « La stigmatisation qui en découle entraîne un retard d'accès aux soins, des difficultés d'adhésion au diagnostic et donc aux traitements et, pire encore, un isolement social et affectif des malades qui supportent déjà un trouble douloureux », constate le professeur Raphaël Gaillard, président de la Fondation Pierre Deniker. La France aurait, en moyenne, dix ans de retard en matière de diagnostic...
Nouveau nom en perspective ?
La Fondation compte donc s'adresser à l'ensemble des parlementaires, au gouvernement et aux différents partis politiques pour « alerter sur l'usage stigmatisant et infamant du terme et ses retentissements ». Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat en charge des Personnes handicapées, a d'ores-et-déjà pris les devants (article en lien ci-dessous). Le 14 mars 2019, elle a exprimé son souhait « d'aller plus loin » contre les insultes « blessantes », appelant à « stopper les discriminations ». Mais la sensibilisation suffira-t-elle ? Rien n'est moins sûr… Pour compléter leurs actions et mettre fin à cette « confusion sémantique généralisée », la Fondation soutient le projet de changement de nom de la maladie à l'échelle de la francophonie, s'inspirant du modèle nippon qui, en 2002, l'a rebaptisée « troubles de l'intégration ».