« Dans ce train, une personne sur six est en situation de handicap. 80 % de ces handicaps sont invisibles, comme le mien. » C'est une annonce « un peu spéciale » qui a résonné dans le train Nomad Caen-Paris le 19 janvier 2024. Son auteure ? Tiffany Mazars, conférencière, vivant avec une fibromyalgie, une affection chronique qui se caractérise notamment par des douleurs diffuses persistantes et une fatigue chronique, et un trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Un chef de bord engagé
Alors que la jeune femme de 30 ans arrive quelques secondes avant le départ, le chef de bord la questionne. « Je reviens de l'enregistrement de l'émission Débadoc (ndlr : qui sera diffusée sur France 3 Normandie le 21 mars 2023, en deuxième partie de soirée) pour mettre en lumière le handicap invisible », lui répond-elle. Une ambition que Rayane Ben-Nadja partage, étant également TDAH et ayant encadré des jeunes concernés. Quelques dizaines de minutes plus tard, il l'interpelle de nouveau : « Bon, vous venez prendre la parole ? ». « J'étais super étonnée, je lui ai fait répéter plusieurs fois sa proposition pour qu'il se rende compte de l'ampleur ! », se souvient Tiffany. Il conduit la jeune femme dans la cabine où se trouve le micro et lance : « Vous avez carte blanche, je vous fais confiance ». « Je n'avais évidemment rien préparé. Impro totale ! »
Discriminée et traitée de « menteuse »
Son discours se veut positif et fédérateur. « Je suis heureuse de pouvoir libérer la parole autour du handicap invisible, dit-elle au micro. On va faire évoluer la société ensemble. » Régulièrement cible de jugements et de critiques, elle exhorte les passagers à faire preuve de « tolérance et de respect ». « On me fait souvent passer pour une menteuse, en certifiant que 'les personnes qui ont une fibromyalgie ne peuvent pas avoir autant d'énergie, elles sortent à peine, sont exténuées, au fond du trou' », indique-t-elle. Un état que Tiffany a traversé... Longtemps. Trop longtemps. « Il y a quelques années, je ne pouvais pas faire 500 mètres sans mon fauteuil roulant ni finir un repas sans être essoufflée. C'était très dur, je ne pouvais plus vivre comme ça, alors j'ai mis des choses en place pour m'en sortir. »
Pas de pathos ni de victimisation, des solutions !
Tiffany change d'environnement personnel, pratique une activité physique, qu'elle s'était toujours interdite pensant que c'était déconseillé en cas de douleurs. « Depuis, je me suis révélée, j'ai retrouvé la Tiffany que j'étais plus jeune », affirme-t-elle, soulignant qu'elle vit avec la maladie depuis ses 15 ans mais qu'elle n'a obtenu un diagnostic que sept ans plus tard. « J'ai toujours des douleurs, le quotidien n'est pas tout rose, surtout en tant que maman solo, mais je partage de l'espoir, de la tolérance car je crois foncièrement que c'est cet état d'esprit qui va nous aider à trouver des solutions. » Celle qui refuse « d'être dans le pathos, la victimisation » et prône l'action plutôt que l'attente, appelle « toutes les personnes en capacité de le faire » à prendre part à ce mouvement « solutionnaire », pour inspirer « celles qui sont fatiguées et fatalistes », se disant toutefois « consciente de l'effort que cela demande » et des différents degrés de la maladie.
De son côté, elle affirme plancher sur des solutions pour sensibiliser le personnel de la SNCF et l'accompagner sur sa politique inclusion, avec Rayane Ben-Nadja, ambassadeur du groupe ferroviaire. « Il voulait déjà faire bouger les choses en interne sur le sujet du handicap. Notre rencontre a été l'élément déclencheur. »
Elle embauche son patron sur Le bon coin
Ce n'est pas la première fois que cette trentenaire « fait dans l'original » pour porter la voix des « invisibles ». En 2018, alors qu'elle « galère à trouver un job dans la communication en tant que maman handi », elle décide d'embaucher son patron via Le bon coin. « Ça a marché... et buzzé ! » Son handicap est donc, certes, source de douleurs, mais aussi d'opportunités, professionnelles et personnelles, assure-t-elle... En effet, cette « spontanéité et cette fraîcheur » ont conquis Mathieu Thomas, champion de para badminton (Lire : Mathieu Thomas, "J'ai 1 truc à te dire"), son compagnon depuis un an et demi. « Une rencontre qui ne se serait pas produite sans le handicap, suppute-t-elle. Ensemble, nous apportons un regard différent qui a priori fait du bien. »
Retours encourageants des passagers
« Pour preuve, j'ai reçu des dizaines de messages sur les réseaux sociaux, d'appels, de propositions de projets, à l'issue de mon intervention dans le train. Certains passagers m'attendaient derrière la cabine d'enregistrement et d'autres à l'arrivée pour me féliciter, poursuit-elle. C'est juste génial, cela prouve que l'on a un grand besoin d'espoir, de lumière, mais aussi que la société évolue ! » Il y a encore quelques années, « en entreprise, on avait parfois peur de ce 'débordement d'énergie, impossible à canaliser', se souvient Tiffany. Je passais pour le 'bisounours', la crédule à croire en l'amour, la bienveillance, la solidarité... Et pourtant c'est aujourd'hui grâce à ça que je gagne ma vie en intervenant notamment dans les entreprises ! », explique-t-elle, se félicitant d'avoir « conservé sa singularité et refusé de rentrer dans les clous d'une société frileuse face à la différence ».