« Pouvez-vous imaginer vous réveiller un jour et être stérilisé sans votre consentement ? », interroge, cash, le Forum européen des personnes handicapées (EDF) dans une pétition diffusée début août 2022. C'est ce qui est pourtant arrivé à une jeune femme sourde, qui a découvert, lors d'examens gynécologiques, qu'elle avait été stérilisée durant son enfance, dans le plus grand des secrets. Après confrontation avec ses parents entendants, ces derniers ont avoué avoir suivi les conseils d'un médecin pour « empêcher la transmission du gène sourd à la prochaine génération ».
Un rapport alarmant
Des cas comme celui-ci, le rapport d'EDF sur la stérilisation forcée des personnes handicapées (en lien ci-dessous), publié le 22 septembre 2022, en relève des dizaines. Les raisons évoquées ? Le « meilleur intérêt de la personne », des contrindications médicales à la maternité, la protection contre les abus sexuels ou encore une méthode contraceptive « simple et efficace ». Interdite par de nombreux textes internationaux, notamment la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, cette pratique définitive est « apparentée à de la torture », « cause des traumatismes à vie et prive les gens de leur droit de décider de leur propre corps et de fonder une famille », alerte Pirkko Mahlmäki, membre du comité exécutif d'EDF.
Que dit la loi française ?
Or, au moins quatorze Etats de l'Union européenne (UE) l'autorisent encore dans leur législation. C'est le cas de l'Autriche, la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la Slovaquie… Trois pays permettent même la stérilisation forcée des mineurs : la République tchèque, la Hongrie et le Portugal. La France, quant à elle, demeure dans une zone grise. Depuis la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception de 2001, la stérilisation des personnes handicapées mentales est possible dans l'Hexagone mais de façon « strictement » encadrée. Cette méthode contraceptive doit être adoptée en dernier recours, uniquement lorsque la personne est majeure et qu'elle n'exprime aucun refus. La décision revient alors au juge des tutelles, après consultation de la personne et de son représentant légal. « Ça ne veut donc pas dire que ça n'est pas ou plus pratiqué mais qu'en principe, selon la loi, la stérilisation ne peut avoir lieu si la personne s'y oppose », précise Marine Uldry, chargée des droits de l'Homme au sein d'EDF. Dans les faits, il est difficile de s'assurer de son consentement. « Elle peut notamment subir des pressions familiales ou de la part des médecins pour accepter la stérilisation. Parfois, l'opération peut tout simplement être mal expliquée et, de ce fait, la personne ne s'y oppose pas », poursuit Marine Uldry. En France comme en Belgique ou en Hongrie, la stérilisation ou la contraception est même une condition d'admission dans certains établissements spécialisés, dénonce le rapport d'EDF.
Un tabou qui demeure
Cette pratique reste taboue et se déroule souvent à huis clos ; en témoigne l'absence de statistiques à ce sujet. En France, les dernières données disponibles remontent à 1998 et font état de près de 500 cas de ligatures des trompes par an. En 2012, une requête avait été déposée devant la Cour européenne des droits de l'Homme par cinq femmes avec un handicap mental ayant subi une intervention chirurgicale sans leur consentement et sans connaître la nature des opérations. Leur requête avait finalement été rejetée… En raison de l'opacité du phénomène, il se pourrait bien qu'il soit particulièrement sous-évalué. Parmi les Etats européens mentionnés dans le rapport, des données récentes n'ont été trouvées que pour l'Allemagne et l'Espagne. Outre-Rhin, 17 % de femmes handicapées ont été stérilisées, contre 2 % des femmes à l'échelle nationale en 2017. De son côté, le Conseil général du pouvoir judiciaire espagnol dénombre plus d'un millier de personnes handicapées stérilisées au cours de la dernière décennie. « En raison de cette situation inacceptable, nous demandons à l'UE d'insérer une interdiction totale de cette pratique dans la prochaine législation sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes », exhorte EDF.