Trophées femmes EA/Esat : célébrer des battantes, la der ?

Pour rendre visibles "celles dont tout le monde se fout !", Dominique du Paty crée, en 2013, les Trophées des femmes en EA et en Esat. Elle entend ainsi "célébrer des battantes". Mais cette 10e édition pourrait bien être la dernière...

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Les lauréates sur la scène des Trophées 2024, en liesse.

Le dixième anniversaire des Trophées des femmes en EA et en Esat* a-t-il un goût amer ? Si la fête est belle, une menace plane. C'est peut-être la dernière... La faute à un changement de loi qui impacte l'implication des entreprises partenaires (pour en savoir plus, lire l'interview en fin d'article).

Une « énergie de fou » !

Pourtant, avant ce baisser de rideau probable, l'énergie reste intacte. Le 13 mars 2024, l'amphithéâtre du Conseil régional d'Ile-de-France, à Saint-Ouen (93), est plein à craquer. Créés par le réseauH, cabinet de conseil et de formations spécialisé dans le handicap, ces trophées mettent en lumière des femmes aux compétences « discrètes ». Objectif ? Célébrer des professionnelles engagées, des « porteuses d'espérance ». « La résilience permet d'aller au bout de ses rêves, mesdames ne doutez jamais de vous », exhorte Patricia Gros Micol, lauréate en 2018, qui a créé l'EA Handishare au moment où sa vie semblait basculer. « Les trophées, ça donne une énergie de fou ! », assure-t-elle.

Des parcours motivants

Jennifer, Anne, Hélène, Elise, Manon… En 2024, sur 70 nominées, 14 sont récompensées, et bénéficient du marrainage d'une ancienne lauréate. Des applaudissements nourris, de l'enthousiasme, de la sincérité… Des émotions ! Submergée par la sienne, Hélène Liot, ouvrière de production agricole, enfouit sa tête dans un bouquet mais, en off, se dit « fière pour son petit garçon et ses collègues ». A chacune sa manière de célébrer ! Tofata, marraine, préfère danser. Une autre marraine, Anne Caumont, a pu témoigner de l'importance de son travail durant la crise sanitaire, qui a permis de « sauver des vies ». Celle qui, depuis plus de trente ans, assemble des respirateurs, fut récompensée pour sa capacité à « transmettre son savoir ». « Participer et venir à Paris, c'est déjà une victoire », estime Agathe Guyader, ancienne lauréate.

Des femmes invisibles ?

Ces trophées ont vu le jour en 2013 sous l'impulsion de Dominique du Paty, une « histoire assez marrante », selon elle. Elle rencontre une femme dans une EA qui déplore le manque d'initiatives envers les travailleuses de ces entreprises. « Elles sont en minorité, ont des formations très inférieures à celles des hommes et accèdent rarement à des postes à responsabilité », observe-t-elle. En effet, une étude de LADAPT sur les femmes en situation de handicap pointe des dysfonctionnements accrus en milieu protégé et adapté, notamment en raison d'une certaine fragilité professionnelle. Dominique du Paty observe d'ailleurs une « disparité de charges avec leurs homologues masculins » car elles sont souvent aussi aidantes et mamans.

Un sujet dont « tout le monde se fout »

Elle décide donc de s'intéresser à ce sujet transverse « dont tout le monde se fout ». « En France, on travaille en silos, soit on parle de handicap, soit on parle de femmes, mais les deux réunis ça n'intéresse pas grand monde », selon elle. L'entrepreneure « galère » à trouver des partenaires mais ne lâche rien. Dix ans plus tard, elle le vit comme une « consécration » et se réjouit de voir que ces femmes, jadis oubliées, « assurent » et sont détachées dans le milieu ordinaire, autonomes…

Les entreprises en force

Cette cérémonie est soutenue par de grandes entreprises partenaires. Leur credo ? « On a besoin de vous autant que vous avez besoin de nous. » Airbus assure par exemple que c'est un « gros challenge d'attirer les femmes sur les métiers de l'aéronautique » et ces trophées permettent de faire savoir qu'ils sont accessibles à tous, notamment via la sous-traitance. « Ces trophées ont fortement impacté la sphère professionnelle, à la fois les pros et les clients, permettant une véritable prise de conscience », explique Dominique du Paty.

De vraies métamorphoses

Cette valorisation métamorphose chacune d'elles : montée en compétences, confiance en soi, autodétermination... « Ces trophées les ont convaincues qu'elles n'étaient pas si nulles que ça ! Sinon, bien souvent, elles sont au fond de la cave », constate Dominique du Paty. Pour certaines, c'est un véritable tremplin. Une ancienne lauréate, Mellie Claude, mutique sélective, ayant de grandes difficultés à s'exprimer, décide d'écrire sa biographie. Une autre est devenue chef d'équipe. « Le fait de les faire monter sur scène, c'est un truc de dingue et ça nous récompense du travail accompli toute l'année ! », ajoute celle qui dit « remplir des réservoirs d'amour à chaque trophée ».

Des coups de cœur

Le public, qui s'est prononcé en ligne, décerne son prix à Aurore Hourcq, équipière polyvalente chez McDonald's accompagnée par LADAPT. 670 voix pour celle qui « ne pensait pas en avoir autant ».

« Coup de cœur » de cette 10e édition ? Sarah Ibanez, responsable communication au sein du Crédit Agricole de Vendée. « Une sourde qui fait de la com, le comble ! » Elle est venue « profiter de la tarte au chocolat mais se dit émerveillée de voir toutes ces femmes, ces 70 soleils ». Elle encourage à « poursuivre le combat ».

Enfin, le « Prix spécial dix ans » est décerné à Chantal Horcholle, vendeuse chez Les confiseurs, en Normandie. « Ça fait trois fois que je viens ici, ne perdez pas espoir ! », lance-t-elle. 

Trophées 2024, the end ?

Les Trophées des femmes en EA et Esat vivent-ils leur dernière heure ? On a posé la question à Dominique du Paty...
DP : Actuellement, il est possible de diminuer le montant de sa déclaration relative à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (DOETH) en participant à des évènements qui mettent en lumière des personnes en situation de handicap. Mais, fin 2024, c'est terminé, puisque la loi Pénicaud met fin à cette disposition, avec l'ambition de privilégier les engagements en faveur de l'emploi direct en milieu ordinaire.

H.fr : Un soutien du réseau Gesat, de l'Unea ou du gouvernement est-il envisageable ?
DP : Je doute qu'ils acceptent de mobiliser 150 000 euros chaque année pour ces trophées...

H.fr : Et les associations ?
DP : Où vont-elles trouver les ressources ?

H.fr : Quel est votre état d'esprit ?
DP
 : C'est vraiment dommage parce qu'on se donne un mal de chien toute l'année pour organiser cet évènement. Un poste et demi à temps plein y est dédié, c'est un boulot monumental ! Mais, aujourd'hui, je préfère me concentrer sur cet anniversaire et me dis que, dix ans, c'est déjà un beau chemin. 

* Trophées des femmes en EA (entreprise adaptée) et en Esat (établissements et services d'aide par le travail)

© Emmanuelle Dal'secco / Handicap.fr

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