Trump et le handicap : des millions d'Américains inquiets

Coupes budgétaires massives, réduction des programmes d'inclusion, libération d'un langage stigmatisant... Il ne fait pas bon vivre aux États-Unis quand on est en situation de handicap sous l'ère Trump. Témoignages après quatre mois d'investiture.

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Personne en fauteuil roulant de dos avec la bannière étoilée en filigrane.

« Les États-Unis sont un pays de lutte. Imaginez si les 'militants' historiques n'avaient pas continué à se battre pour leurs droits, je ne serais probablement pas assise ici, devant vous, à vous parler. » C'est avec beaucoup d'inquiétude et autant de détermination chevillée au corps que Sharon McLennon Wier, présidente du Centre pour l'indépendance des personnes handicapées à New York (CIDNY), elle-même déficiente visuelle, prend la parole sur une thématique d'actualité : le traitement politique de la question du handicap aux États-Unis. Depuis l'investiture de Donald Trump en janvier 2025, il ne se passe pas un jour sans qu'une annonce choc soit faite à ce sujet.

Controverses et contrevérités sur l'autisme

Récemment, le ministre très controversé de la santé, Robert Kennedy Jr, a annoncé lancer une étude pour révéler en moins de six mois les causes de ce qu'il nomme une « épidémie » d'autisme (Lire : USA : étude annoncée pour expliquer la "pandémie d'autisme"), avançant d'ores et déjà des pistes, notamment les vaccins, auxquels il est farouchement opposé. Sur ce sujet, comme sur bien d'autres, le gouvernement Trump a finalement rétropédalé, expliquant que les résultats de l'étude ne pourraient pas être révélés en septembre prochain comme annoncé initialement.

30 % de la population américaine a un handicap documenté

 Depuis quatre mois, les décrets s'enchaînent, les annonces aussi, crispant un peu plus les personnes en situation de handicap, qui représentent « 30 % de la population américaine », selon Sharon McLennon Wier. « Le handicap est donc un problème qui transcende les clivages partisans. » Alors, comment ne pas se laisser submerger par le désespoir dans ce contexte plus qu'incertain ? Comment démêler le vrai du faux et trier les annonces évasives des actions concrètes ? Nous avons tenté d'y voir plus clair, en interrogeant les premiers concernés. « Nous sommes effrayés », scandent-ils d'une même voix. Et leurs craintes sont fondées. 

Réduction des programmes d'inclusion

Parmi les mesures les plus concrètes, il faut citer la réduction des programmes de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI), signée par décret exécutif dans les premières heures post investiture de Trump. Cette décision a été perçue comme une tentative de démanteler les avancées en matière d'accessibilité et d'inclusion pour les personnes en situation de handicap. Dans la foulée, plusieurs grandes firmes américaines comme Google, Disney, McDonald's, Ford et Meta ont annoncé mettre en application la fin des DEI. 

L'éducation spécialisée mise à mal

Côté éducation, Trump a, là encore, frappé fort. Le 21 mars 2025, ce dernier a annoncé, de nouveau par décret exécutif, le transfert de la supervision des programmes d'éducation spécialisée du Département de l'éducation (DOE), l'équivalent des classes/établissements adaptés (Ulis, IME…) en France, vers le Département de la santé et des services sociaux (HHS), dirigé par Robert F. Kennedy Jr. Certains États pourraient ainsi relâcher leurs efforts sans pression fédérale forte, augmentant les écarts d'accès à une éducation de qualité pour les élèves handicapés. Bien qu'un décret ait été signé, la mise en œuvre effective de ce transfert reste incertaine. Des experts juridiques soulignent que le transfert de responsabilités entre agences fédérales, notamment celles définies par la loi, nécessite l'approbation du Congrès. À ce jour, aucune législation n'a été adoptée pour autoriser ce changement, et des recours judiciaires sont en cours pour contester la légalité de cette initiative.

L'Etat, moins protecteur des plus « fragiles »

Le 24 avril 2025, nouvelle signature à impact, avec un décret éliminant l'utilisation par le gouvernement fédéral de la norme juridique du « disparate impact ». Celle-ci permettait jusqu'alors de contester des politiques ayant des effets disproportionnés sur des groupes protégés, y compris les personnes handicapées, même sans preuve de discrimination intentionnelle. Quelques jours plus tôt, une douzaine d'avocats de la Division des droits civiques du Département de la Justice, gérant habituellement des domaines clés tels que les droits des personnes handicapées, ont été réaffectés selon l'agence Reuters. Cette réorganisation est perçue par certains comme une « tentative de réduire l'engagement du gouvernement fédéral en matière de protection des groupes marginalisés ». 

Des restructurations gouvernementales

« Faire plus avec un coût beaucoup plus faible pour le contribuable », c'est en ces termes que Robert Kennedy parle du ministère de la Santé qu'il dirige désormais et pour lequel il a fait ou est en passe de faire licencier 25 000 salariés. Même topo au sein du Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE), la direction d'Elon Musk qui a procédé à des licenciements massifs au sein d'agences soutenant les personnes en situation de handicap, telles que l'Administration pour la vie communautaire (ACL). Formée en 2012, elle finance et coordonne des programmes communautaires qui permettent notamment aux personnes en situation de handicap, de rester vivre chez eux, de participer pleinement à la société et d'éviter l'institutionnalisation. Ces restructurations risquent de réduire l'efficacité des programmes.

Des coupes budgétaires à la pelle

Les coupes budgétaires sont donc la nouvelle obsession du gouvernement Trump 2. Des propositions ont été avancées pour réduire les fonds alloués à Medicaid, un programme vital pour de nombreux Américains. « Il s'agit de services essentiels au maintien de la vie qui touchent de très nombreuses personnes aux États-Unis, notamment en situation de handicap. C'est pourquoi les gens manifestent, se mobilisent et expriment leurs inquiétudes », souligne Sharon McLennon Wier. Sa mère, 82 ans, bénéficie de la Sécurité sociale, ayant travaillé toute sa vie, mais jusqu'à quand ? « Va-t-elle obtenir son prochain chèque ? Elle est très inquiète ! », fait savoir la présidente du CIDNY. « Nous sommes très préoccupés et nous voulons que le gouvernement comprenne que ces coupes budgétaires pourraient entraîner la mort de nombreuses personnes. On continue à dépenser sans cesse, sans aucun recours. Cependant, il y a un moyen de stopper l'hémorragie. Nous devons renforcer la surveillance. Nous devons réaliser des audits internes de chaque programme afin de déterminer les domaines où nous pouvons effectuer des coupes budgétaires et améliorer l'efficacité des services », poursuit-elle. 

Atteinte à l'Americans with disabilities act

Par ailleurs, 11 directives relatives à l'Americans with disabilities act (ADA) ont été retirées, dans le but de réduire les « charges réglementaires pour les entreprises », selon le gouvernement. Un nouvel affront suscitant des inquiétudes quant à une possible réduction des normes d'accessibilité. Les défenseurs des droits des personnes handicapées craignent que cela n'encourage certaines entreprises à négliger les aménagements nécessaires. « C'est une période difficile. Je pense que la vie quotidienne de la plupart des personnes handicapées n'a pas encore été trop impactée, mais nous sommes suspendus aux prochaines annonces », remarque Skylar Covich, lui aussi en situation de handicap, basé à Santa Barbara.

Utilisation d'un langage discriminant

Un climat des plus délétères, renforcé par une libération du langage, plus discriminant à l'encontre des personnes handicapées et de leurs proches. C'est par exemple les moqueries d'Elon Musk envers une personne malvoyante sur X, Dylan Hedtler-Gaudette, ou encore l'incrimination par Trump d'« handicapés mentaux » et de « nains » dans le crash d'un hélicoptère et d'un avion. « Cette stigmatisation ne choque presque plus maintenant », déplore Charles-Edouard Catherine.

« La pression monte d'un cran »

Ce Français résidant à New York depuis plusieurs années, également capitaine de l'équipe américaine de cécifoot n'est « pas surpris » face à un tel contexte. Lors du premier mandat de Trump, ce dernier était déjà vice-président pour la National organization on disability (NOD), association œuvrant l'inclusion complète des personnes handicapées dans la société, en particulier dans l'emploi. Il a vu la pression monter d'un cran et la levée de certaines barrières. « Je savais qu'il y aurait une différence dans cette deuxième administration puisque l'accent a vraiment été mis sur la réduction d'effectifs et des dépenses. »

Quels espoirs pour l'avenir ? 

Malgré un avenir incertain et les mauvaises nouvelles qui s'enchaînent, ces représentants du monde associatif américain n'ont jamais cessé d'être dans l'action, dans la lutte. Manifestations, groupes d'études, événements au Congrès, lobbying doivent avoir lieu dans les prochains mois, de quoi susciter l'espoir... « Effectivement, il y a un retour en arrière. Mais je pense que ça n'enlève rien au fait que les États-Unis sont un pays d'innovation. Il y a toujours eu des mouvements d'aller et retour. Il faut donc regarder sur le temps long », relativise Charles-Edouard Catherine.

© Canva / Getty Images / Pixelshot

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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