Chronique Croizon : prendre l'avion, mission de haut-vol

Y-a-t-il un passager handicapé dans l'avion ? Dans sa chronique du 25 septembre du Magazine de la santé (France 5), Philippe Croizon dénonce les discriminations dont ils sont parfois victimes de la part de certaines compagnies...

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Philippe, ce mois-ci, vous avez décidé de prendre de la hauteur… Décollage immédiat.
Il y a quelques jours, le 15 septembre, on a vu circuler une image insolite ; la star du judo, Teddy Riner, portant sur ses épaules le champion de tennis-fauteuil Michaël Jeremiasz pour descendre d'un avion. C'était à l'occasion du retour de la délégation française de Lima, où elle venait de décrocher les Jeux de 2024 à Paris. Si cette image est super forte, et prise dans des circonstances extrêmement positives, le scénario n'est pas toujours aussi rose pour les passagers en situation de handicap qui souhaitent prendre l'avion.

Cet été, deux affaires ont défrayé la chronique…
Oui, la première concerne Valentin, un jeune Lyonnais de 24 ans atteint d'amyotrophie spinale, qui compte sillonner les États-Unis dans un van aménagé avec 9 amis. Mais son road-trip vire au cauchemar. A la descente de l'avion, il découvre son fauteuil électrique de 200 kilos complètement bousillé. Une manette quasiment arrachée, l'assise, l'accoudoir et la roue arrière tordus. Le fauteuil est inutilisable. La compagnie américaine propose un fauteuil de rechange mais pas du tout adapté qui finit par tomber en panne quelques jours plus tard. Ce périple devait permettre de mettre en avant la possibilité de voyager même pour les personnes en situation de handicap. Pas si simple qu'il n'y parait…

La deuxième histoire est celle d'une jeune femme lourdement handicapée, Lucie Carrasco, quelques semaines plus tard.
Lucie est en effet tétraplégique. De retour de Los Angeles, avec une compagnie low-cost islandaise, elle a vécu l'enfer. Son fauteuil électrique est cassé à son arrivée à Roissy. Elle doit attendre des heures allongée sur une banquette de l'aéroport avant d'être prise en charge. Au total, elle a mis plus de 14 heures avant de rentrer chez elle, à Lyon. Plus d'un mois après, la compagnie a finalement accepté de prendre en charge la réparation de son fauteuil et le remboursement de deux billets d'avion pour Lucie et son accompagnateur.

Ces deux cas sont liés à une casse de matériel mais, parfois, les compagnies s'en prennent directement aux passagers…
Oui une compagnie low-cost qui, prétendant pourtant qu'avec elle les voyages sont « faciles », s'est illustrée plusieurs fois dans ce genre d'affaire, refusant l'embarquement de passagers en situation de handicap pourtant autonomes et habitués du transport aérien, invoquant presque toujours des questions de sécurité.

Vous avez des exemples ?
Oui j'en ai repéré quelques-uns : un passager paraplégique refoulé parce qu'il n'est pas accompagné, un groupe de 22 personnes sourdes débarqué à son tour, une dame hémiplégique qui a pourtant l'habitude prendre l'avion seule à qui on refuse l'embarquement. Et ce qui est fou c'est que la compagnie a, en plus, refusé de lui rembourser son billet.

Mais, cet été, c'est une jeune fille polyhandicapée qui est à son tour confrontée à une situation aberrante…
Lucy a 18 ans et possède la motricité et la tonicité d'un bébé de trois mois. Le vol aller vers Barcelone se passe sans encombre, elle est autorisée à s'assoir dans son siège moulé que sa maman a fait fabriquer sur mesure aux dimensions des sièges de la compagnie par un orthoprothésiste pour un coût de 1 200 euros. Mais, au retour, pourtant sur la même compagnie, les choses se compliquent. Le pilote considère que Lucy peut gêner la sortie en cas d'évacuation et menace de débarquer mère et fille. Mais celles-ci résistent, encouragées par d'autres passagers. Lucy peut voyager mais en dehors de son siège. Un vol cauchemardesque d'1h15, durant lequel la jeune polyhandicapée, recroquevillée sur sa maman, fera trois crises d'épilepsie. La compagnie a fini par présenter des excuses et ouvert une enquête.

Aux Etats-Unis, c'est une compagnie qui fait atterrir un avion au motif qu'un enfant perturbe le pilote…
Oui, en mai 2015, c'est la famille d'une jeune fille autiste qui est débarquée en cours de vol au motif qu'elle met le pilote mal à l'aise à cause de son comportement irritable. Les parents ont porté plainte et réclamé une meilleure formation du personnel navigant.

Pour les passagers victimes de ce type de galères, existe-t-il des recours ?
En Europe, le Règlement européen du 5 juillet 2006 relatif au transport aérien des personnes handicapées et à mobilité réduite (article en lien ci-dessous) interdit toute forme de discrimination lors des réservations et du transport pour tous les vols fréquentant les escales au sein de l'Union européenne. Des exceptions restent possibles, mais uniquement pour des raisons liées à une impossibilité technique, comme la taille de l'avion ou pour respecter les « exigences de sécurité ». Le problème, c'est que la formulation reste floue… Où se situe le curseur ? C'est un peu au cas par cas, ce qui explique les problèmes que je viens de citer.

Chez Air France, par exemple ?
Un accompagnateur est obligatoire « uniquement dans les cas suivants » :
– personne souffrant d'un handicap intellectuel sévère ne lui permettant pas de comprendre et appliquer les mesures de sécurité,
– personne à la fois aveugle et sourde ne pouvant donc avoir la moindre communication avec l'équipage,
– personne souffrant d'un handicap moteur ne lui permettant pas de participer physiquement à sa propre évacuation. Cela concerne donc les personnes tétraplégiques mais pas la plupart des paraplégiques.

Ce même règlement européen impose, par ailleurs, aux gestionnaires des aéroports une obligation d'assistance…
Les 500 aéroports européens doivent leur offrir un ensemble de services spécifiques, depuis l'entrée de l'aéroport jusqu'à la porte d'embarquement, dans l'aéroport de départ comme dans celui d'arrivée, ainsi qu'une obligation d'assistance pour se rendre aux toilettes.

Les personnes concernées ont toutefois intérêt à signaler leurs besoins en amont…
Oui au plus tard 48 heures avant le départ, voire même une semaine pour éviter tout stress, afin d'obtenir des services adaptés, par exemple un pré-embarquement avant l'arrivée des autres passagers, un siège supplémentaire, une civière, de l'oxygène, la mise à disposition de prises électriques…

Deux autres infos à savoir ?
Oui rappelons que les chiens guides ont le droit de voyager en cabine avec leur maître, quelle que soit leur taille. Et le transport des équipements médicaux (dont font partie les fauteuils roulants) est toujours gratuit.

En cas de litige, quel recours pour les passagers concernés ?
Dans la plupart des cas que je vous ai cités, parce que la procédure à l'amiable n'avait rien donné, les passagers ont intenté une action en justice. Dans certains cas, l'APF (Association des paralysés de France) s'était même constituée partie civile. Les victimes peuvent également porter plainte auprès des organismes nationaux d'exécution ; en France, il s'agit de la DGAC pour l'aérien (Direction générale de l'aviation civile). Elles peuvent également alerter le Défenseur des droits.

Dans les cas cités, la justice a donné raison aux plaignants ?
Oui, la compagnie low-cost britannique a perdu ses procès à chaque fois pour discrimination. L'avocate de l'un des plaignants l'a accusée de ne pas vouloir mettre en œuvre cette aide à cause de son coût. Cette compagnie, qui déclare transporter près de 360 000 passagers qui nécessitent une attention particulière chaque année, a, depuis, créé un comité indépendant d'experts européens qui lui fournissent des orientations et conseils en matière d'assistance.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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