A quelques jours de Noël, Philippe, vous avez envie de nous faire un cadeau, en nous parlant de votre histoire et surtout de partage…
Oui, j'ai en effet vécu un traumatisme dont il est presque impensable de se remettre, une électrocution. J'ai échappé je ne sais toujours pas comment à la mort, frôlé le suicide, sombré dans la dépression. Mais, aujourd'hui, je suis là et j'ai envie de parler de ce qui nous permet de survivre et parfois même d'être plus fort encore. On l'appelle « résilience ». Alors, oui, nous sommes à quelques jours de Noël mais nous sommes surtout à quelques semaines d'un drame qui a plongé la France dans le désarroi, des familles dans une immense douleur et des jeunes et moins jeunes dans une vie qui ne sera certainement plus jamais comme avant.
Vous parlez évidement des attentats du 13 novembre à Paris.
Oui, c'est à toutes ces victimes que je pense, qui resteront handicapées à vie, dans leur corps puisque certaines ont été amputées, sont devenues paraplégiques, mais aussi dans leur esprit. Ce sont les blessures psychologiques ; ils seront certainement nombreux à endurer ce calvaire.
Mais comment définir la résilience ?
Si l'on s'en tient à la définition du dictionnaire, elle désigne la capacité pour un corps, un organisme ou un système à retrouver ses propriétés initiales après une altération. Mais si on l'applique à l'Homme, c'est la capacité à revenir d'un état de stress post-traumatique. Boris Cyrulnik, qui a préfacé mon dernier livre (article en lien ci-dessous), est l'un des référents sur cette question. Il a écrit de nombreux ouvrages sur ce sujet.
Etre résilient, cela suppose de passer par plusieurs étapes ?
Oui, j'en compte cinq : déni, colère, négociation, dépression, acceptation.
Vous dites qu'on ne peut pas surmonter ce type d'épreuve seul…
La résilience n'est pas l'affaire d'un seul homme, c'est celle de tout l'entourage, parfois de professionnels. Boris les appelle « tuteurs de résilience ». Dans ma famille, on a longtemps fait semblant, par pudeur. En 20 ans, ma mère n'a jamais évoqué mon accident. Mais je savais que mes proches étaient présents, aussi meurtris que moi. Ils ont, sans même le savoir, joué un rôle essentiel. Sans leur soutien permanent, même lorsque j'étais au fond du trou, je ne m'en serais pas sorti.
Vous dites que survivre au handicap ne peut se faire sans ce partage.
« Partage », c'est mon mot favori. Je déplore que tant de blessés de la vie se retrouvent seuls. Je comprends leur colère. Une colère qui risque de les ronger toute leur vie car ils n'auront pas eu la chance d'être entourés et soutenus. Lorsque le deuil se complique et que la personne handicapée reste coincée dans l'une des phases que je viens de citer, elle entre dans ce que l'on appelle un deuil pathologique. Ce type de deuil nécessite, pour s'en sortir, un accompagnement par un professionnel.
La résilience, c'est un ensemble conjugué de facteurs mais vous croyez surtout aux vertus du sport…
Je ne pourrai jamais dire le contraire, c'est ce qui m'a sauvé. Mais je ne suis pas le seul. Les stades lors des épreuves paralympiques sont remplis de sportifs qui ont surmonté des situations incroyables. Par exemple, chaque année, le ministère de la Défense organise les RMBS (article en lien ci-dessous). Ces « Rencontres militaires blessures et sport », par le biais de stages de découverte multisports, accompagnent les blessés dans leur parcours de réadaptation et de réinsertion. Je suis convaincu que le sport est un outil essentiel de résilience, de dépassement et de lien social, parce qu'il permet de briser le stress, le repli sur soi et l'isolement.
Il faut tout de même laisser passer du temps pour trouver cette force ?
Pas nécessairement. L'association « Comme les autres » (article en lien ci-dessous), portée par les frères Jérémiasz, dont l'un est champion en tennis fauteuil, propose à des jeunes récemment accidentés de participer à des stages à sensations fortes. Et là, dans une montée d'adrénaline phénoménale, la personne se dit : « Ouiiii, je suis vivant ! »
Cette envie de survivre pousse certaines personnes à faire des choses qu'elles n'auraient jamais imaginées avant…
Il y a un site que j'ai découvert, qui enregistre les records réalisés par les personnes handicapées. Il s'appelle, Handicap world records. Il y a vraiment des trucs de fou : un tour de France en avion par un non-voyant, une ascension au Népal par une groupe de personnes handicapées mentales ou encore un jeune infirme moteur cérébral en fauteuil qui tracte un véhicule de trois tonnes.
Mais il ne faut pas laisser croire que toutes les personnes handicapées sont capables de telles prouesses.
Non, évidemment. Toutes ne deviennent pas des héros ou des champions. Mais la résilience prend tous types de chemins. C'est une construction permanente qui vise à retrouver le goût des choses, l'envie… C'est se projeter dans une formation professionnelle, pratiquer un art, s'adonner à une passion, s'occuper de son jardin, des autres aussi… Il y a mille voies à explorer.
Pour vous, cela signifie quoi « être handicapé » ?
Ne pas avoir encore accepté son handicap, et continuer à se débattre dans le déni et la colère, souvent seul ! Aujourd'hui, je suis capable de dire « Oui je suis une personne en situation de handicap ». Pour autant, je ne me réveille pas tous les matins en me disant « Merde, je suis handicapé ! ». Il m'a fallu le temps nécessaire mais, après toutes ces années, j'ai pleinement intégré mon handicap. Il fait désormais partie de moi, d'un tout. C'est peut-être tout bêtement cela être résilient.
© Emmanuelle Dal'Secco