Que se cache-t-il vraiment derrière nos « mirettes » ? Pour la toute première fois, un œil humain entier a été imagé par transparisation et microscopie, une technique initialement développée pour le cerveau (Lire : Malformations faciales : et si on cartographiait la tête?) mais jugée jusqu'ici impossible pour cet organe en raison de sa complexité, sa pigmentation et la fragilité de la rétine. Cette « avancée révolutionnaire », qui découle d'une collaboration scientifique franco-suisse, ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension de nombreuses maladies oculaires telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), la myopie ou encore le glaucome, dont les causes restent encore mal comprises. Les résultats de cette étude prometteuse ont été publiés fin 2023 dans la revue scientifique Communication biology (Nature).
La transparisation, quésaco ?
« Les tissus qui constituent nos organes existent en 3D. Cependant, leur analyse biologique a historiquement été réalisée en 2D, en découpant des sections de quelques micromètres d'épaisseur pour les imager avec un microscope », explique en préambule le centre d'investigation de l'hôpital national des 15-20, qui a participé à l'étude. Depuis une dizaine d'années seulement, la transparisation (clearing) a enfin permis d'observer des échantillons en 3D par microscopie. Cette technique permet de rendre transparent un échantillon biologique initialement opaque. « Il est alors possible de voir à travers lui et, grâce à des marquages par anticorps fluorescents et des microscopes spécialisés (microscopes à feuillets de lumière), de visualiser en 3D l'organisation des cellules et des structures de l'organe », poursuit-il. Ainsi, les chercheurs pourront désormais observer, sur les mêmes images, des phénomènes localisés mais aussi la globalité des tissus oculaires, avec leurs architectures cellulaires spécifiques, ou les processus pathologiques de différentes maladies.
En France, c'est Marie Darche, ingénieure hospitalière au sein de l'hôpital des 15-20, qui a été chargée de les transpariser. Il lui aura fallu plusieurs années pour adapter cette technique aux contraintes de l'œil humain. Du côté suisse, les images ont été obtenues grâce au microscope à feuillet de lumière (le MesoSPIM) du Wyss center for bio and neuroengineering, une fondation de recherche en neurotechnologie basée à Genève.
Imager des yeux malades
Au fil des travaux, une banque avec des yeux sains et pathologiques imagés sera partagée à la demande avec des collaborateurs internationaux. « Elle nous aidera à identifier de potentielles cibles thérapeutiques ou à évaluer l'efficacité de traitements novateurs », explique l'hôpital des 15-20.
Par ailleurs, alors que l'étude portait sur des donneurs sains, elle prévoit prochainement d'imager de nombreuses pathologies telles que la DMLA, l'occlusion veineuse rétinienne (OVR), le glaucome, le mélanome uvéal... Enfin, « pour faire avancer nos recherches », le centre d'investigation des 15-20 a pour ambition de développer le premier microscope à feuillet de lumière français entièrement dédié à l'imagerie d'échantillons humains. A voir !
© MarieDarche / Hôpital national des 15-20