Anorexie mentale, boulimie, hyperphagie boulimique, troubles restrictifs... Les troubles des conduites alimentaires (TCA) touchent environ 900 000 personnes en France, selon les estimations. Mais ces dernières ne tiennent pas compte de ces milliers de frères, sœurs, parents souvent, enfants parfois, à payer le prix (fort) de ce handicap psychique ayant un impact majeur sur la santé mentale, la vie sociale et parfois professionnelle.
C'est pour mettre en lumière ces « alliés précieux » du processus de soin et leur fournir des clés pour accompagner leur proche que la Fédération française anorexie boulimie (FFAB) a choisi de consacrer la semaine mondiale de sensibilisation 2025 au thème : « Quand les TCA s'immiscent dans la famille ! ».
Comme chaque année, divers ateliers, débats et opérations de sensibilisation sont organisés partout en France pour mieux comprendre ces troubles et aider les familles à sortir du silence.
.
Quels signaux d'alerte pour les troubles de la conduite alimentaire ?
Les TCA concernent tous les âges, bien que les adolescents, en particulier les filles, soient particulièrement à risque. Les signes d'alerte varient selon le type et la gravité du trouble, mais certains symptômes doivent alerter :
- Fluctuations de poids (perte ou prise soudaine) ;
- Restriction alimentaire ou excès incontrôlés ;
- Préoccupation excessive autour du corps, du poids ou de la nourriture ;
- Aménorrhée chez les adolescentes ;
- Pratique sportive excessive ou vomissements provoqués ;
- Suivi obsessionnel de régimes alimentaires ;
- Changement de comportement alimentaire (saut de repas, frigo qui se vide anormalement vite ou reste plein)
Ces comportements s'accompagnent souvent de manifestations émotionnelles : tristesse, repli sur soi, crises de larmes, conflits familiaux, isolement, difficultés scolaires…
Ce « repérage » s'avère particulièrement complexe pour les parents d'adolescents ; période propice aux changements de comportements. « Tout est une question d'équilibre. Les changements qui 'mettent en péril' le bien-être et la trajectoire du jeune et s'apparentent à une menace doivent faire l'objet d'une attention particulière », précise le Pr Godart, Nathalie Godart, pédopsychiatre, co-cheffe du pôle hospitalo-universitaire de santé des adolescents et jeunes adultes de la Fondation santé des étudiants de France.
Des idées reçues contre-productives
Un repérage également mis à mal par les idées reçues et une minimisation persistantes à l'égard de ces troubles. « Dangereuses, symptomatiques d'un mal-être plus profond, ces pathologies peuvent être mortelles. Passagères ou perdurables, elles sont souvent l'expression physique d'une souffrance psychologique, d'une douleur, d'un dérèglement que la bouche ne peut pas dire et que le corps exprime.
Le tabou, la honte, les présupposés, la raillerie qui les entourent empêchent parfois une prise en charge sérieuse », déplore Line Papin, auteure, notamment, de L'éveil et Les os des filles, qui traite de l'impact dévastateur des TCA sur trois générations de femmes. « Il suffit d'un peu de volonté pour arrêter les crises de boulimie », « Les TCA, c'est la faute des parents », « Une personne souffrant d'hyperphagie boulimique est forcément en surpoids », « Une personne qui souffre de TCA, ça se voit »... Autant de stéréotypes qu'elle incite à briser de manière collective.
Un dialogue progressif et non culpabilisant
Pour toutes ces raisons, parler de TCA est délicat. Alors comment aborder cette question délicate avec son proche ? « Il est préférable d'éviter d'en parler pendant le repas car c'est déjà un moment d'angoisse pour les personnes avec des TCA. De vives émotions (tristesse, colère, culpabilité) risquent de sortir donc elles ne seront pas forcément réceptives », conseille Nathalie Godart, qui incite à un moment d'échange « détendu et progressif ».
Autres erreurs ou maladresses à enrayer : les reproches, les discours culpabilisants et trop « frontaux ». « Leur comportement alimentaire est la traduction d'un malaise donc dire 'Tu es maigre', 'Tu as beaucoup grossi', 'J'ai vu que tu sautais des repas', 'Tu ne manges rien !' ou 'Tu manges trop !' peut être vécu comme une agression et les braquer. » Ainsi, les formules telles que « Je suis un peu inquiet en ce moment, j'ai l'impression que certaines choses te préoccupent. Tu veux m'en parler ? » sont à privilégier avant d'aborder la question du poids ou de l'alimentation.
Pour plus d'informations, la FFAB propose des ressources pour guider les familles préoccupées par le comportement alimentaire de leur proche sur son site ffab.fr.
Comment réagir face au Skinny Tok ?
Mais faire preuve d'un tel flegme n'est pas toujours évident car « constater que son enfant ne mange pas par exemple, c'est angoissant, on craint pour sa santé », consent le Pr Godart, qui souligne le nombre croissant de parents démunis face au « Skinny Tok ». Cette tendance, qui valorise des comportements alimentaires restrictifs et des idéaux de minceur extrême, est de plus en plus en vogue auprès des adolescents et jeunes adultes. « Ces messages sont dangereux et peuvent contribuer, avec d'autres facteurs, au développement d'un trouble alimentaire chez les personnes vulnérables. Face à cette exposition, il est essentiel d'éviter les réactions autoritaires et de privilégier le dialogue : interroger le jeune sur ce qu'il ressent, encourager son esprit critique et rester à l'écoute », invite Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne spécialisée dans les TCA et l'accompagnement des proches aidants, membre de la FFAB. « La fascination pour des mouvements pro-minceur est également un signe d'alerte car la plupart des jeunes en ont peur ou les critiquent », complète Nathalie Godart, qui préconise notamment aux parents de regarder des vidéos ou des articles avec leur enfant afin d'échanger avec eux sur ce « phénomène ».
Lutter contre la culpabilité !
La cohésion est effectivement essentielle car un TCA peut affecter l'ensemble de la cellule familiale. « Les repas deviennent une source de tension, la communication se dégrade et les conflits se multiplient. Les parents, souvent envahis par un sentiment d'impuissance et de culpabilité, concentrent leur attention sur l'enfant concerné par le trouble au détriment des autres enfants », observe Elisabetta Scanferla. « Vous n'êtes pas responsables des TCA de votre enfant ! », martèle la psychologue. « Ces troubles sont complexes et ne résultent pas d'une faute éducative. Les recherches montrent qu'ils sont le produit d'une combinaison de facteurs génétiques, psychologiques, développementaux, sociaux et, culturels. Ils se développent différemment selon les individus, et il n'existe pas de ligne de conduite universelle que les parents pourraient suivre pour les prévenir. » En revanche, les proches ont un rôle essentiel en contribuant à un environnement propice au rétablissement. « Sortir d'un sentiment de culpabilité permet aux parents d'adopter une posture active de soutien et de devenir des acteurs essentiels du parcours de soins, à condition qu'ils soient eux-mêmes soutenus et accompagnés », poursuit-elle.
Solliciter l'aide d'un professionnel de santé
En premier lieu, le médecin généraliste et le pédiatre peuvent ainsi apporter des solutions aux personnes concernées par des TCA mais aussi à leurs proches. « En cas de malaise psychologique persistant, vous pouvez proposer à votre enfant de se faire accompagner par un psychologue ou un psychiatre », invite Nathalie Godart. Proposer, pas imposer, c'est la clé ! « Le premier réflexe est souvent de vouloir convaincre et d'insister sur la nécessité de soins, mais il est essentiel de respecter le rythme de la personne, affirme Elisabetta Scanferla. En cas de réticences ou de repli, il convient d'éviter la confrontation et de maintenir une posture d'écoute, empathique et non jugeante. L'idée est de continuer à l'encourager et à soutenir sa recherche d'aide car des soins précoces augmentent les chances de rétablissement. » Un accompagnement psychoéducatif peut également permettre aux parents de faciliter la compréhension du trouble et des soins, tandis que des groupes de paroles proposés par des institutions ou des associations visent à rompre l'isolement des familles. « De plus en plus de dispositifs impliquent également les fratries, victimes collatérales de ces troubles », complète le Pr Godart. Une thérapie familiale peut également être proposée afin de prendre en compte les besoins et les difficultés de chacun et de réorganiser la dynamique familiale.
Les associations et les lignes d'écoute, un soutien de poids !
En complément, la FFAB et les associations de familles telles que la Fédération nationale des associations liées aux TCA (FNA-TCA) offrent également écoute, orientation et conseils pratiques. La FFAB propose en outre un annuaire de centres spécialisés par région, ainsi que la plateforme téléphonique (09 69 325 900, prix d'un appel local) - disponible de 16h à 18h les lundi, mardi, jeudi et vendredi - permettant d'échanger anonymement avec des professionnels formés. « Le plus important, c'est de ne pas rester seul face à une situation qui peut générer de l'anxiété, voire de l'épuisement, chez les proches aidants », conclut Elisabetta Scanferla.
Ce qu'il faut retenir
Les TCA sont des maladies sérieuses, parfois longues à traiter, mais il est possible d'en sortir. Le soutien des proches joue un rôle déterminant dans le parcours de soin. Briser les tabous, favoriser le dialogue et demander de l'aide sont les premières étapes d'un accompagnement efficace et humain. Car, derrière le trouble, il y a une personne en souffrance. Et, autour d'elle, une famille qui peut devenir un levier puissant pour sa guérison.
© Africa images