Par Gregory Danel
Les députés examineront le 17 juin 2021 le sensible calcul de l'Allocation adulte handicapé (AAH), avec un front commun des oppositions contre le gouvernement, LREM et son allié Modem qui veulent continuer à prendre en compte les revenus du conjoint. La mesure, qui prévoit d'individualiser l'aide, est au coeur de la proposition de loi portant "diverses mesures de justice sociale" débattue dans l'hémicycle à 10h, dans le cadre d'une "niche" du groupe communiste. En commission, le 9 juin dernier, gouvernement, LREM et Modem ont détricoté le projet de réforme de l'AAH, une allocation versée sous conditions de ressources d'un montant maximal de 903,60 euros (article en lien ci-dessous).
Question de conscience individuelle
Les partisans d'une "déconjugalisation" de l'AAH, c'est-à-dire sans tenir compte des revenus du conjoint, espèrent un revirement le 17 juin dans les votes sur ce sujet, qui touche à la "conscience individuelle", comme le rappelle le député communiste Stéphane Peu, co-rapporteur. Initié par le groupe Libertés et territoires, le texte avait été voté par l'Assemblée une première fois en février 2020, contre l'avis du gouvernement et de la majorité. En mars, le Sénat à majorité de droite a également donné son quitus (articles en lien ci-dessous). De LFI à LR, la mesure a le soutien de toutes les oppositions et jusque chez Agir, pourtant composante de la majorité parlementaire.
Les asso dans la rue
Elle est également soutenue par le monde du handicap qui s'est livré à un intense lobbying auprès des parlementaires. Le 13 juin, environ 200 personnes se sont rassemblées à Paris pour réclamer que l'AAH ne soit plus assujettie aux revenus du partenaire (article en lien ci-dessous). "A partir de 2 000 euros de revenus pour le conjoint, on n'a plus droit à l'AAH, explique Pascale Ribes, présidente de APF France Handicap. Les ressources d'un conjoint ne font pas disparaître le handicap et on est ainsi à la merci de son compagnon." "Vivre en couple ou être indépendant financièrement : voilà le choix que le système actuel impose aux personnes handicapées. Ce 'prix de l'amour' (...) nous paraît inacceptable", tance Stéphane Peu.
La base de la solidarité nationale remise en cause ?
"La proposition de loi pose une bonne question" mais "y apporte une réponse inappropriée", fait au contraire valoir Michèle de Vaucouleurs (MoDem). Pour gouvernement et majorité, la "déconjugalisation" de l'AAH remettrait en cause la base même sur laquelle est construite la solidarité nationale, puisque la situation conjugale est prise en compte dans le calcul de tous les minima sociaux et dans le système fiscal. "Si on déconjugalise une aide, pourquoi ne pas toutes ? Il y aurait des conséquences en cascade", résume une source parlementaire LREM. Une analyse que contestent les partisans d'un nouveau mode de calcul. "L'AAH et les minima sociaux ne dépendent pas du même code! On n'a pas à la comparer avec le RSA", s'insurge Jeanine Dubié, co-rapporteure (Libertés et Territoires). Créée en 1975, l'AAH est destinée à compenser l'incapacité de travailler. Elle est versée sur des critères médicaux et sociaux. Elle compte aujourd'hui plus de 1,2 million de bénéficiaires, dont 270 000 sont en couple, pour une dépense annuelle d'environ 11 milliards d'euros.
Un abattement proposé
En commission, toute avancée pour les allocataires de l'AAH en couple n'a pas été balayée. Les députés ont voté le principe d'un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus du conjoint. Plus de 60% des 150 000 couples dont le bénéficiaire de l'AAH est inactif conserveraient ainsi leur AAH à 903 euros, au lieu de 45% des couples aujourd'hui. "C'est une manoeuvre dilatoire", attaque M. Peu. "Pour que le texte entre en vigueur, il faut que l'Assemblée vote conforme le texte voté au Sénat. Si ce n'est pas le cas, il repartira à la navette entre les deux chambres et l'évolution ne verra jamais le jour sous la mandature", redoute-t-il. Côté LREM, on rétorque que les avancées votées en commission seraient reprises dans le prochain budget de la Sécurité sociale. Et on regarde aussi le calendrier. Avant les départementales et les régionales, les oppositions cherchent à "coincer le groupe LREM en nous faisant apparaître comme moins-disant", constate une source chez les "Marcheurs", qui rappelle que l'AAH a déjà augmenté de 100 euros au cours de la législature.