La création d'une 5e branche de la Sécurité sociale a été définitivement votée le 7 août 2020. Elle entend couvrir les dépenses en faveur de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Un budget colossal, chiffré en milliards d'euros, qu'il va bien falloir financer au nom de la solidarité nationale… Mais où trouver l'argent ? C'est à ce casse-tête que devait répondre, entre autres, l'inspecteur général des finances Laurent Vachey. Il a remis un rapport très attendu le 14 septembre 2020. 360 pages au total et des propositions qui riment parfois avec restrictions. Habiller l'un sans trop déshabiller l'autre, tel est le défi.
Des mesures d'économies
Parmi la quinzaine de pistes explorées, écartant celle d'une « deuxième journée de solidarité comme la Pentecôte », figurent des hausses d'impôts notamment pour les retraités, le rabotage de plusieurs niches sociales et fiscales, le rognage du crédit d'impôt pour l'emploi à domicile mais également « des mesures d'économies » sur les allocations les plus coûteuses, celles destinées aux adultes handicapés (AAH) et aux personnes âgées dépendantes (APA). Une suggestion vraiment « sérieuse ? », interroge la CFE-CGC. Cette perspective a aussitôt semé un vent de panique chez les allocataires concernés, redoutant une baisse de leurs revenus. Le risque ne porte en réalité pas sur le montant mais sur les critères d'attribution.
L'AAH mal attribuée ?
Pour être très explicite, le rapport précise que « la dynamique de l'allocation aux adultes handicapés (+ 6 % par an, soit environ + 400 millions d'euros) s'explique pour une part par les revalorisations mais aussi, pour l'AAH2 (taux d'invalidité entre 50 % et 80 % et restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi), par un processus d'attribution mal maîtrisé, avec un risque important de transfert depuis le RSA du fait d'un montant supérieur d'un tiers (ndlr : pour l'AAH). Il pourrait être assigné à la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), si l'AAH est incluse dans son périmètre. Un objectif d'économie de 400 millions d'ici à 2024 ». Ainsi, environ 30 % des nouveaux entrants dans l'AAH proviendraient du RSA. Les enjeux financiers s'avèrent particulièrement importants ; l'AAH, ce sont 10,6 milliards d'euros par an en 2020 mais surtout une « augmentation de 2,5 milliards par rapport 2018 », précise-t-il.
Un argument déjà évoqué
Un problème d'arbitrage, donc ? Selon Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d'APF France handicap, ce nouveau rapport ne fait que « reprendre ce qu'a pointé la Cour des Comptes ». La question de l'augmentation des dépenses de l'AAH et de la difficulté à en maîtriser les budgets est, selon lui, « régulièrement évoquée ». L'association dénonce cette « porosité » supposée entre les deux allocations en arguant que « l'AAH est attribuée à partir de critères médicaux et du constat d'une incapacité durable et substantielle du bénéficiaire à travailler, en fonction du type de handicap et de son intensité ». Donc, insiste l'association, « contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport, l'AAH2 ne prend pas en charge les conséquences médico-sociales de la précarité mais est attribuée à des personnes dont le handicap a été effectivement reconnu (…) à partir d'un taux d'incapacité déterminé par un outil opposable, le Guide barème ». Fin du débat ?
Des propositions constructives
Plus globalement, concernant ce rapport, l'Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) voit dans la « qualité des recommandations » une « boussole commune pour avancer concrètement ». De son côté, APF France handicap le juge « de qualité et éclairant sur les modalités de sa mise en œuvre ». Cette nouvelle branche a été très souvent considérée comme dédiée aux personnes âgées mais « ce rapport montre bien qu'elle concerne tout autant les personnes en situation de handicap », se réjouit l'association. Certaines propositions sont jugées « constructives ». Quelques exemples : articulation avec les politiques de droit commun comme l'éducation et l'emploi, financement essentiellement via la solidarité nationale, abandon de la double tarification pour les établissements et services médico-sociaux ou encore le maintien de l'équilibre des compétences entre les Agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux, avec une meilleure coordination. Plusieurs associations se satisfont également du maintien de l'équilibre de la gouvernance nationale via le conseil de la CNSA -perçu comme un « parlement de l'Autonomie »- et l'ensemble des parties prenantes, notamment les associations de personnes handicapées…
D'autres qui font débat
D'autres suggestions font néanmoins « débat ». Pour l'APF ou l'Uniopss, le « renforcement des droits des personnes en situation de handicap n'est pas mentionné ». Par exemple, la question de la suppression de la barrière d'âge tout comme l'évolution du périmètre de la prestation de compensation du handicap (PCH) ne sont pas abordées. D'autres inquiétudes ? Le transfert de la gestion de l'AAH et de l'AEEH (Allocation d'éducation de l'enfant handicapé) vers cette nouvelle branche autonomie, proposition « fermement rejetée » par le Collectif handicaps -qui rassemble 48 associations-, la création d'un fonds unique médicosocial personnes âgées/handicapées ou encore l'absorption des Maison départementales des personnes handicapées (MDPH) par les Maisons de l'autonomie (MDA)… « Le souci de décomplexification des prestations et la mutualisation des moyens ne doivent pas se faire au détriment des droits des personnes », alerte APF France Handicap.
Eviter les perdants
Même si, comme d'autres associations, elle revendique la création de cette 5e branche depuis 20 ans, elle encourage à « mesurer les impacts de certaines propositions » pour éviter qu'il n'y ait des « perdants ». Bilan également mitigé pour le Collectif handicaps, qui dit se « retrouver sur un certain nombre » de propositions mais « regrette que le rapport se limite à examiner les prestations qui pourraient faire l'objet de transferts d'une branche à l'autre ». Un « mécanisme de tuyauterie », selon lui, qui n'a pas « l'ambition d'améliorer véritablement le droit des personnes ». Quant à l'Uniopss, elle entend « rester prudente, en particulier sur les propositions de financement ainsi que sur celles visant à faire des économies, dans un secteur déjà en forte tension ». Plus catégorique, la CFE-CGC n'y voit « aucune proposition satisfaisante face à un affichage politique fort pourtant exprimé dans la loi ». Et maintenant ? Ce rapport doit être transmis au Parlement dans les prochains jours. Les mesures relatives à ce financement vont continuer à être travaillées et ce avant le débat parlementaire sur le PLFSS 2021. Les associations entendent apporter leur contribution et leurs calculs. Pour répondre, ensemble, à cet enjeu majeur de demain ?