Près de 6 Français sur 10 ont déjà quitté un site web par manque d'accessibilité. Les jeunes consommateurs sont particulièrement intransigeants : 64 % des moins de 35 ans ont déjà tourné le dos à un site mal conçu. Les résultats de l'étude " Les Français et l'accessibilité numérique ", publiée en octobre 2025 par AccessiWay et l'institut Opinéa, sont sans appel. Réalisée auprès de 1 012 personnes, elle met en lumière un mal profond : le numérique, censé rassembler, continue d'exclure. Une négligence qui, à l'ère du tout digital, peut coûter cher. Des obstacles en apparence anodins, comme un contraste insuffisant ou une police trop petite, suffisent souvent à faire fuir les internautes… et pas seulement les 12 millions de Français en situation de handicap.
Un enjeu ergonomique pour tous
Qui a dit que l'accessibilité numérique ne concernait qu'une minorité ? 54 % des Français agrandissent régulièrement la taille de la police sur leur smartphone, et 58 % ont déjà quitté un site à cause d'un texte illisible ou d'une navigation trop compliquée. D'autres freins sont à déplorer : formats inadaptés aux supports mobiles, langage confus, contrastes mal calibrés, absence de sous-titres… Résultat : seuls 16 % des utilisateurs déclarent ne rencontrer aucun obstacle lors de leur navigation en ligne.
Faire preuve de bon sens
Et pourtant, il ne s'agit pas là de problèmes insolubles ou de chantiers techniques titanesques, estime Jerry Journo, directeur général d'AccessiWay France. « Sur le papier, on parle de 106 critères pour rendre un site entièrement accessible, concède-t-il. Mais en réalité, il s'agit surtout de bon sens : garantir que le message soit bien perçu et reçu par tous. » Selon lui, l'accessibilité, « bien loin d'être un luxe ou une contrainte réglementaire, s'apparente à une bonne expérience utilisateur ». Une approche pragmatique et inclusive, qui bénéficie à l'ensemble des internautes, quelles que soient leurs capacités.
« L'accessibilité, un investissement, pas un coût ! »
Et pourtant, l'accessibilité numérique est encore loin d'être une norme : seulement 2 % des sites web seraient aujourd'hui réellement accessibles. Certains acteurs du marché tardent encore à s'engager, par méconnaissance ou peur du coût. Une erreur stratégique, selon Jerry Journo : « Les entreprises doivent comprendre qu'il s'agit avant tout d'un investissement. » Car derrière les chiffres, ce sont des opportunités concrètes qui s'échappent : ventes perdues, taux de rebond élevés, clients déçus. L'accessibilité n'est pas seulement une obligation éthique ou légale, c'est un levier de performance, au même titre que l'ergonomie, le design ou le référencement.
Des mises en demeure qui sonnent l'alerte
Face à ce chiffre alarmant, en juin 2025, plusieurs associations de défense des consommateurs et de personnes handicapées ont mis en demeure de grandes enseignes françaises, comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, pour les contraindre à rendre leur site web conforme aux normes d'accessibilité. Pour Jerry Journo, ces actions doivent servir d'électrochoc : « Ces récentes mises en demeure adressées à quelques grands distributeurs soulignent les risques liés au manque d'accessibilité. Cela peut impacter le chiffre d'affaires, la fidélité des clients et l'image de marque. C'est un signal d'alerte que toutes les entreprises devraient entendre. »
EAA : coup d'accélérateur ou simple coup de pression ?
L'European accessibility act (EAA) changera-t-il la donne ? Cette directive européenne, entrée en vigueur en juin 2025, impose aux entreprises de plus de 10 salariés et 2 millions d'euros de chiffre d'affaires de rendre leurs services numériques accessibles (EAA : l'accessibilité numérique, une obligation en 2025). « De nombreuses entreprises ont ainsi entamé leur mise en conformité, c'est un signal positif pour des millions de Français, se félicite Jerry Journo. Mais de nombreuses autres ne font que commencer : une manière de rappeler que des actions urgentes sont encore nécessaires pour provoquer un réel changement. »
Une problématique mondiale, un marché colossal
Loin d'être une exception française, l'accessibilité numérique est une problématique internationale. Plus d'un milliard de personnes vivent avec un handicap dans le monde, ce qui en fait la plus grande minorité mondiale. Leur pouvoir d'achat est estimé à 13 000 milliards de dollars. « Nos voisins allemands, par exemple, rencontrent les mêmes obstacles : plus de 80 % des utilisateurs déclarent des difficultés pour lire, entendre ou comprendre un site web », illustre Jerry Journo.
Dans un monde où le numérique est omniprésent, concevoir des services accessibles n'est plus une option. C'est une exigence de justice, une clé d'innovation mais aussi un impératif de compétitivité. Le web doit devenir un espace sans seuil ni barrière, où chacun peut naviguer, comprendre, interagir... à égalité.
© Anyaberkut de Getty Images / Canva
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