Par Michel Viatteau
Il tire aussi à boulets rouges sur le gouvernement conservateur nationaliste en place à Varsovie. "La Révolution qui n'a pas eu lieu" raconte la manifestation de quarante jours de douze personnes, handicapés et leurs proches, occupant un couloir du parlement polonais, en 2018 (article en lien ci-dessous). Leur mouvement, lancé pour obtenir une allocation mensuelle pour les adultes handicapés (les chiffres varient largement, celui des personnes trisomiques étant estimé à environ 60 000 par les chercheurs, tandis que toutes les personnes handicapées aidées par l'Etat seraient 272 000, selon la Sécurité Sociale), a marqué l'opinion, mais n'a pas abouti dans l'immédiat à un résultat concret. Une loi en ce sens a toutefois été adoptée en juillet 2019.
Des acteurs-auteurs
"Théâtre 21", une troupe créée à Varsovie par la metteuse en scène Justyna Sobczyk en 2005, a épousé le mouvement, dont le but n'est pas de susciter la compassion mais de défendre la dignité des personnes en situation de handicap. Les acteurs trisomiques ont écrit eux-mêmes le scénario de la pièce. Ils jouent les politiciens au pouvoir pour paraphraser en les ridiculisant leurs réactions à l'occupation du parlement. Ils n'épargnent pas non plus les gouvernements libéraux précédents. "Cette situation se prolonge depuis des décennies et en fait tous les politiques sont également responsables du fait que les personnes handicapées ne sont pas traitées en citoyens égaux de ce pays", dit à l'AFP la co-directrice du théâtre et chorégraphe de la pièce, Justyna Wielgus. "Les politiciens ne savent pas ce qu'est une personne handicapée", lance une actrice sur scène.
Un gouvernement cruel
Un moment particulièrement poignant de cette pièce illustre la recherche d'amour des personnes en situation de handicap, avec une question simple posée par une jeune femme trisomique : y aurait-il un homme pour m'aimer ? Un acteur vient alors l'embrasser, affirmant que "rien ne lui manque" pour l'aimer. Interviewés par l'AFP en marge du spectacle, les acteurs-auteurs, d'authentiques professionnels dont l'effort pour s'exprimer sur scène mélange douleur et bonheur, n'ont aucun mal à présenter vigoureusement leur position. "Ce gouvernement est cruel à notre égard. Il nous traite comme si nous étions des plantes. Je ne suis pas une plante, je suis une femme et non un enfant, j'ai besoin d'aide et de proximité avec quelqu'un", dit Aleksandra Skotarek, 31 ans. La jeune femme, qui fait partie de la troupe du Théâtre 21 depuis de longues années, espère que 'La Révolution qui n'a pas eu lieu', vu son impact évident sur les audiences, "apportera les changements dont nous avons besoin".
Projet de DownTown
En tout cas, le succès du spectacle lui permet de voyager. Théâtre 21 doit se produire dans le cadre d'un festival à Katowice, puis à Bydgoszcz et en décembre ira à Cracovie, en attendant d'aller l'année prochaine en Irlande, à Galway, capitale européenne de la Culture 2020. Pour le moment on n'a noté aucun représentant du gouvernement parmi les spectateurs. Justyna Wielgus le regrette. "Nous voudrions que notre voix soit entendue, enfin entendue, et que la nouvelle campagne électorale (pour les législatives du 13 octobre 2019) ne soit pas limitée à la déclamation de slogans répétitifs qui ne sont suivis d'aucun acte, alors que les personnes avec un handicap sont utilisées en guise d'appât pour attirer les électeurs". Théâtre 21 participe à un projet international, "Crossing the line", qui porte sur la coopération entre plusieurs établissements au profil similaire, dont Moomsteatern de Malmö en Suède, Blue Teapot Theatre Company de Galway en Irlande, Theater Babel de Rotterdam et Compagnie de l'Oiseau-Mouche de Roubaix en France. L'objectif de la troupe polonaise est de créer à Varsovie un "DownTown" -référence au syndrome de Down, appellation anglo-saxonne de la trisomie 21- un centre où les artistes et les personnes handicapées pourraient se rencontrer et travailler ensemble.
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