Andréa, polyhandicapée : les tendres mots de ses parents

A 8 ans, Andréa a le corps labouré, ses parents le cerveau embué. Du diagnostic de maladie neurodégénérative à la création d'un lieu de répit pour aidants, ils content leur histoire pas banale dans une lettre sincère en hommage à leur fille.

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Portrait d’Andréa entourée de ses parents.

DERNIERE MINUTE DU 14 MAI 2024
Andréa a décidé de quitter sa ferme.

Elle y est entrée en 2016 avec la volonté d'y laisser un héritage,
Personne n'y croyait vraiment. (...)
Sans jamais prononcer un mot, elle a réussi à se faire entendre.
Sans bouger de son fauteuil, elle a réussi à rassembler.
Sur un regard, un sourire, une présence, elle est allée chercher le meilleur de tous ces gens pour créer une ferme à son image, un lieu pour les autres où elle se sentirait vraiment chez elle.

C'est de chez elle qu'elle est partie, son petit coeur s'est arrêté, entourée de son papa et de sa maman. Avant de partir, elle a pu rencontrer sa Ministre et lui a montré son héritage. Elle nous a à maintes reprises montré comment se relever quand on pensait que c'était fini. A nous maintenant.
Nous espérons que nous serons toutes et tous à la hauteur de ce qu'elle nous a transmis, donné, révélé…

ARTICLE INITIAL DU 10 FEVRIER 2024
« Tu as huit ans et je ne te lis pas d'histoire, je t'aspire quand tu te noies dans ta salive, (...) j'entretiens ta gastrostomie. » Les douleurs, la dépendance et l'incertitude rythment le quotidien d'Andréa et ses parents, Elodie et Louis Dransart, depuis ce matin de janvier 2016. Le diagnostic de « maladie neurodégénérative rare » signe la fin d'une vie « douce et ordinaire ». « Examens sur examens, hôpital, fin de nos carrières professionnelles et de notre vie parisienne... Tout va très vite. » C'est également le début d'une nouvelle vie, d'une nouvelle histoire, parsemée d'obstacles, certes, mais aussi de joies, de rencontres, d'opportunités. En 2019, les Dransart fondent les « Bobos à la ferme », un « laboratoire de répit » pour les aidants, en côte d'Opale (Lire : Bobos à la ferme : un "labo de répit" pour aidants à bout). Une histoire que Louis conte à sa fille, lui qui n'a jamais l'occasion de lui en lire, à l'aube de ses neuf ans.

Donner la parole aux familles

Cette « déclaration d'amour » est également un hommage à ces parents « toujours sur le front », publié dans la newsletter de janvier du Groupe polyhandicap France, que Handicap.fr a choisi de relayer pour mettre en lumière le quotidien des familles touchées par le handicap, sans fard ni fioritures. Témoignages « bruts », édifiants, optimistes, porteurs, cinglants... Handicap.fr vous donne la parole.

Lettre à ma chérie, mon bijou, ma Dadou

« Tu as passé huit ans maintenant et je te vois tous les jours dans cette coque moulée, quasiment allongée, à regarder des étoiles que toi-seule est capable de distinguer, loin, très loin de nous. A mesure que la maladie prend place en toi, à mesure que la dégénérescence s'épanouit, à mesure que je perds pied dans notre lien, que je m'habitue à l'horreur, jour après jour, seringue après seringue, cris après cris, une question tourne en boucle, comme un vieux disque rayé : A quoi bon ?

Le deuil d'une vie douce, « ordinaire »

Tu as passé huit ans maintenant et je pense tous les jours à ce sourire de tes trois mois, cette photo à Marseille, joue contre joue, ton expression, si belle, et l'espoir : la possibilité de donner un sens à cette vie qui n'avait cessé de me laisser dubitatif, perplexe. Cette photo, je ne l'ai pas revue depuis mais elle me hante, comme un rappel de ce qui a été perdu, toi, moi, nous, la possibilité d'une vie douce, ordinaire et banale.

Un corps « labouré »

Tu as passé huit ans maintenant, qui l'aurait cru ? Qui l'aurait souhaité ? Si tu avais pu nous parler, nombreux seraient les jours où tu nous aurais demandé de tout arrêter. Trop de douleurs, trop de mal, trop de rien, trop. On n'a pas idée comme le corps d'une petite fille de huit ans peut être labouré : un dos tout tordu, des coudes disloqués, des hanches luxées, des épaules qui ne valent pas mieux… Ma chérie, tu supportes tant. Quelle énergie te maintient encore parmi nous ? Quel dieu sadique ? Quel amour inconnu ? 

Pas de vacances, le tour du parking

Tu as huit ans et je ne te lis pas d'histoire, je t'aspire quand tu te noies dans ta salive ; tu as huit ans et je ne te coiffe pas, j'entretiens ta gastrostomie ; tu as huit ans et je ne t'emmène pas à l'école, je te transporte dans ton lit médicalisé ; tu as huit ans et nous ne partons pas en vacances, nous faisons le tour du parking d'à côté en fauteuil roulant. Tu as huit ans et j'ai parfois l'impression que nous avons tous les deux passé les cent, tellement je suis fatigué et tellement tu es dépendante de nous.

Accueillir les « bobos »

Et pourtant, ma chérie, mon bijou, ma Dadou, du haut de tes huit ans et, malgré les difficultés de notre vie, malgré l'injustice de notre condition, tu nous as révélés, tu nous as sublimés. Dans ce monde où tous recherchent un sens sans y parvenir, tu nous as imposé le tien, sans discussion, clair, nu, sans autre choix possible. En accueillant tes bobos à la ferme, tu nous as montré la voie de notre survie : accueillir ceux des autres, aussi, et s'en faire un pansement, un moteur, un combat.

A bout de souffle

Tout nous amène à croire que ce combat, nous le perdrons également. La protection sociale à bout de souffle, l'innovation plombée par les codes, le médico-social décimé dans ses vocations, la concurrence des acteurs du « milieu », la voix des parents étouffée par les contraintes de la gestion… 

Tu as huit ans aujourd'hui et tu ne comprendrais rien à ces détails de ton histoire, de la mienne, de toutes celles et de tous ceux qui vivent aujourd'hui et emprunteront demain un chemin similaire au nôtre. 

Continuer le combat

Tu as huit ans, ma Dadou, et il est très probable que tu n'en aies jamais neuf. Alors je vais essayer de profiter du temps qu'il nous reste ensemble, de tes petits yeux perdus, de ton odeur, de tes beaux cheveux roux, de cet amour qui irradie ceux qui croisent ta route. Et, quand tu seras partie, quand tu auras décidé que c'en était trop, je te promets de continuer ce combat que tu nous as transmis car, même s'il est trop tard pour nous, il est encore possible de le gagner demain avec les autres parents, frères et sœurs qui transforment la fatalité et la différence en une énergie créatrice de sens, de justice et de cohésion.

Merci à vous, merci à toi, ma Dadou. »

© Raphaëlle Trecco

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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