23 mars 2022 à partir de 11h, Handébat, en partenariat avec Handicap.fr, vous emmène à la rencontre de huit candidats et candidates à l'élection présidentielle, en direct de la Maison de la radio à Paris (en lien ci-dessous). Objectif ? Passer au crible les mesures handicap de leur programme. En amont, ils se sont prêtés au jeu de l'interview au sein de leur QG (autres interviews en lien ci-dessous). Entretien avec Anne Hidalgo pour le Parti socialiste...
Question flash : quelle place pour le handicap dans votre politique ?
Je veux garantir le soutien des parents qui découvrent le handicap de leur enfant. D'ici 2024, chaque enfant en situation de handicap sera accueilli dans une structure de petite enfance, et je ferai de la lutte contre le harcèlement scolaire et les violences dont sont victimes de nombreux enfants handicapés une des grandes priorités de mon quinquennat. Nous donnerons aux enfants les outils et les moyens de leur autodétermination en les formant à leurs droits et en développant le soutien par les pairs.
1 - ONU : CONVENTION INTERNATIONALE DES DROITS DES PERSONNES HANDICAPEES
• L'ONU exhorte la France, à la suite de son audition à l'été 2021, à fermer tous ses établissements médico-sociaux. Vous engagerez-vous à suivre ce cap ou vous semble-t-il excessif ?
La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies est le cadre de référence et s'impose à nous, je m'en réjouis. Je retiens des observations finales du comité des droits de l'ONU, suite à l'audition de la France, que « l'absence de stratégie nationale et de politiques publiques pour la mise en œuvre des obligations de l'État en vertu de la Convention » a été pointée. Le comité des droits a également constaté que « les enfants handicapés sont soumis à des formes de discriminations multiples et croisées, notamment dans le domaine de l'éducation, l'accès aux services sociaux au sein de la société, le placement dans des établissements médico-sociaux, et qu'ils sont exposés à des mauvais traitements, des violences et des abus, y compris des violences sexuelles, en particulier dans les institutions ». Il recommande d'engager « une désinstitutionnalisation d'urgence des personnes handicapées dans le but de leur permettre de vivre en sécurité et de manière indépendante dans la société ».
• Quelles réponses apporterez-vous aux milliers de familles qui, à bout, restent sans solution, parfois durant des années et doivent pour certaines arrêter de travailler pour garder leur enfant à la maison ?
Chaque personne doit accéder à une réponse adaptée à ses choix et à ses besoins, en accélérant la transformation des services qui ont été pensés pour accueillir et protéger les personnes handicapées, que nous parviendrons à ouvrir de manière irréversible vers l'extérieur. Les ressources expertes doivent être mobilisées et disponibles dans le milieu ordinaire de nos vies, en particulier pour apprendre et se former à l'école et à l'université, travailler, se loger, participer au débat public et s'engager dans la vie de notre société. Un principe doit nous guider, c'est celui de l'autodétermination.
2 - CITOYENNETE
Les personnes handicapées peinent à accéder à la vie publique et à une citoyenneté pleine et entière. Comment changer la donne ? Par exemple :
• Êtes-vous favorable à l'instauration de quotas de personnes en situation de handicap sur les listes électorales, à l'image de ce qui existe pour d'autres publics (par exemple parité homme/femme) ?
• Respecterez-vous le quota de 6 % de personnes handicapées dans votre gouvernement, vos cabinets, votre administration ?
Pour que nous puissions toutes et tous exercer pleinement notre citoyenneté, l'accessibilité de la vie publique et politique s'impose à nous. Nous avons progressé ces dernières années, mais la participation de tous les citoyens, quels que soient leurs éventuels handicaps, leurs modalités d'accès à l'information et de participation au débat public, est encore loin d'être une évidence.
Sans doute faudra-t-il passer par la loi pour que l'accessibilité des campagnes électorales ne soit pas une option et s'impose à tous les candidats. Elle permettra d'encourager le plus grand nombre de personnes à s'engager dans la vie politique pour que nos élus reflètent la diversité de notre société.
Les personnes handicapées qui le souhaitent doivent pouvoir se présenter aux élections et mener campagne sans contrainte. C'est loin d'être le cas aujourd'hui. Une fois élus, se pose la question des conditions d'exercice de leur mandat. Les quelques rares élus eux-mêmes handicapés en témoignent : rien n'est prévu pour que les aménagements nécessaires à leur mandat soient assurés. La loi doit prévoir et sécuriser l'accès à ces aménagements qui permettront aux élus d'exercer des responsabilités, et pas uniquement sur les délégations qui concernent le handicap et l'accessibilité !
Les conditions de l'accès à la citoyenneté doivent être réunies dès le plus âge. Je retiens des recommandations de l'ONU celle de « mettre en place des mécanismes qui respectent l'évolution des capacités des enfants handicapés, pour faire en sorte qu'ils puissent développer des opinions sur tous les sujets qui les touchent et les exprimer librement, et que ces opinions soient dûment prises en compte, selon l'âge et la maturité de l'enfant ». Je ferai de cette exigence une priorité de la feuille de route de mon gouvernement.
3 - RESSOURCES
• Mettrez-vous en œuvre l'individualisation de l'AAH, soutenue par tous les partis d'opposition contre l'avis de la majorité ?
L'individualisation du calcul de l'AAH est une condition essentielle à l'autonomie des personnes handicapées et sera mise en œuvre dès septembre 2022 si je suis élue. Mais elle ne suffira pas. Les allocataires sont plus exposés à la pauvreté que la majorité des personnes handicapées et plus encore que les bénéficiaires de minima sociaux qui ne sont pas handicapés.
• Par ailleurs, cette allocation à taux plein reste, avec 903 euros par mois, en dessous du seuil de pauvreté fixé en France à 1 102 euros en 2021. Comptez-vous l'augmenter à ce niveau pour son million de bénéficiaires ?
Les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler, momentanément ou durablement, du fait de leur handicap doivent accéder à un réel revenu de remplacement qui doit se rapprocher du SMIC. Le différentiel actuel entre l'AAH à taux plein et le SMIC est de 366 euros. Une concertation sera engagée avec les associations représentatives des personnes handicapées pour concevoir un dispositif plus juste et plus solidaire.
4 - EDUCATION
• 4 000 AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap) de plus promis à la rentrée 2022, est-ce suffisant ? Vous engagerez-vous à faire mieux et comment ?
• L'école inclusive a-t-elle ses limites ou est-ce un cap non négociable, quelles que soient les difficultés pour la mettre en œuvre ?
L'accueil à l'école de la République de tous les enfants, y compris ceux qui sont handicapés, est un droit. La loi du 11 février 2005 le confirme, la convention internationale des droits des personnes handicapées l'impose également ainsi que la convention internationale des droits de l'enfance.
Chaque enfant a toute sa place à l'école. C'est à l'environnement de l'école de prendre en compte les éventuels besoins particuliers et d'y répondre, sans renoncer à ce droit et cet impératif de suivre sa scolarité en milieu ordinaire. Quand des réponses spécialisées sont nécessaires, il faut qu'elles soient disponibles dans le milieu ordinaire de l'éducation. Le nombre d'enfants handicapés qui suivent leur scolarité en milieu ordinaire est en constante évolution depuis une vingtaine d'années, je m'en réjouis. La dynamique est bien là, grâce notamment au travail des enseignants et à la détermination des familles.
Mais nous ne sommes qu'à la moitié du chemin. Encore trop d'enfants n'ont pas de réponse adaptée à leurs besoins réels. La situation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) est également scandaleuse. Sans AESH décemment rémunérés, avec une véritable formation et des perspectives d'évolution, c'est toute notre ambition collective d'accueillir tous les enfants, quels que soient leurs handicaps, à l'école de la République qui est malmenée. C'est pourquoi les AESH devront être au cœur de la concertation que j'engagerai avec les partenaires sociaux dès mon élection pour la revalorisation salariale des personnels de l'Éducation nationale qui sont au contact des enfants. Nous devons leur accorder un statut pérenne pour les sortir de la précarité.
• Trois mesures concrètes, de la maternelle aux études supérieures.
Nous poursuivrons et intensifierons le travail de coopération entre le milieu dit ordinaire de l'éducation et le secteur médico-social pour que les réponses adaptées aux besoins des élèves soient disponibles à l'école.
L'accès des jeunes handicapés à l'éducation ne s'arrête pas à l'école. Le sujet de l'accès à l'enseignement supérieur est essentiel ; je déplore l'immobilisme de la ministre de l'enseignement supérieur depuis 5 ans sur ce sujet. 5 ans ont été perdus.
L'accueil de tous les enfants à l'école de la République implique également que nous poursuivions la mise aux normes de nos écoles, de nos collèges, de nos lycées, pour qu'ils soient parfaitement accessibles. Nous avons encore beaucoup de retard en France, je regrette que le gouvernement n'ait pas explicitement retenu cet axe essentiel de l'accessibilité dans le plan de relance et dans son plan d'investissement France 2030 pour précisément accompagner les collectivités territoriales dans cette urgence. Les derniers agendas d'accessibilité programmées prennent fin en 2024 ; un grand coup d'accélérateur s'impose à nous tous.
5 - EMPLOI
• 500 000 personnes handicapées sont au chômage. Jugez-vous que « nul n'est inemployable » ? Si oui, faut-il viser l'emploi en milieu ordinaire ou renforcer les dispositifs spécifiques, type Esat ou entreprises adaptées ?
Le taux de chômage des personnes handicapées atteint encore le double du taux moyen de chômage de la population. Les discriminations subies dans les procédures de recrutement nous montrent que le handicap des candidats est encore considéré avant leurs compétences. D'autres facteurs contribuent aussi à maintenir de nombreuses personnes handicapées éloignées de l'emploi. Mais nous n'avons pas encore tout essayé. L'inaccessibilité des lieux de travail devra être prise en compte dès la première conférence nationale de l'accessibilité et de l'inclusion que le lancerai dès 2022. Je mettrai également un coup d'arrêt aux 5 années d'immobilisme sur l'accès des jeunes handicapés aux études supérieures de leur choix et ferai de l'accessibilité des universités et des grandes écoles une priorité nationale.
• Trois mesures phare pour l'emploi des personnes handicapées et comment comptez-vous les financer ?
Nous devons redéfinir les contours de notre politique de l'accès des personnes handicapées à l'emploi et de leur maintien dans l'emploi ; le dispositif actuel de l'obligation d'emploi atteint ses limites et a été malmené ces dernières années. Ce débat sera au cœur du dialogue social avec les partenaires sociaux et les organisations représentant les personnes handicapées pour définir notre feuille de route, notamment autour de trois objectifs :
- le plan zéro jeune en situation de handicap sans solution à la sortie de leur cursus scolaire en mettant en place en amont la préparation du projet professionnel ;
- l'accompagnement des fins de carrières en prenant en compte la pénibilité des métiers et la fatigabilité liée aux maladies invalidantes et en facilitant le changement de carrière professionnelle des seniors, en adaptant le rythme et la durée des formations ;
- la prévention des licenciements pour inaptitude en rendant systématiques les visites de pré-reprise et en renforçant la coordination des acteurs (les services de santé au travail, les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle des CARSAT, etc.).
6 – ACCESSIBILITE NUMERIQUE
• En dépit de la réglementation, de nombreux sites internet, y compris gouvernementaux, ne sont pas accessibles, faisant peser sur les personnes handicapées, pour certaines déjà isolées par les difficultés de déplacement, le poids supplémentaire de la fracture numérique. Acceptez-vous de durcir significativement les sanctions ?
Je déplore que nous ayons pris un tel retard en matière d'accessibilité numérique. Nous créons même des nouvelles situations de handicap chaque jour puisque nous continuons en France de lancer des sites internet et des applications sans nous assurer de leur accessibilité ; ce sont des millions de personnes que nous continuons d'exclure. L'écrasante majorité des sites internet publics est encore inaccessible, ce qui est inacceptable ; la Défenseure des Droits l'a rappelé à juste titre dans son récent rapport sur les conséquences de la dématérialisation mal accompagnée. Or, l'accessibilité des sites internet publics était déjà prévue à l'article 47 de la loi du 11 février 2005 ! Je sais que le gouvernement s'était engagé à ce que 80% des 250 démarches en ligne les plus utilisées soient accessibles en 2022. Nous sommes en 2022, le même gouvernement affiche finalement un résultat de… 37% et je sais que les critères évalués ne garantissent même pas que ces démarches soient effectivement accessibles.
Les associations, notamment celles de personnes aveugles ou malvoyantes, tirent sur la sonnette d'alarme depuis de longues années sur le caractère inopérant du cadre actuel. Alors oui, nous devons envisager un dispositif efficace de sanctions et la mise en place d'une autorité de contrôle indépendante, avec la participation des personnes concernées, je ne m'explique pas que cela n'ait pas été déjà fait. Cette autorité devra avoir la capacité de faire fermer les sites qui ne seraient pas conformes.
Suite de l'interview dans le lien ci-dessous : Candidate Anne Hidalgo (PS) : quelle politique handicap ? (2/2)